Si l’on doit énumérer les relations économiques bilatérales entre la France et la Tanzanie, soyons honnêtes, cela se veut très minime relevant du 0,01% des exportations tricolores, à destination de cette contrée subsaharienne; soit au bas mot, un profit de 71,3 millions d’euros en 2022. Niveau importation, le montant se situerait aux alentours des 35,8 millions d’euros selon le dernier rapport ministériel de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielles et numérique. Une importation de produits à faible valeur ajoutée, majoritairement ciblée sur l’industrie Agroalimentaire ( 12,3 millions d’euros ) ainsi que les produits « agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l’aquaculture » (11,9 millions d’euros ).
Pays pleinement émergent, grâce notamment à son activité portuaire propre à Dar es Salam et se positionnant 37ème selon le dernier classement de l’indice logistique des marchés émergents d’Agility (sur les 55 états que recense l’Union africaine), la Tanzanie, similaire en bien des points culturels et climatiques à notre île, aurait pourtant bien plus à offrir notamment en notre jeune territoire insulaire français. Et c’est bien dans cette aspiration d’émancipation départementale et de développement de coopération régionalo-internationale propre à Mayotte, que les choses peu à peu s’accélèrent tout comme l’ascenseur économique que semble prendre nos voisins outre Canal du Mozambique, notamment grâce à leur méga-projet de port à Bagamoyo, leur potentiel accord d’un tracé d’oléoduc chauffé depuis l’ouest ougandais jusqu’à leurs côtes océaniques indiennes, mais également leurs immenses autres potentiels en matière de Tourisme, de Pêche ou bien même d’Agriculture.
Dernier volet qui a vu sa signature d’accords, l’année passée pour le renforcement de la coopération pour plus d’inclusion et durabilité dans les transports urbains et les secteurs agricoles avec la France maison mère et, il y a peu, avec la Chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (Capam). Ce renforcement des liens Franco-tanzaniens n’est pas rien et une vision gagnant-gagnant se voudrait pour chacun des territoires.
Adapter le territoire de Mayotte selon ses propres spécificités
C’est la vision conseil et premiers ressentis que nous confie Fatma Washoto, cheffe de cette délégation tanzanienne et professionnelle du développement économique : « Mayotte est une île, en ce sens, les priorités et besoins ne seront pas les mêmes ciblés avec la métropole. Mayotte se rapproche extraordinairement de Zanzibar en termes de similitudes. Mayotte peut aisément prétendre être une destination à la fois business et détente comme il a été cas pour nous avec Zanzibar. Le business est question de caractère un peu comme un lion qui a faim, les similitudes peuvent être exploitées ici, tout comme d’autres opportunités auxquelles nous n’aurions pas pensé sur notre sol. Tout est a dévoré, tout est possible dans nos échanges et c’est la raison pour laquelle nous sommes là. Nous y croyons » .
Une vision à la fois internationale mais également plus réaliste à échelle locale qui fait donc écho au sol tanzanien et son développement global tant aspiré « Quels que soient les souhaits d’évolution sociale et économique, il est question de plans. Des plans nationaux ou bien même locaux qui de surcroit, et de préférence, s’accordent entre eux. L’essentiel étant d’avoir des plans réalistes allant des classes populaires, en passant par le monde économique privé, aux plus hautes instances du Gouvernement ». Et lui demandant quels seraient, selon elle, les axes prioritaires à développer sur notre île, elle nous répond : « Nous ne sommes là que pour une imprégnation de 3 jours mais ayant survolée l’île en arrivant, il y a beaucoup de vert, l’exploitation agricole semble un point essentiel dans l’autonomie alimentaire. Vous êtes entourés d’eau, la pêche est un indispensable marché à exploiter et professionnaliser, l’Éducation est un moteur incontournable à tout cela. Là est mon point de vue résumé et basique avec juste une perception très rapide du territoire. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce Monde est en perpétuelle évolution. Il faut accepter cela et savoir justement s’adapter en permanence, adapter ses plans. En Tanzanie, nous évoluons, il est également cas pour Mayotte ».
Le secteur de la construction se veut porteur
Parmi cette délégation, Yahya Y. Kambaulaya, homme d’affaires et patron de plusieurs entreprises notamment dans le secteur des transports de matériaux, de l’import ou encore de la construction : « Nous sommes aussi confrontés à une forte immigration et pression démographique sur notre sol, phénomènes d’insécurité compris, mais le travail de la surveillance des frontières, côtes incluses est également présent. C’est indispensable, tout comme il faut rendre nos territoires attractifs. Le tourisme est un apport économique extérieur non négligeable. Et pour nourrir tout ce monde, habitants et touristes, il est important que les ressources naturelles soient exploitées, l’industrie de la pêche est primordiale pour Mayotte. Il faut donc trouver ce juste équilibre entre attractivité, authenticité et rendement locaux. Une vision en plusieurs points qui rapproche nos 2 territoires ».
