Pouvez-vous nous exposer de votre point de vue les raisons pour lesquelles la présentation des deux textes de loi pour Mayotte a encore été reportée ?
Maymounati Moussa Ahamadi : Lors de notre rencontre du vendredi 17 mai avec le président Emmanuel Macron, nous lui avons exposé nos doléances, mais aussi nos propositions pour améliorer la situation à Mayotte. Il faut que vous sachiez que nous avons parlé d’une seule voix, nous étions tous unanimes sur le fond et la forme. Nous avons fait des propositions qui prennent en compte l’évolution probable du territoire sur les 30 prochaines années. Par exemple, nous avons, certes, beaucoup trop de naissances et cette démographie pèse ensuite sur les écoles et le système de santé, mais nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions la transformer en investissement, en force. A l’heure actuelle on demande aux collectivités et au département de s’occuper de tous les enfants qui arrivent sur le territoire, sans leur donner les moyens financiers de le faire. Nous avons également réfléchi à une manière d’anticiper l’avenir de Mayotte. Par exemple, la scolarisation obligatoire des enfants nouveaux arrivants sur le territoire joue sur le niveau global des établissements scolaires. Pour remédier à cela, nous avons demandé au gouvernement de mettre en place des classes de niveau. Pour cela il nous faut réussir à convaincre la ministre de l’Education Nationale. La fin du droit du sol à Mayotte peut sans doute résoudre une partie du problème, mais comment gérer les enfants qui sont déjà là ? Comment les scolariser avec nos infrastructures actuelles ? Comment les soigner ? Comment résoudre le problème du flux de demandeurs d’asile qui arrive en masse d’Afrique continentale ? Devant nos questions, le président a pris conscience que cette seule modification constitutionnelle concernant l’abrogation du droit du sol à Mayotte n’était pas optimale. Il a dit qu’il fallait « l’optimiser » en apportant d’autres abrogations constitutionnelles, d’où de nouvelles discussions avec les autres membres du gouvernement qu’il faut convaincre.
Quel a été votre sentiment personnel suite à ce nouveau report ?
Maymounati Moussa Ahamadi : Etant donné que les propositions du gouvernement étaient loin d’être suffisantes, il valait mieux reporter et poursuivre les échanges. Cela fait 30 ans qu’on attend une loi efficace pour Mayotte, on peut bien attendre 30 jours de plus pour avoir une loi vraiment optimale pour le territoire ! L’une de nos demandes les plus importantes est celle d’avoir un véritable « pare-feu » pour protéger Mayotte de l’immigration clandestine. Nous nous retrouvons notamment avec grand nombre de demandeurs d’asile rwandais. Or le Rwanda est l’un des pays d’Afrique le plus développé et où la croissance économique est florissante. Que viennent-ils donc faire à Mayotte ? Certains viennent même ici après avoir été débouté du droit d’asile en Angleterre, est-ce normal ? Etant donné que nos frontières sont mal protégées, nous élus, avons réfléchi à d’autres moyens de répondre aux attentes des Mahorais. Nous avons déployé toutes nos propositions lors de l’échange du 17 mai donc, normalement, d’ici 3 semaines les deux textes de loi seront entre nos mains pour validation. Mais il faudra encore attendre qu’elle soit validée par le conseil des ministres et les deux chambres du Parlement. Pour cela, le président doit s’assurer que tous les groupes suivent, sinon la loi ne passera pas. Etant donné la complexité du système, il valait donc mieux que les textes de loi soient reportés maintenant plutôt qu’ils ne risquent d’être renvoyés à nouveau dans un mécanisme de « navettes parlementaire » qui prendrait plusieurs mois !
L’abrogation du titre de séjour territorialisé est-il réellement au programme du gouvernement ?
C’est l’une de nos propositions, conformément aux attentes de la population mahoraise. Mais beaucoup de groupes au sein du gouvernement ne veulent pas de cette abrogation, car ils ont peur que cela n’engendre un afflux important de migrants vers la France. Or, si ce titre de séjour territorialisé est abrogé, les migrants pourront se rendre dans tout l’espace Schengen et pas seulement en France. S’ils sont dispersés dans toute l’Europe, cela ne fera pas beaucoup de migrants par pays. En outre, tous les migrants de Mayotte ne viendront pas. Les plus concernés sont surtout les étudiants, les demandeurs d’asile et ceux qui ont déjà de la famille en métropole ou à La Réunion. Tous les jeunes ne feront pas le choix de partir, mais il faut qu’ils en aient la possibilité, cela fait intégralement partie de la solidarité nationale ! En prenant en compte tous ces éléments, cela ne fait finalement pas beaucoup de monde au regard de la taille de l’hexagone et, à fortiori, de l’Europe. En revanche, pour Mayotte, cette abrogation serait déjà un soulagement énorme ! C’est cela que nous devons nous efforcer de faire comprendre aux membres du gouvernement pour les convaincre. Il s’agit d’un travail de persuasion intensif qu’Emmanuel Macron nous a demandé de mener à bien au cours de ce mois supplémentaire.
Propos recueillis par Nora Godeau