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Mamoudzou
mardi 7 janvier 2025

Plongée : Naviguer post-cyclone, le dilemme épineux des amoureux de la mer 

Pour beaucoup, le lagon de Mayotte constitue un véritable havre de paix. Malgré un contexte difficile post-cyclone, de nombreux passionnés du monde marin demandent à replonger, tout en réfléchissant à une façon de soutenir la population, pour la reconstruction du territoire.

Depuis vendredi, de nombreux plongeurs sont partis en mission de reconnaissance pour observer l’état du lagon suite au passage du cyclone Chido. Le bilan est mitigé mais plus rassurant qu’escompté : certaines parties du lagon ont été abîmées, d’autres vastes zones ont résisté, de quoi rassurer la population.

Le Sud plus épargné que le Centre-Est et le Nord

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Certaines zones du lagon ressemblent à des cimetières de coraux (photographie/DR/DL)

Lors du passage de Chido, des creux de six à sept mètres à l’extérieur du lagon et des vagues de quatre mètres à l’intérieur du lagon ont été constatés. La forte houle et les courants ont eu des effets dévastateurs sur le corail. À Mtsangadoua,  un nageur rapporte que « le tombant est très abîmé, c’est dur à regarder ». Certains sites ont disparu, aspirés par le sable. Mais « heureusement tout n’a pas été détruit », déclare Mathieu, un plongeur de Mamoudzou. Sur le spot de la Passe en S, les apnéistes sont unanimes : à l’extérieur, tout a été ravagé par le cyclone, mais à l’intérieur de la passe, le corail et sa faune ont été préservés. À Petit Moya, l’herbier pour rejoindre le tombant a bien résisté. « J’avais peur d’un fort envasement avec les apports terrigènes forts dûs aux fortes pluies mais il s’en est bien sorti », témoigne David, un apnéiste. Mais le cauchemar arrive quelques mètres avant le tombant. « Plus aucun corail n’a tenu. De la bouillie, du concassé de coraux. Le tombant est méconnaissable », confie-t-il.

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À d’autres endroits, les poissons colorés sont toujours aussi luxuriants (photographie/DR/DL)

Au sud de l’île, si la façade Est du récif Rani semble plus atteinte, « toutes les façades Ouest sont bien protégées », estime Ben, le gérant du club de plongée Abalone. « Le corail avait été déjà fragilisé par un fort épisode de blanchissement et les cyanobactéries mais on s’en sort pas mal », explique-t-il. D’ailleurs, le lagon du Sud de l’île a été sensiblement plus préservé du cyclone que le Nord. Sur la passe bateau du sud, Ben et son équipe sont rassurés : « Tout le monde est là. Le corail a résisté et on a observé des requins, des raies mantas, des thazards, des barracudas, c’est vraiment super. »

Reprendre une activité tout en étant solidaire de la population

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Plongeurs, apnéistes, plaisanciers, mettent à profit leurs connaissances de la biodiversité marine pour réaliser un diagnostic du lagon post-cyclone (photographie/DR/DL)

Depuis le passage du cyclone, les clubs de plongée baignent dans ce contexte mitigé. Certains clubs ont été plus impactés que d’autres. Au centre Jolly Roger de Sakouli : « Tout le toit de la terrasse s’est envolé », raconte Philippe, son directeur. À Mamoudzou, le bateau du club de plongée Hippocampe a résisté mais leur local a été touché. « Le bateau va bien mais ne démarre pas. Sans électricité, ce n’est pas possible de gonfler les bouteilles », expliquait quelques jours plus tôt, Antoine, le représentant du club. En effet, Chido a balayé le front de mer de Mamoudzou, emportant avec lui, le ponton et une partie du port maritime. Dans ce contexte, une reprise d’activité peut être compromise, estime le plongeur. « À Mamoudzou, on n’a plus de port digne de ce nom pour embarquer les clients et charger le matériel. » Au Sud de l’île, le club Abalone, célèbre pour son havre de paix en bois, donnant sur la baie de Mzouazia, a également été touché, mais les dégâts sont maîtrisés. « Le toit où il y a le matériel, les combinaisons, les bouteilles, tout a volé mais tout a pu être réinstallé », raconte Ben, malgré les récentes pluies diluviennes qui se sont ajoutées à la note déjà salée du cyclone. « On a tout remis. Le moteur du bateau tourne. L’eau et l’électricité sont revenues à Mzouazia. On a la possibilité de redémarrer. Même si le réapprovisionnement en essence est toujours compliqué car il faut faire la queue plusieurs heures. »

Certains plongeurs envisagent de mettre en place des actions « anti-déchets » pour ramasser les débris qui auraient été projetés à l’intérieur du lagon avec le passage de Chido (photographie/DR/DL)

