Ce week-end, les « job dating » ont fleuri dans les communes de l’île, et avec un format qui s’affine vers davantage d’originalité. Ces entretiens d’embauche qui se déroulent en 5 à 10 minutes entre les candidats et les employeurs se sont modernisés.
A Koungou, c’est sur le terrain de sport, que, ballon de rugby en main, les demandeurs d’emploi ont tenté de décrocher un job ! Il s’agit de l’opération « Du stade vers l’emploi », qui entre dans le cadre des Jeux Olympiques Paris 2024. Des Jeux qui seront le théâtre de compétitions sportives, mais pour lesquels les organisateurs ont voulu propulser les valeurs du sport hors de ces arènes. En 2022 s’était ainsi tenue la 1ère édition « Du stade vers l’emploi », axé sur l’athlétisme et en partenariat avec la commune de Mamoudzou. « Nous avions finalisé 20 insertions de demandeurs d’emploi sur 60 », rapporte Gabrielle Kuola, Responsable service partenarial et FSE chez Pôle emploi.
Cette fois, c’est avec la mairie de Koungou que s’est noué le partenariat, et sur le thème du rugby. C’est donc la fédération nationale de ce sport qui finance l’événement.
Le principe est novateur : « Les demandeurs d’emploi sont en action sur le terrain avec différents challenges, sans savoir que de potentiels recruteurs sont là, tout en étant infiormés que dans l’après-midi ils ont un job dating avec eux. En réalité, ils sont observés sur différents critères, l’attitude, le savoir être, etc. Des données déterminantes pour les recruteurs. »
Douze entreprises sont présentes, dont certaines avec de multiples offres d’emploi : 11 pour BDM (Carrefour), 17 pour Randstad, 11 pour le RSMA, etc. « Il y a 40 offres d’emploi en tout ».
Le lancement de l’opération s’est fait en présence du sous-préfet Cédric Kari-Herkner, du directeur territorial de Pôle emploi Christian Saint-Etienne et de l’adjointe au maire de Koungou. Après le sport en plein soleil, le réconfort avec un déjeuner partagé à midi.
Faute d’action, les potentiels cadres finissent au rectorat
A quelques kilomètres de là, à Bouyouni, on mettait en place un nouveau concept de la recherche d’emploi, le « job dating inversé ». Non que les recruteurs se mettent à la place des chômeurs et vice-versa, mais parce que ce sont les premiers qui se mettaient en quête de profil collant à leur activité, que leur proposaient des étudiants en fin de parcours. Vous l’aurez compris, l’événement s’adressait à de futurs cadres, que l’on oublie trop souvent à Mayotte, supposant qu’ils auraient moins de difficulté à décrocher un job que le public non diplômé. Ce qui n’est pas toujours vrai, surtout que beaucoup de ces profils recherchent en priorité en métropole. « Garantir à ces étudiants en fin d’étude une promesse d’embauche va permettre de faire revenir les cerveaux à Mayotte. Et lorsqu’ils reviennent d’eux-mêmes, ils sont souvent perdus à leur retour et sont recrutés par le rectorat », nous rapporte Kiladati M’dallah Mari, Chargée de mission chez Mayotte Entraide Etudiants (M2E).
Une action que l’association mène sur financement de la préfecture dans le cadre du programme national « Cadres d’avenir », et qui a également bénéficié de l’APEC Réunion Mayotte, TOPONYMY et du MEDEF.
C’est en visio que 5 étudiants sur les 19 sélectionnés ont échangé avec une vingtaine d’employeurs potentiels. Leur profils de futur ingénieur en bâtiment, ou en électronique, ou en génie civil, ou encore de master en innovation sociale ou de chargé de communication, a incité les entreprises ou bureaux d’études présents à proposer des offres assez intéressantes pour envisager une conclusion heureuse pour eux : « L’ingénieur en bâtiment et la Chargée de communication ont eu chacun cinq employeurs positionnés sur leur profil, les autres trois. » Au terme de la journée, des propositions concrètes de contrat ont été faites à 4 candidats, « le choix définitif se fera dans les jours à venir par ces derniers ».
Des candidats heureux et qui peuvent donc également compter désormais sur un accompagnement de l’APEC (Association pour l’emploi des cadres) qui a installé une antenne il y a quelques mois à Mayotte.
Les 14 autres candidats feront l’objet de prochains « job dating inversés ».