Et concernant le volet purement construction, qu’est-ce que nos 2 territoires justement peuvent mutuellement s’apporter ? « Mayotte semble déjà avoir une expertise intéressante notamment dans le domaine de la construction. Je suis plutôt issu de la terre continentale plus qu’insulaire mais je vois notre rapprochement comme un échange fertile. Mayotte ne doit pas avoir peur de construire, c’est de toute façon indispensable, au regard notamment de tout ce que je viens d’énumérer. Il faut bien loger tout ce monde. Nous sommes de plus en plus nombreux. Nous produisons beaucoup de nos matériaux directement sur place, en grande quantité bien sur. Des matériaux de qualité qui peuvent être profitables à Mayotte au besoin, sachant notre courte distance d’acheminement. Cela se veut intéressant du point de vue gain de temps, délais d’acheminement et coût moindre en comparaison d’une destination plus lointaine, même nationale européenne. Nous importons également des matériaux venant de l’étranger, voire même de loin; l’expertise de Mayotte ne nous laisse pas indifférents, c’est certain. Il serait intéressant que Mayotte nous perçoive comme un territoire dans son prolongement ».
Une évolution aisément comparative
Le président de la Chambre de commerce nationale de Zanzibar, Ali Suleiman Amour, est l’un des rares de cette délégation à être déjà venu sur notre sol en 2011 et 2012, une vision intéressante quant à la trajectoire de notre département : « Nos 2 pays, je dis pays mais entendez Mayotte, sont assez similaires dans leurs évolutions sociale et économique qui dépendent principalement de ressources naturelles essentielles à l’autonomie, notamment alimentaire. Du point de vue culturel, culinaire, traditionnel, nous sommes clairement cousins. Et concernant l’évolution de Mayotte, elle est marquée depuis l’aéroport. La modernité proposée désormais est très loin de la petite cahute que j’ai connue près de 10 ans en arrière. Nous sommes tous deux émergents mais je note que Mayotte a un développement en matière de nouvelles technologies et de numériques qu’il serait fort intéressant pour nous d’accroitre en notre pays. Je pense que nous devons marcher main dans la main ».
L’Agriculture Tanzanienne, une bonne longueur d’avance…
Parmi les convives rencontrés lors de cette seconde matinée d’immersion qui se voulait basée sur la « Gastrodiplomatie » selon les propres termes des représentants mahorais de la Capam, il était intéressant de rencontrer divers acteurs ayant un regard technique à la fois sur notre île mais également la terre tanzanienne, dont près de la moitié de sa superficie (945 087 km2 au total) se veut dédiée à l’économie agricole, armée de ses 70% de la population active, évoluant dans ce domaine professionnel. Et contre toute idée reçue, le Kenya n’est pas un exploitant plus important en ce domaine; il est bien utilisateur sous-jacent de la partie nord de la Tanzanie.
Ce regard pratique et objectif, c’est Houssen Kikabay, directeur de la coopérative Dream Farms basée à Mayotte et en majorité, sur la Tanzanie qui nous le partage : « En matière d’agriculture, nous avons clairement un train de retard sur notre île. La Tanzanie comporte 28 régions, et chacune d’entre elles offre un école dédiée à l’Agriculture. Il est tout à fait possible d’envoyer nos jeunes là-bas pour se former. Des accords antérieurs de partenariat avaient été signés mais c’est tombé à l’eau. La Capam ouvre de nouveau la voie et il est impératif de s’y engouffrer. Historiquement, Mayotte s’est renfermée à la coopération régionale pour se préserver notamment lorsque des épidémies vivrières étaient apparues. Je prends l’exemple des bananes infectées dans les année 90. Il faut peu à peu reconnecter les liens et se rassurer mutuellement ».
Des liens aussi basés sur le cahier des charges français et ses normes en matière d’utilisation de certains pesticides interdits mais encore utilisés dans l’Agriculture tanzanienne. Et c’est dans cette conjointe évolution de confiance, tant dans les pratiques que dans l’allégement des lourdeurs administrativo-législatives d’import-export, que nos 2 nations doivent évoluer : « Dans notre travail de coopération, nous sommes justement amenés à tester le sol et voir quelle(s) exploitation(s) nous pouvons envisager et le test des résidus chimiques est aussi inclus. Donc ce travail d’accompagnement et d’évolution entre nos 2 territoires est déjà en place. Nous apportons une expertise plus occidentalisée et normée, nourrie d’une sensibilisation, tout en nous imprégnant de leur système d’exploitation qui incarne tout de même une avance que nous n’avons pas au regard, par exemple, d’un système d’irrigation extraordinaire, de réserves d’eau habilement stockées et exploitées ». Une saine et bienveillante diplomatie agricole où la France a aussi grandement à apprendre, sachant que l’Europe et d’autres pays internationaux, tel que le Canada, investissent justement beaucoup en Tanzanie.
Au regard du fort potentiel régional plurilatéral qu’il est désormais indispensable de développer pour notre territoire, espérons que ce nouveau pas de rapprochement Est-africain, franchi grâce à la Capam, soit le point départ de bons nombres d’échanges fructueux pour l’autonomie de notre petit territoire ultramarin et franco-européen qui ne demande qu’à éclore dans ce giron géographique qui est aussi sien et pour lequel, il se doit de reconnecter économiquement et culturellement.
MLG