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Devenir propriétaire d’un terrain après 10 ans d’occupation : une nouvelle tentative pour libérer du foncier

L’évolution de la prescription acquisitive dans les Outre-mer abaisse désormais à 10 ans l’occupation d’un terrain pour en revendiquer une propriété non contestée, et non plus 30 ans. Les héritiers en indivision pourraient être les plus touchés. Libération de terrains en vue.

Parmi les « défis fonciers » listés par l’association Interco’ Outre-mer la semaine dernière, l’immobilisme était en bonne place. Pour y remédier, avait été inventée la prescription acquisitive (ou usucapion). Si vous vivez sur une parcelle comme si elle était la vôtre, que vous l’entretenez, vous pouvez en revendiquer la propriété sans en avoir le titre. Ce délai d’occupation qui avait été fixé à 30 ans par la loi Letchimy en 2018, a été réduit à 10 ans depuis ce 9 avril 2024, comme cela a été rapporté lors du Séminaire d’Interco’ Outre-mer la semaine dernière.

Au départ, la loi Letchimy voulait agir comme une boule dans un jeu de quille pour provoquer des régularisations foncières massives, en facilitant les titrisations de terrains, leur éventuelle cession et donc les aménagements dans les Outre-mer. Elle prévoyait tout d’abord la possibilité d’assurer la vente d’un terrain à partir du moment où la moitié des indivisaires (51%) était d’accord. On avait fortement espéré que cela favorise la cession du terrain destiné à accueillir la 3ème retenue collinaire à Mayotte, mais d’autres problèmes restaient à régler même en cas d’expulsion.

Un des deux titres délivrés par la CUF sur une occupation qui n’est plus trentenaire mais décennale

Cette loi audacieuse prévoyait aussi qu’une personne occupant un bien immobilier ou mobilier de manière continue, paisible, publique et non équivoque et de bonne foi, et ayant agi comme un propriétaire pendant au moins 30 ans, puisse l’acquérir. Ce délai vient donc de passer ce 9 avril 2024 à 10 ans dans une logique d’amplification de la réforme. Une évolution inscrite dans la loi visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé, et qui avait été acté dans le CIOM, Comité Interministériel des Outre-mer.

Réveil sous 5 ans pour les belles aux bois dormants

Certaines voix se sont aussitôt élevées à Mayotte, craignant de légaliser l’appropriation des terrains par les étrangers. Or, les conditions sont très strictes, car il faut occuper le bien de façon paisible et continue, très peu font cette demande, même parmi les personnes présentes de longue date à Mayotte. Nous avons contacté le sénateur Thani Mohamed Soilihi qui avait livré avec sa consœur Vivette Lopez, un rapport d’évaluation de la loi Letchimy et œuvré pour son évolution.

Du foncier libéré pour aménager

« Depuis 2018 date de publication de cette loi, la Commission d’urgence foncière (CUF) a du mal à régulariser les terrains par cette voie, faute pour les demandeurs de pouvoir prouver l’occupation continue sur trente ans. Et en matière de demande formulée par des occupants étrangers, seuls deux titres ont été délivrés. » Il met en avant l’objectif de cette mesure de prescription acquisitive : « Il faut arrêter le statu quo, avec une tentative de régularisation de la part du conseil général en 1990 qui n’avait rien donné. Et d’autre part, c’est très cadré ».

S’il va être plus facile de réunir les preuves d’une occupation paisible et continue sur 10 ans, tout n’est pas gagné pour l’occupant qui réclamerait la propriété du terrain. « Les règles sont protectrices. Outre les preuves d’une occupation dans les termes demandées, elles imposent d’être de bonne foi. Surtout, s’il y a une contestation d’une personne qui se prévaudrait propriétaire du terrain, ça stoppe toute la procédure de prescription. En plus, le demandeur doit publier et afficher sa requête. Et enfin, il est possible de faire opposition 5 ans après l’obtention du titre, tout est fait pour que les biens ne soient justement pas spoliés. »

Et la mesure ne s’applique que sur une période donnée, « elle est valable jusqu’en 2038, c’est-à-dire que tout ceux qui ont loupé le coche, devront ensuite s’en remettre aux règles de droit commun comme ce fut le cas pour la CREC », la Commission de Régulation de l’Etat Civil qui avait remis de l’ordre dans une forêt de noms et prénoms. « La CUF devait être calquée sur ce modèle ».

« Le laboureur et ses enfants »

La 1ère salle d’immatriculation des terrains domaniaux il y a dix ans à la Maison départementale du foncier

On serait donc bien loin d’un appel d’air sur l’occupation des terres de l’île, bien au contraire, cela pourrait inciter chaque propriétaire à se soucier de son bien. On note le déblocage à Mayotte d’une convergence de mesures autour du ou des propriétaires puisque nous avons vu que la DUP Vivien (Décélération d’Utilité Publique) leur imposait une remise en état de leur terrain en cas d’insalubrité sous peine de décote de la valeur.

De plus, c’est plutôt du côté des héritiers en indivision que pourrait impacter cet abaissement à 10 ans de la prescription acquisitive.

Dans les autres DOM où cette prescription décennale est également en vigueur depuis avril, on s’inquiète en effet des cas de successions qui trainent en longueur et qui pourraient permettre à un des héritiers en indivision d’occuper le bien familial et se comporter comme un propriétaire pendant 10 ans, se prévalant ensuite de la propriété du foncier sans en informer quiconque pendant les 5 ans qui suivent.

Une mesure qui devrait donc inciter chacun à aller voir sur son terrain si l’herbe y est toujours verte. Et qui pourrait provoquer des régularisations foncières, libérant des terrains, et facilitant les aménagements pour les collectivités.

Anne Perzo-Lafond

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