Politiques comme électeurs ont reçu un uppercut dimanche soir avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République. Si on entend des « c’était prévisible », peu l’avaient réellement prévu.
Prévisible, le score du RN l’était par des organismes de sondage qui ne se sont pas trompés, le parti présidentiel n’arrivant qu’en 2ème position n’enverra que 13 députés au Parlement européen, contre 30 ou 31 pour le parti sorti vainqueur des urnes, plus du double.
Dans une nationalisation du vote dont la France est coutumière, on parle de « vote sanction ». Ce qui a incité Emmanuel Macron à y voir plus clair, en provoquant des élections nationales les 30 juin et 7 juillet prochains pour légitimer sa présidence. Mais attention à ne pas se méprendre, c’est aussi un message sur la gestion de l’immigration clandestine qui a été délivré, la score spectaculaire du RN à Mayotte, 52,4%, record en outre-mer, est suffisamment parlant.
Nous avons sollicité les réactions des deux désormais ex-députés et celle du président de la Fédération LR de Mayotte, Abdoul Kamardine. Estelle Youssouffa nous indique sobrement « ne pas avoir de commentaire » à faire, quant à Mansour Kamardine, il nous explique sa surprise ce lundi matin : « J’ai appris la nouvelle en atterrissant en métropole. Je m’envole comme député et j’atterris comme simple citoyen ! ».
Il nous fait part de son analyse : « Si rien ne laissait transparaître cette décision du président de la République, elle n’est pas étonnante au regard des résultats des élections. C’est l’esprit des institutions de la 2ème République de donner la parole aux français à chaque fois que c’est possible. C’est donc très bien que l’on puisse interroger les français sur la gouvernance du pays. Mais je ne suis pas certain que le coup soit gagnant, c’est un risque pour l’avenir. »
Le vote des français pris en otage
Alors que l’Assemblée nationale fonctionnait déjà avec une majorité relative, nécessitant l’utilisation de l’article 49-3 pour faire passer les textes de lois, une dissolution était dans l’air, mais abandonnée. Tout le monde ayant à l’esprit la dissolution ratée de Jacques Chirac en 1997, qui avait provoqué une montée de la gauche et une longue cohabitation avec Lionel Jospin.
La remise en cause étant spectaculaire lors de ces élections, le président de la République a choisi cette option. Compte-t-il sur la réserve de voix des abstentionnistes qu’il va devoir mobiliser ? C’est hypothéquer un message que les français ont l’air de vouloir faire passer, en matière de gestion des flux migratoires et de leur intégration dans le pays. « C’est un pari, s’il échoue, et que le score se répète, le président prend le risque d’une cohabitation avec le RN. » Pour l’ancien député mahorais les urnes ont parlé, « si à l’issue de ce vote, le RN ne prenait pas le pouvoir, ce serait un déni de démocratie ».
Ce dimanche, Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères, annonçait que la majorité « ne présentera pas de candidat » contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain ». Un gros risque selon nous, car c’est une nouvelle fois prendre le vote des français en otage, alors qu’ils ont fait sauter le verrou de cet « axe républicain ». Un électeur qui veut mettre un bulletin RN dans l’urne n’en sera pas dissuadé, et quelle option pour celui qui ne voulait voter ni à droite, ni à gauche, l’axe politique qu’a justement défendu Emmanuel Macron. Tout va résider dans sa communication d’ici le 30 juin, et nul doute que la proximité du RN avec la Russie sera brandie. En tout cas, côté com’, il va falloir changer de paradigme, il y a eu friture sur la ligne.
« Emmanuel Macron aurait dû démissionner »
Pour le président de la Fédération LR de Mayotte, Abdoul Kamardine, le parti LR qui arrive en 2ème position ici, « il a résisté malgré une vague Rassemblement national. Il faut dire que dans le cadre de l’évolution institutionnelle de l’île et du projet de loi Mayotte, nous avions fait venir trois ténors qui ont pu faire entendre la voix des LR, Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy et Olivier Marleix. »
Il voit dans la décision de dissoudre l’Assemblée nationale un jeu dangereux, « Emmanuel Macron va être battu, il ne faut pas espérer des résultats différents Ou alors, la situation va être plus compliquée, avec aucune majorité pour aucun parti. Mais le réservoir des abstentionnistes ne pourrait bien être qu’un déploiement à une autre échelle de ce qui vient de se passer portant le RN encore plus haut. Il aurait dû démissionner plutôt que de faire démissionner les autres. Ça aurait été une décision gaullienne. Au lieu de ça, je soupçonne le président de la République d’installer le RN au pouvoir avec par exemple Marine Le Pen comme Premier ministre, pour que les français les disqualifient ensuite pour les voir jugé sur leurs actes pendant trois ans, et ensuite, faire gagner le parti présidentiel en 2027. En tout cas, il y a la volonté d’étouffer les LR. »
Le sujet qui tournait en boucle dans les rédactions mahoraises ce lundi matin, c’est l’avenir du projet de loi Mayotte. Pour Mansour Kamardine, « tout est suspendu, et reprendra après. C’est le cas du rapport d’information pour Mayotte programmé pour être adopté le 27 juin… et qui tombe à l’eau faute de commission des lois. Mais le projet de loi lui, reste dans les mains du gouvernement. » De quel gouvernement s’il y a remaniement à l’issue du scrutin législatif ? « Nous aviserons à ce moment-là. »
Mis devant le fait accompli, les députés ne sont plus jusqu’au 7 juillet, pas plus que leurs attachés parlementaires. « Le mandat des assistants parlementaires est lié à celui du député, il prend donc fin dès la publication de la fin de mandat au Journal Officiel. Ils ont des droits, notamment pris en charge par l’Assemblée », indique Mansour Kamardine.
Va-t-il se représenter ? « J’appartiens à une formation politique qui décidera ». Et son homonyme Abdoul Kamardine confirme qu’une réunion des LR de Mayotte a été organisée en urgence, « nous avons une semaine de tractation, et deux semaines de campagne à préparer. Les LR présenteront en tout cas un candidat dans chacune des deux circonscriptions de Mayotte ».
Les déclarations de candidatures seront reçues du mercredi 12 au dimanche 16 juin 2024 à 18 heures (heure légale locale). Pour le second tour, les déclarations de candidatures seront déposées à partir de la proclamation des résultats par la commission de recensement général des votes et jusqu’au mardi 2 juillet 2024 à 18 heures (heure légale locale).
Anne Perzo-Lafond