Il y avait comme un petit air de vacances hier au tribunal judiciaire de Mamoudzou. Pas mal d’audiences en correctionnelle ont été reportées du fait que peu d’avocats étaient présents. Et pour cause, la plupart d’entre eux suivaient une formation durant toute la journée sur l’aide juridictionnelle organisée par le Conseil national des barreaux (CNB) et la conférence des bâtonniers. Une délégation d’une dizaine de personnes, présentes durant toute la semaine, a fait le déplacement sur notre territoire afin de permettre aux personnes en robe noire de se former et de se perfectionner. Il risque donc d’y avoir de nombreux reports. En dépit de cela, d’autres audiences ont pu se tenir sous la présidence de Benoît Rousseau, président du tribunal.
« Il s’était proposé de travailler bénévolement »
Le gérant d’une entreprise de restauration de type rapide comparaissait devant le tribunal pour « travail dissimulé d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié ». Les faits se sont produits à la fin du mois de mars 2018 à Tsingoni quand des policiers remarquent un chantier bâché. Intrigués les fonctionnaires décident d’aller voir d’un peu plus près. Lorsqu’ils pénètrent sur le chantier, deux ouvriers étaient en plein travail. A la vue des deux policiers, ils prennent la fuite et l’un d’entre eux oublie sa carte d’identité sur les lieux. Les fonctionnaires réussissent quand même à en interpeler un et lui pose des questions concernant son emploi, le type de contrat, la durée, le salaire, etc. Les réponses de l’interpelé sont floues et évasives et, par ailleurs, sa situation n’était pas en règle. Le deuxième individu, en règle, a été arrêté un peu plus tard. Les deux hommes étaient, semble-t-il, en train de construire une clôture devant un petit bâtiment devant servir à terme de salle de restaurant, le tout au profit de la société de restauration.
« Il s’était proposé de faire la clôture bénévolement et si on était contents on le rémunérerait, explique à la barre le gérant de la société en parlant de l’un des deux mis en cause. De plus, j’ignorais s’il était avec quelqu’un sur le chantier. – Lors de l’interrogatoire des policiers ce n’est pas ce qu’il a déclaré, rétorque le président du tribunal. Il a dit qu’il ne savait pas combien il allait être payé, ce n’est plus du bénévolat comme vous l’avez indiqué. – Il est venu proposer ses services, on a vu qu’il n’avait pas de papiers en règle, on lui a quand même proposé de travailler. On a fait une connerie en faisant ça », regrette le gérant de la société. L’entreprise a été condamnée quelques temps plus tard par l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) à payer près de 20.000 euros correspondant à une sanction administrative.
Le hic dans cette histoire, c’est que la date des faits reprochés ne correspond pas à la date pour laquelle le gérant était convoqué. On lui reproche des faits datant de mars 2018, alors que les enquêteurs ont constaté l’infraction le 5 août 2019. Un petit décalage dans le temps qu’a même reconnu la substitute du Procureur, Delphine Moncuit. « Il y a eu une carence dans la procédure, admet-elle. Néanmoins cette société est coupable des faits reprochés car ils sont caractérisés. Je requiers donc une amende de 2000 euros ».
Ce problème de procédure n’a pas manqué d’être exploité par l’avocat de l’entreprise, maître Ahamada. « Vous êtes saisis de faits qui n’existent pas, déclare-t-il devant le tribunal. Mon client ignorait les faits, mais en tant que gérant il prend ses responsabilités. La société a été créée peu avant la crise sanitaire du Covid. Le confinement a été fatal pour mon client car il n’a pas pu bénéficier de l’aide de l’État. Il est en train de déposer le bilan. La société est en train de mourir et 2000 euros d’amende ne changeront rien. Je vous demande de ne pas tuer un mort ! », a-t-il plaidé. Après une courte délibération, le tribunal a prononcé la relaxe.
Formellement reconnu par ses victimes, il a continué de nier les faits
Une autre affaire que devait juger le tribunal hier concernait des faits de « tentative de vol avec violence ayant entrainé une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours assortie de menace de mort matérialisée » par l’exhibition d’un couteau devant ses victimes. Le prévenu, incarcéré à la prison de Poitiers en métropole pour d’autres faits, était en visioconférence. Il lui était notamment reproché d’avoir agressé un père handicapé sur la commune de Bandrélé, fin avril 2019, alors qu’il avait interdiction de se rendre dans cette commune suite à un comportement violent. Il a agressé sa victime, alors qu’elle rentrait tranquillement chez elle, en lui prenant sa canne et lui a donné des coups dans le dos et la nuque, ainsi que des coups de pied et des coups de poing avant de le menacer avec un couteau.
« Je n’ai pas commis ces faits. Ce n’est pas moi car je n’avais pas le droit de me rendre à Bandrélé, se justifie le prévenu. – Pourtant la victime vous a formellement reconnu et désigné, ainsi que les membres de sa famille qui ont tenté de le secourir. Ce sont trois personnes qui vous mettent en cause, lui signifie Benoît Rousseau. – Moi, j’ai jamais fait ça », s’obstine l’accusé. Dans son réquisitoire, la substitut du Procureur ne se laisse pas perturber alors que le prévenu ne cesse de l’interrompre. « Les déclarations du prévenu sont peu crédibles. Les victimes l’ont reconnu formellement et ont fait des descriptions concordantes. Ses paroles sont plus que douteuses, sachant qu’il a déjà eu onze condamnations dans son casier judiciaire pour entre autres menace, outrage, dégradation et violence. C’est une personne qui a beaucoup de mal à respecter la loi, l’autorité, et à ne pas commettre de violence envers autrui. Trois témoins l’ont reconnu. Un procès-verbal de gendarmerie stipule qu’il était bien présent sur la commune de Bandrélé au moment des faits alors qu’il avait interdiction d’y être ».
La substitut a ainsi demandé douze mois de prison ferme. A l’écoute du réquisitoire le prévenu a réagi vivement. « Je ne connais pas cette personne. Je n’ai rien fait. On m’accuse de choses que je n’ai pas commises », clame-t-il. Après avoir délibéré, le tribunal n’a pas cru la version des faits du prévenu. « Je sais déjà que vous ne serez pas d’accord », déclare le président du tribunal avant d’annoncer la sentence. Il écope ainsi d’un an de prison ferme assortie de l’interdiction de porter une arme durant cinq ans.
B.J.