Si le tabou de la sexualité est encore très présent à Mayotte, il est logique que celui de la santé sexuelle en découle. Or, une mauvaise santé sexuelle est susceptible de provoquer de nombreux problèmes chez un individu, qui peuvent se reporter sur d’autres sphères de sa santé, psychologique par exemple, mais également générer des problèmes sociaux ou tout simplement nuire au bien-être général. C’est donc pour contribuer à faire évoluer les mentalités que le conseil départemental, profitant de l’évènement national de la « Semaine de la santé sexuelle », a organisé ce mardi 4 juin un colloque réunissant la majeure partie des acteurs concernés par cette question.
Madi Velou, le 7ème Vice-président du conseil départemental en charge de la Solidarité, de l’Action sociale et de la Santé, l’a ouvert en précisant que le sujet ne devait plus être tabou, puisque même les cadis en parlaient. L’un d’eux était d’ailleurs présent ce mardi matin et a ouvertement abordé la question, citations de versets du Coran à l’appui. « Quand la sexualité va bien, toutes les autres sphères de la vie vont bien également ! », a-t-il notamment déclaré en rappelant que le livre sacré de l’islam réglementait en réalité toutes les questions liées à la sexualité d’une manière détaillée et que ce n’était absolument pas un tabou musulman. « Sur les 6218 versets que contient le coran, 660 ont trait à la relation entre les hommes et les femmes, soit 10% du livre sacré ! », a-t-il précisé. Une jeune femme dans le public a d’ailleurs fait remarquer qu’à Mayotte comme ailleurs, les gens confondaient souvent les interdits sociaux avec les interdits religieux. « C’est normal puisque la religion vient légitimer la règle sociale dans leur esprit », a expliqué judicieusement un autre membre du public.
4 fois plus d’infections par chlamydia à Mayotte qu’en métropole
La question des règles sociales a d’ailleurs longuement été abordée par le sociologue Combo Abdallah Combo juste avant l’intervention du cadi. Il a rappelé la rupture que vivait la société mahoraise actuellement entre la tradition de tabou de la sexualité et l’enseignement des questions reproductives, et donc sexuelles, au sein de l’école laïque, mais également la parole très libre sur le sujet des réseaux sociaux. « Actuellement, il y a une rupture entre l’ordre ancien et l’ordre actuel », a-t-il déclaré. Un fait qui explique d’ailleurs en partie la grosse perte de repères des jeunes vivant actuellement sur le territoire et la bascule vers la délinquance pour certains d’entre eux. Le sociologue a également évoqué une forme de « schizophrénie » de la société mahoraise : « D’un côté, il ne faut pas en parler, mais de l’autre, on en parle quand même très largement au moment des mariages par exemple, puisqu’être au fait des questions sexuelles à ce moment-là est indispensable. Mais cela ne se fait qu’au moment des « rites de passage sociaux » et, surtout, « uniquement entre paires », a-t-il précisé.
Un épidémiologiste de Santé Publique France a ensuite poursuivi le colloque en présentant les résultats de l’étude « Unono wa maore », financée par l’ARS et réalisée en 2018 sur un échantillon de 7000 Mahorais entre 15 et 69 ans. Etude à la fois sociale et sanitaire, elle comportait plusieurs volets dont celle de la sexualité et des Infections sexuellement transmissibles, dont les résultats n’avaient pas encore été présentés pour le moment. Et ceux-ci sont plutôt alarmant puisqu’ils montrent que 2 jeunes sur 3 ne se protègent pas à l’aide d’un préservatif lors du premier rapport sexuel et que le taux d’infection à la bactérie sexuellement transmissible chlamydia trachomatis était de 9% à Mayotte, soit 4 fois plus qu’en métropole ! Les statistiques du VIH n’ont malheureusement pas pu être réalisées en raison d’un coefficient de variation incorrect, mais Santé Publique France a néanmoins pu réunir quelques chiffres démontrant que le nombre de personnes dépistées avait considérablement augmenté entre 2018 et 2021… et par conséquent le nombre de cas positifs !
Beaucoup d’autre sujets ayant trait de près ou de loin à la santé sexuelle ont été abordés au cours de ce colloque, comme la question de la prostitution, celle de la précarité menstruelle ou encore celle des droits des femmes et ceux des enfants. Au cours de la matinée, les outils existant sur le territoire et permettant aux professionnels de mieux pouvoir orienter leurs publics ont été présentés et détaillés. Les professionnels issus des structures publiques ou des associations étaient d’ailleurs venus en nombre pour assister à ce colloque, preuve que le sujet commence à beaucoup intéresser la population mahoraise !
Nora Godeau