Un « Pacte pour la reconstruction » de Mayotte : 2ème partie
Par Ibrahim ABOUBACAR
L’idée « d’accélérer le développement » de Mayotte est permanente depuis la départementalisation de Mayotte. Elle a fait l’objet, ces dernières années, du projet de loi LECORNU de janvier 2022, délibéré en Conseil des Ministres, et abandonné suite à un avis défavorable unanime des élus du Conseil Départemental. Plus récemment les discussions entre Monsieur DARMANIN et la Société Civile de Mayotte avaient abouti à une tentative de projet de loi, avortée suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale. Au demeurant, les principales revendications de la Société Civile n’étaient pas assurées d’y figurer.
Le cyclone CHIDO a, dans l’émotion, imposé un consensus sur la reconstruction de Mayotte qui s’entend à la fois une accélération et une construction sur des bases nouvelles, plus ambitieuses et plus pérennes.
Mais si CHIDO a engendré cette volonté, il n’a pas fait disparaître les obstacles, ni réuni les prérequis d’une telle entreprise : il convient de tirer les leçons des deux échecs précédents, au risque de voir ces freins ressurgir devant nous plus tard.
Nous abordons trois sujets, liés à l’idée « d’une reconstruction pour les mahorais, avec les mahorais », pour reprendre la formule ambiante :
1-la question foncière,
2-la question de l’ingénierie,
3-la question de la capacité des entreprises locales.
La question foncière est connue pour être un des principaux freins à la conduite d’opérations de toute nature à Mayotte. Elle a fait l’objet d’une régularisation inachevée et de la création d’outils de gestions, dont l’EPFAM. Elle est posée aujourd’hui à travers l’objectif, nouveau, de l’éradication des bidonvilles. En clair, le relogement dans des conditions décentes des personnes en situation régulière qui vivent dans ces espaces, la reconduite aux frontières de ceux qui sont en situation irrégulière et la destruction de ces bidonvilles.
L’ampleur du sujet est le suivant : il se dit que 50 % de la population est étrangère et que la moitié des étrangers est en situation irrégulière. Cela ferait une centaine de milliers de personnes en situation irrégulière. Sur la base d’une composition familiale de 6 ou 7 personnes, cela ferait autour de 15 000 unités de logement, soit encore 7 villages de la taille de Sada ou Chiconi.
Évidemment, toutes ces personnes ne sont pas dans les bidonvilles d’une part et dans ces bidonvilles, il n’y a pas que des irréguliers. Mais, cela donne un ordre de grandeur du problème. L’éradication, ne serait-ce de la moitié de ces bidonvilles sur une durée de temps courte nécessitera des emprises foncières considérables, (quel que soit la densité des constructions), éparpillées dans tout le territoire, au profit d’une population qui est totalement extérieure à l’occupation foncière coutumière.
En conséquence, cet objectif requiert clairement un « deal » assumé entre l’Etat, les élus locaux et la société civile pour pouvoir être mis en œuvre efficacement. Au plus vite on s’accordera sur les choses à faire et la façon de les faire, au plus vite les outils pour le faire pourront être mis sur pied et agir. Ce qui suppose que le débat ait lieu et qu’il ne soit pas renvoyés à des rapports ou à des ordonnances (qui est une procédure sans débat par excellence).
La destruction de ces bidonvilles soulève de nombreuses questions dérivées :
-la localisation géographique des relogements et leur interaction avec l’aménagement de l’espace : question centrale qui ne peut être traitée que par les Communes et le Département.
-la connaissance des ayant droits, et l’interrogation sur les droits au logement des personnes concernées : la règlementation applicable à Mayotte sur le logement ne permet pas de traiter systématiquement tous les cas.
-les droits sociaux de ces personnes, car il ne suffira pas de leur attribuer des logements décents, sans se préoccuper de la façon dont ils vont y vivre, y compris payer le loyer correspondant.
