Nous arrivons à la fin de l’hiver austral, synonyme de brûlis pour les semences à venir. On voit déjà ça et là des panaches de fumée s’élever au-dessus de la végétation. Un phénomène saisonnier qui se double de destruction quotidienne de la végétation pour laisser émerger de l’habitat précaire.
Nous avions gardé en mémoire une étude de l’Office Nationale des Forêts (ONF) rapportée l’association des Naturalistes, indiquant que la plantation de 100 hectares d’arbres augmentait de 400.000 m3 la disponibilité d’eau dans les rivières en saison sèche. En ce contexte de déficit de pluviométrie, nous avons fait le point avec la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF).
Le SDAGE, Schéma Directeur d’Aménagement et de gestion des Eaux du bassin de Mayotte, intègre d’ailleurs cette dimension de préservation de la ressource en inscrivant plusieurs dispositions : mettre en œuvre le plan de reboisement des forêts publiques, développer une filière pépinière de qualité pour alimenter le reboisement, faire émerger des projets pilotes de reboisement, d’agroforesterie, etc.
« La crise de l’eau va nous permettre d’accélérer les plans en cours, nous avons les crédits et la capacité de mettre en œuvre les actions », nous indique aussitôt Bastien Chalagiraud, qui succède à Philippe Gout à la tête de la DAAF Mayotte.
D’autant que la tendance est porteuse, le président Emmanuel Macron a demandé en octobre 2022 qu’un milliard d’arbres soient plantés en France.
Un code forestier « ambigu »
A Mayotte, la surface de forêts soumise au régime forestier* (public) était de 7.063 ha en novembre 2020, dont 1.338 ha de forêt domaniale (appartenant à l’Etat, géré par l’ONF), et 5.408 ha forêts départementales. Il faut rajouter les quelques surfaces d’agroforesterie. A titre de comparaison, à La Réunion, la forêt couvre 120.000 hectares. Les échelles ne sont pas les mêmes.
Mais contrairement à la métropole où depuis 1840 les forêts gagnent du terrain, à Mayotte, elles partent en fumée. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) alertait en 2020 sur le taux de déforestation annuel de Mayotte: « Il atteint 1,2 %, faisant de l’île le département subissant les plus fortes déforestations de France. De 2011 à 2016, 1.400 hectares de terres boisées avaient disparu, à 95% de parcelles privées. « A ce rythme, la population mahoraise ne pourra bientôt plus bénéficier de l’ensemble des nombreux services rendus par la forêt », dont « la préservation de la ressource en eau », avait déjà mis en garde l’UICN.
Ces pertes concernant des parcelles non soumises au régime forestier, puisque privées, mais l’UICN avait pointé la « rédaction ambiguë du Code forestier de Mayotte », qui « n’encourage pas les autorités compétentes et les associations locales à agir ».
Et la forêt continue à partir en fumée, nous indique le directeur de la DAAF : « Entre 2018 et 2022, le couvert forestier est passé de 9.521 ha à 9.402 ha soit une perte approchée de 29,75 ha par an ».
En réponse et depuis ces alertes, des actions de reboisement ont été menées : « Sur la même période, des surfaces ont été replantées au sein de la forêt soumise au régime forestier, puisqu’elle a regagné 216 hectares, soit 43 ha par an, des opérations menées par l’ONF et le conseil départemental, pour un montant de 5,1 millions d’euros financés majoritairement par le fonds européen FEADER. »
C’est encore grâce à 350.000 euros du FEADER que 40 km linéaires de haies ont été plantées en 2022 et 2023 sur les espaces agroforestiers, bénéficiant à 30 agriculteurs. Des petites sommes, comme les 238.000 euros dont a bénéficié l’association des Naturalistes pour restaurer la presqu’ile de Boueni, mais qui mises côté à côté, vont permettre de regagner le terrain… si celui-ci arrête de partie en fumée.
Quand le chat est parti, les machettes dansent
Car de ces données, nous tirons deux enseignements. Tout d’abord, en reprenant l’étude de l’ONF citée plus haut, et en faisant une règle de trois, 40 ha plantés chaque année nous apporte 4 jours de consommation (actuellement de 40.000m3 par jour). Cela peut paraitre ridicule, mais cela vient en plus des moyens de production, et rappelons-le, la forêt en dégageant de la vapeur d’eau, facilitant la formation de nuages.
Mais problème, les 43 ha de reboisement annuels devraient contrebalancer les 30 ha détruits, la balance devrait être excédentaire, mais il n’en est rien. Malheureusement, la vigilance fait défaut, et alors que nous écrivons ces lignes, il est fort probable que des surfaces récemment plantées, ou d’autres, partent en fumée. Le déficit de brigades vertes, un point que nous dénonçons depuis de nombreuses années.
Le nombre d’agents mobilisés sur la surveillance, le contrôle et les actions de police est toujours insuffisant. Ils sont 20 au conseil départemental, 4 à l’ONF et 6 à la DAAF. « Il nous en faudrait 10 fois plus sur le territoire », note le directeur. Surtout que cette trentaine d’agents est théoriquement sur le terrain pendant la semaine, mais pas le week-end où officient en moyenne 4 agents du conseil départemental. Largement insuffisant au regard des atteintes.
Bien sûr, des opérations sont médiatisées comme celle d’envergure menée sur Majimbini où 20 hectares de bananiers et plans de manioc ont été détruits, une opération qui atteint la moyenne annuelle de destruction à elle seule, mais on est encore loin de patrouilles régulières sur les forêts de l’île.
C’est une des vertus de la création de la Réserve naturelle nationale, qui va permettre sur ses 2.801 hectares, dont 25% ONF et 75% départemental, de mettre en place une protection grâce au recrutement de 9 agents de l’ONF.
Mais c’est à grande échelle et sur chaque commune que des moyens doivent être mis pour veiller aux brûlis néfastes. Parmi les 7 recommandations de l’UICN en 2020, venaient en haut de la liste : la révision du code forestier à Mayotte et l’augmentation de l’effort de surveillance et de contrôle…
Anne Perzo-Lafond