Mayotte doit se spécialiser dans la région
Tous les demandeurs d’emploi n’ont pas l’opportunité d’avoir autant d’employeurs à leurs pieds. Le marché se sature vite à Mayotte, beaucoup n’ont pas de diplômes, pas de papiers, pas de maitrise de la langue, se précarisent et deviennent la proie des bandes, on connaît la suite. Saïd Mohamadi, directeur et membre fondateur de l’Association des Etudiants et des Jeunes de Mayotte (AEJM), est force de proposition pour le défi qu’il rappelait chez nos confrères de Mayotte la 1ère : « Cette année, 6.000 jeunes vont passer le Bac, 1.800 se sont inscrits au CUFR, dont la capacité de nouvelles inscriptions est de 400 étudiants. Parmi les 1.400 qui restent, certains auront un titre de séjour valable pour l’inscription en fac en métropole, qui ne le sera pas forcément au moment des examens, or c’est obligatoire. Et si on prend en compte l’ensemble des élèves qui sortent du système scolaire, une grosse majorité n’est pas affiliée à la Sécurité sociale, indispensable pour s’inscrire à Pôle emploi ou à la Mission locale. Et reste donc sur le carreau ».
Nous l’avons contacté pour approfondir avec lui les deux solutions qu’il préconise : développer la voie professionnelle au delà de l’existant, et positionner Mayotte dans le marché régional de l’emploi. Et la 2ème doit provoquer la 1ère. « Maurice s’est positionnée au cœur de l’océan Indien sur la formation aux grandes écoles dans l’aérien et le maritime, La Réunion comme hub en médecine, mais Mayotte reste en retrait. Nous devons dépasser notre blocage politique d’une revendication de la part des Comores. Nous sommes département, mais qu’est-ce qu’on en fait ? On continue d’argumenter sur le plan politique, ou bien nous nous mettons en quête de développement au sein de l’océan Indien ? »
Il entrevoit plusieurs thématiques éventuelles d’ancrage régional, sans exhaustivité : « Nous sommes pour l’instant une île en développement, positionnons nos organismes de formation sur le social, nous n’avons pas assez de monde en éducation populaire, animation et autre alors qu’ils seraient de suite employables et contribueraient à infléchir la délinquance, ou en informatique, mais également, dans un des métiers liés au gisement gazier du Mozambique. Nous ne sommes pas force de proposition. Les malgaches et les mauriciens invitent les mahorais à investir chez eux, profitons en pour créer l’université de l’océan Indien. Faute de quoi, les cerveaux vont partir vers les autres îles, alors que par ces spécialisations, nous pourrions les attirer au contraire vers Mayotte. »
La formation professionnelles ou l’isolement fatal, il faut choisir
Des filières d’études qui seraient donc spécialisées, et pour lesquelles on pourrait régulariser les jeunes qui répondent aux critères administratifs afin qu’ils suivent ces cursus. Pour éviter « l’appel d’air », il suffirait d’appliquer les règles nationales, indique-t-il : « En métropole, les écoles ou l’université sont payantes. Un jeune comorien qui part faire ses études à Nairobi paie des frais de scolarité. Il faut faire pareil. Ensuite, les jeunes une fois formés pourront repartir chez eux. A La Réunion, sur les 20.000 étudiants, 40% viennent d’une autre académie. Ils consomment et concourent au développement du territoire. »
Faute d’action, le cercle très vicieux va continuer à s’amplifier : « Parmi les bacheliers, beaucoup n’ont pas le niveau, recommencent 4 à 5 fois une première année de fac en métropole, finissent par avoir honte de revenir, et c’est l’isolement. S’ajoutent ceux dont le titre de séjour n’est pas renouvelé en raison de leur échec universitaire, ils sont expulsables, et cherchent à avoir un bébé espérant régulariser leur situation. Il vaut mieux qu’ils intègrent direct une formation professionnelles certifiante. Un assistant social à Mayotte est quand même rémunéré 2.800 euros ! »
Le tout juste trentenaire reprend ce que nous ciblons comme une schizophrénie de l’Etat, l’instruction obligatoire à 3 ans, et l’expulsion du territoire à 16 ou 18 ans, « l’Etat forme et après, on ne fait rien de ces jeunes. C’est de l’investissement perdu. Il faut mettre en place ces spécialisations régionales de formation professionnelles, le développement économique doit permettre de s’affranchir du débat politique, j’en suis persuadé. Et vous allez voir qu’à ce moment là, la Commission de l’océan Indien, on l’intègrera ! »
En résumé, Saïd Mohamadi invite à « penser région ».
Anne Perzo-Lafond