Il y a des métiers que l’on connaît mal, pourtant leur intérêt est majeur : protéger la santé animale et par ricochet, celle des Hommes. C’est ce qui anime quotidiennement Emmanuel Laury, chef de l’unité santé et protection animale à la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF) de Mayotte.
Lorsqu’il en parle, Emmanuel Laury aime dire que la protection animale est « un thème d’intérêt croissant pour la société. » Son rôle : faire appliquer la réglementation sur la santé et la protection animale, qu’il traduit comme un synonyme de « bien-être animal ».
Ces dernières années, l’agriculture productiviste et extensive a conduit à de nombreuses dérives, où les règles en matière de santé humaine et animale ont été parfois piétinées. Pour le chef d’unité, conformément à une approche One Health, l’objectif est bien de protéger la santé au sens large, celle des animaux et des Hommes. Ses missions sont vastes, à la croisée de compétences techniques et juridiques, pour veiller à la planification, la réalisation des inspections, au suivi technique des dossiers, tout en assurant une veille de la réglementation. Pour lui, la contribution des associations de protection animale a été essentielle en ce qu’elles ont notamment permis de dénoncer des pratiques d’élevage non respectueuses des besoins physiologiques des animaux.
Protéger la santé animale et humaine, mais comment ?
On en croise tous les jours dans des champs, sur des terrains de sport, le long des routes ou traversant le béton brûlant, à Mayotte, les zébus et les bovins circulent comme les humains, à tel point qu’ils font désormais partie intégrante du territoire. Mais si leur compagnie ne dérange pas, leur protection est essentielle. Plus généralement, l’objectif des services sanitaires est de détecter, surveiller et lutter contre des maladies d’ores-et-déjà présentes sur le territoire, mais aussi de prévenir l’apparition d’autres maladies, notamment des zoonoses, qui se transmettent des animaux vertébrés à l’être humain, qui ne sont pas ou plus sur le département. « On va essayer de surveiller ces maladies, l’objectif est de savoir quelles maladies circulent dans les cheptels, et avoir un système d’alerte robuste sur les maladies réglementées. Elles peuvent avoir des impacts économiques importants par rapport aux pertes ou baisse de production et/ou des conséquences graves sur l’Homme », déclare le chef d’unité, sur appui du règlement européen, la Loi de Santé Animale (LSA).
Près de 5.300 élevages à Mayotte, pour une moyenne de 4,3 bovins par élevage
Mais le recensement n’est pas chose aisée. À Mayotte, nombreux sont les éleveurs qui détiennent des petits ruminants, comme des chèvres ou des moutons. S’il est difficile de contrôler chaque élevage, plus de 5.300 élevages de bovins sont enregistrés, pour une moyenne de 4,3 bovins par élevage, ce qui est nettement inférieur à la moyenne métropolitaine située proche de 119 bovins par élevage. « La plupart sont des très petits élevages. Parfois sans bâtiment, un éleveur peut avoir trois bovins attachés en forêt, avec un congélateur vide pour mettre de l’eau, un autre pour nourrir ses bêtes. » Du côté des volailles, 221 unités d’activité sont recensées. Mais le chef d’unité précise qu’un éleveur peut disposer de plusieurs unités et bâtiments. Cette comptabilité en unités répond à un impératif de surveillance des salmonelloses, qui sont des maladies provoquées par des entérobactéries du genre salmonella, dont la plupart sont des bactéries zoonotiques, donc transmissibles d’un animal vertébré à l’Homme.
Pas d’abattoir de bovins à Mayotte
Alors que l’abattoir AVM de Kahani existe pour la production de volailles, aucun abattoir à Mayotte n’existe pour les bovins, alors que 90% des bovins seront tués pour produire de la viande et 10% seront exploités pour de la production laitière : « Les éleveurs abattent eux-mêmes leur bétail ou auprès de gens qui s’y connaissent, ils travaillent bien mais c’est pas déclaré. »
Tout animal intercepté par kwassa est euthanasié
Pour protéger le territoire de maladies contagieuses, les autorités euthanasient systématiquement tout animal arrivé par kwassa-kwassa : « L’objectif est de protéger Mayotte de l’introduction de maladies (…) Aux Comores notamment, il y a des cas de fièvre aphteuse, qui est une maladie très contagieuse, non transmissible à l’homme, mais qui fait des dégâts chez les bovins, donc tous les animaux arrivant en kwassa sont euthanasiés. » Avant d’être abattus, les animaux subissent une prise de sang, permettant aux autorités sanitaires d’avoir une idée des données sur l’état de santé des animaux de l’île voisine.