Mais les gérants des clubs de plongée s’accordent à dire que ces difficultés ne sont que matérielles, à l’heure où une partie de la population fait face à des difficultés plus graves, après le passage du cyclone. « Quand on a une population en urgence vitale, c’est difficile de reprendre la plongée », déclare Philippe. Partagés entre l’envie de reconstruire le territoire et celle d’aider la population, certains plongeurs envisagent de s’unir pour reprendre une activité professionnelle, dans un esprit solidaire. « Beaucoup de gens demandent à replonger, des gens qui ont envie de souffler, de se remettre un peu d’aplomb, de se changer les idées », rapporte un plongeur. Pour Ben, si la vie doit reprendre, elle doit surtout s’inscrire dans une démarche sociale. « On pourrait proposer aux plongeurs qui viennent chez nous de participer en apportant des vivres, du lait, des couches, de la nourriture. Nous on s’occupe de faire la collecte et de la redistribuer sur notre secteur à des associations ou des relais des communes pour des gens dans le besoin. On pourrait aussi faire une cagnotte, où une part de plongée est reversée à une association qui vient en aide à la population. » En adoptant cette démarche, Ben envisage de réouvrir son club cette semaine progressivement. Il imagine également mutualiser ses moyens matériels avec d’autres clubs en difficulté. « On pourrait partager des bateaux, prendre des plongeurs, un moniteur d’un autre club, ce sont des idées », envisage-t-il à mesure de notre échange. Mercredi 8 janvier, une rencontre doit avoir lieu entre plusieurs représentants de clubs de plongée pour décider d’une marche à suivre commune.

L’avenir du corail mahorais en jeu 

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L’intérieur de la passe en S n’a pas été trop touché (photographie/DR/DL)

Entre trésors conservés et dégâts constatés, les plongeurs vont donc désormais composer. À Petit-Moya, « de nouveaux rochers sont apparus, des roches qui ont changé de couleur, tout un nouveau relief jamais apparent avant qui était sous le sable », commente David, qui a observé cela en apnée. Mais que vont devenir les coraux détruits ? D’après plusieurs plongeurs, à Saziley, de nombreux coraux ont été touchés, certains ont été entièrement broyés mais parfois, le squelette de la colonie était encore en place. Pour Philippe, le représentant du club de plongée de Sakouli, « tout n’est pas perdu si le squelette du corail reste, une nouvelle colonie d’une espèce différente ou d’une même espèce se réinstalle dessus, il faut que les polypes trouvent leur nouveau point d’ancrage. » À notre question de savoir si le sujet de la transplantation de corail pourrait aider à faire renaître certains récifs coralliens de l’archipel, Philippe estime que si « cela a fonctionné sur certaines zones du globe recoralisées, comme en Indonésie », il ne faut pas omettre que ces actions « touchent à l’équilibre de la flore, certaines espèces peuvent devenir invasives ». De son point de vue, à Mayotte, l’enjeu consiste surtout à atténuer la pression anthropologique qui pèse sur le monde marin. « Toute la pollution qui s’est déversée sur ces sédimentations c’est tout cela qui est catastrophique, sans l’activité humaine, la nature peut se régénérer toute seule », explique-t-il en prenant l’exemple d’un des événements climatiques les plus importants en termes de sécheresse, El Niño de 1997-1998, à la suite duquel il avait réalisé plusieurs plongées. « La barrière mahoraise s’est très bien remise de cet épisode », commente-t-il. Pour sauver les coraux de Mayotte, réduire drastiquement la pollution plastique et les émissions de gaz à effet de serre, sont à ses yeux une priorité, bien qu’il nuance : « Dans tous les cas, on devrait agir pour favoriser la résilience des coraux mais il faut avoir conscience de l’empreinte toxique de l’homme. »

« J’ai besoin de replonger, sinon je ne tiendrai pas »

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Dauphin tacheté sautant dans le lagon le 1er janvier 2025 (photographie/DR/DL/Ceta’Maore)

Alors que les Mahorais tentent de se reconstruire après le passage du cyclone, de nombreux habitants disent avoir « besoin » de revenir sur le lagon pour tenir l’endurance d’une crise sans précédent. « J’ai besoin de replonger sinon je ne tiendrai pas. Je n’ai pas dormi depuis 48h mais franchement là je rêverais d’aller nager dans le lagon. J’ai vraiment besoin de ça pour tenir », commente un infirmier du CHM après sa garde. Progressivement, certains habitants reviennent sur l’eau avec les « moyens du bord », d’abord pour constater ce que Chido a laissé sur la mer, leur terrain de répit habituel, mais aussi pour « penser à autre chose ». C’est le cas de Nathalie, qui vit à Bouéni. « Dès que j’ai pu, j’ai pris mes palmes, mon masque, mon tuba et je suis allée nager. » Si les loisirs et par ricochet l’environnement ne constituent pas des priorités à l’heure où une partie de la population est encore en urgence vitale, la vie reprend déjà parfois le dessus, comme le 1er janvier de la nouvelle année, où un groupe de dauphins tachetés pantropicaux faisant des sauts a été observé. Fière de ce véritable patrimoine, Faouzia nous confie après le passage de Chido : « Sur terre, presque tout a disparu, sauf la beauté des profondeurs marins d’un des plus beaux lagons du monde. »

Mathilde Hangard

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