-la gestion de ces logements sociaux d’un genre nouveau, dans cette ampleur : on ne pourra pas tomber sur la SIM à bras raccourcis.
-le traitement de la question des mineurs isolés qui réapparaîtra immanquablement dans cet exercice de recensement.
-la territorialité du titre de séjour dès lors que des droits identiques aux étrangers vivant dans les autres DOM leur sont reconnus ici, pour ceux d’entre eux qui voudront partir.
Alors, il va falloir accélérer et alléger toutes les réglementations permettant d’éradiquer ces bidonvilles, pas seulement, mais y compris, sur le plan foncier. C’est dans les échanges sur la future Loi de Programme que tous ces sujets doivent être mis sur la table et aboutir à un consensus global.
Je laisse de côté la question de la reconduite à la frontière des personnes exclues de ce processus, qui est un sujet encore plus brûlant.
Une fois tous ces prérequis traités, les Communes et le Département pourront être invités, par la Loi de Programme, à sanctuariser dans leurs documents d’urbanisme, les emprises foncières nécessaires aux objectifs retenus, (sur ce sujet des bidonvilles comme sur les autres équipements) et c’est sur ces emprises là qu’il faudra un pouvoir de maîtrise foncière accéléré, dérogatoire : car il en faudra.
Un manque d’ingénierie à la chaine
Un second sujet concerne la capacité à mener les opérations complexes et à réaliser les ouvrages d’envergures. Réduit sous le vocable de « manque d’ingénierie », compris par une grande partie de la société civile comme une défiance locale qui ne dit pas son nom à tout ce qui est, il engendre lui aussi de nombreux malentendus et crispations inutiles.
Là encore de nombreuses réflexions existent dont la plus récente est un « Rapport d’information » commis par la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale en date de 2023.
Ce « problème d’ingénierie », concerne en réalité toute la chaine de la réalisation des grands projets ou des projets complexes, même de taille moyenne :
-l’ingénierie technique et financière au sein des Maîtrises d’Ouvrages, que ce soit au sein des Collectivités Locales ou de l’Etat,
-l’ingénierie technique et financière au sein des services instructeurs (de toute nature) des dossiers,
-l’ingénierie de conception au sein des bureaux d’études,
-l’ingénierie d’exécution au sein des entreprises.
Sur toutes ces chaines il y a des lacunes dont les conséquences sont des projets qui ne sortent pas de terre, ou qui en sortent très en retard, ou qui sont mal faits, ou dont les coûts sont excessivement élevés.
La difficulté à mener ce débat de manière rationnelle entre les acteurs concernés conduit à des mauvaises solutions, à des impasses et blocages ou à des frustrations de toutes natures, qui ne sont pas positives pour la responsabilisation des acteurs sur le long terme : les élus locaux doivent se mettre d’urgence en capacité de soutenir un dialogue crédible et responsable avec l’Etat sur ces sujets.
Renforcer l’aptitude à consommer
De même, les entreprises locales ne peuvent pas tout faire. Et la reconstruction du territoire appelle là encore à la lucidité :
-des ouvrages, par leur complexité ou par leur envergure, ne peuvent pas être construits avec la technicité disponible localement,
-certains corps de métier sont totalement absent dans le territoire,
-et même dans les taches que les entreprises locales savent faire, il faudra un sérieux renforcement de capacité en ressources notamment humaines pour absorber dans le temps le volume d’activité envisagé.
Trop souvent, on entend Paris nous opposer : « Ce n’est pas la peine d’augmenter les moyens financiers, car ils ne seront pas consommés ».
Posons la question autrement : que faut-il faire au sein des Collectivités locales, au sein des Services de l’Etat, des Entreprises, dans le monde du travail en termes de formations, dans les réglementations en vigueur pour pouvoir faire face au besoin de la reconstruction et au rythme souhaité ? L’histoire appelle tous les acteurs à se montrer à la hauteur du moment.