Puisque certains animaux non interceptés par la police aux frontières échappent à la fatidique sentence, le chef d’unité insiste sur l’importance de disposer d’un système de surveillance de la santé animale robuste et efficace. À ce sujet, la priorité est d’abord l’identification des animaux. « Chaque bovin du territoire doit être bouclé pour la traçabilité. C’est une obligation légale. Même si tous les bovins ne sont pas identifiés, l’éleveur doit notifier auprès de la chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte, tous les mouvements d’animaux : les entrées, naissances, achats, morts, ventes. »
La fièvre de vallée du Rift avait donné des sueurs froides
Entre les mois de novembre 2018 et août 2019, le virus de la fièvre de la vallée du Rift (VFVR) atteint le territoire de Mayotte, 143 cas humains sont confirmés à la fin de l’épidémie et près de 126 foyers animaux sont signalés aux autorités sanitaires.
La survenance de cette maladie virale aiguë affectant gravement diverses espèces d’animaux et les Hommes, a conduit les autorités sanitaires mahoraises a redoublé de vigilance en renforçant leur système de prévention et d’alerte. Depuis, pour lutter contre cette « maladie à éradication obligatoire », les vétérinaires appliquent un protocole nouveau de surveillance selon deux grands types de syndrome, en fonction de l’état clinique de l’animal : « L’important pour l’éleveur est de déclarer tout animal malade à son vétérinaire pour surveiller ces maladies et être vigilant car la première personne à risque d’être contaminé, c’est l’éleveur lui-même », précise Emmanuel Laury.
Une immunité en baisse face à cette fièvre hémorragique
L’an dernier, 2.500 sérums contenant des prélèvements sanguins de dépistage de la brucellose ont été analysés au sein d’un laboratoire en Vendée. Parmi ces sérums, 306 prélèvements ont été utilisés pour rechercher des traces de fièvre de vallée du Rift. Résultat : 34% des prélèvements témoignaient d’une affection ancienne et 3 bovins se révélaient positifs aux analyses. : « C’est très peu mais cela veut dire que l’immunité baisse progressivement mais sans explosion clinique puisqu’en 2022, 37% des prélèvements étaient positifs en IgG. On dit que tous les 10 ans, l’immunité baisse, donc on est plus à risque », confie le chef d’unité.
Une charte sanitaire votée pour limiter l’importation de ruminants
Lors de la dernière réunion du comité d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (COPSAV) le 28 juin dernier, les autorités sanitaires ont établi des règles « strictes » pour limiter l’introduction de l’ensemble des ruminants à Mayotte. Un cahier des charges a été validé mentionnant une obligation de réaliser de nombreux tests sur les animaux en amont et de les soumettre à d’autres tests ainsi qu’à une quarantaine à leur arrivée. « Ce cahier des charges freine fortement l’introduction de ruminants à Mayotte. Il faudrait vraiment un gros porteur de projets pour importer des ruminants. » À l’avenir, les autorités sanitaires souhaitent que ce cahier des charges soit transposer par arrêté préfectoral, « pour se prémunir de maladies qui sont absentes du territoire et qu’on ne voudrait pas voir s’introduire à Mayotte. » De plus, pour que les autorités sanitaires soient mieux préparées en cas d’urgence sanitaire, le plan national d’intervention sanitaire (PNISU) en santé animale a été réactivé sur le territoire.
La question de la protection animale à Mayotte est à la croisée d’autres problématiques. Le nombre de chiens et chats errants, certains dressés au combat, témoignent d’une maltraitance animale manifeste. Par ailleurs, la présence de nombreux zébus le long des routes ou sur des terrains de football remet sur la table la question du foncier, où des éleveurs n’ont pas toujours d’endroit pour faire brouter leurs bêtes.
Les tortues, bientôt soignées dans un centre à Mayotte
Emmanuel Laury précise que les missions des agents de la DAAF sont particulièrement vastes. Le lagon de Mayotte regorge également d’espèces protégées, certaines sont particulièrement menacées, comme les tortues. Il accompagne d’ailleurs le futur centre de soins des tortues de l’île qui verra bientôt le jour.
Mathilde Hangard