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Wuambushu : l’effet bloquant du judiciaire dénoncé

Le législateur a fourni des armes à Mayotte pour lutter contre l’immigration clandestine. Qui se sont peu traduites dans les faits depuis le début de l’opération Wuambushu du fait de décisions des robes noires. Différentes raisons à cela, estiment plusieurs prises de positions.

Les caméras et les flashes des médias nationaux étaient prêts à capter l’instant, mais l’opération de démolition d’habitats insalubres avait été annulée le 25 avril dernier. Elle était pourtant le porte drapeau des programmes de démolition initiés par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin sous l’appellation initiale de Wuambushu. Cette suspension avait été ressenti comme un séisme qui avait fissuré jusqu’aux murs des tribunaux, mettant en exergue le rôle de la justice dans cette affaire.

Et notamment, du tribunal judiciaire. Habituellement, c’est la juridiction administrative qui statue en terme de recours contre les ordonnances et arrêtés préfectoraux. C’est d’ailleurs elle qui avait donné le « la » en donnant droit en référé à la demande d’une vingtaine d’occupants des cases en tôles. Si le travail d’enquête sociale avait été fait, les pièces prouvant une offre individuelle de relogement n’avaient pas été fournies lors du procès, et n’étaient pas annexées à l’arrêté préfectoral lors de sa publication. Le juge des référés est revenu ce 13 mai sur cette décision, la préfecture lui en ayant fourni les preuves. La démolition des 20 cases est donc autorisée, sous réserve de fournir les attestations de scolarisation des enfants des familles concernées, et de stockage de leurs biens meubles.

Mais la 1ère décision de suspension par le TA avait été suffisante pour que le tribunal judiciaire annule dans sa totalité la procédure de destruction, en jugeant de l’imbrication des habitations en tôle ne permettaient pas d’épargner les unes pour préserver les autres.

Une décision très commentée, la proximité de la présidente du Tribunal judiciaire et pour l’occasion, de l’audience, Catherine Vannier avec le Syndicat de la Magistrature avait été dénoncée par nos confrères d’Europe 1. Rien de répréhensible en soi, en dehors de la prise de position de l’organe syndical contre l’opération Wuambushu quelques jours avant, pour se plaindre que les juges soient « la caution utile d’un gouvernement s’apprêtant à mener une opération qui, par son envergure et ses objectifs, amènera très certainement des violations massives des droits humains. »

D’autre part, ce n’est un secret pour personne, les relations au sein du tribunal entre les juges de la brigade de renfort vus comme des pro-Wuambushu, et certains autres magistrats ne sont pas au beau fixe.

Le Tribunal administratif avait donné le « la », avant de revenir sur sa décision ce week-end

Adapter le droit de l’Etat à Mayotte

S’en est suivi une quantité d’analyses et d’articles qui posent la question sur qui détient les rênes, le politique ou le judiciaire ?

C’est notamment le cas d’une tribune titrée « Opération Wuambushu : analyse juridique et considérations contre l’habitat illégal à Mayotte », signée de Jérôme Millet, administrateur de l’Etat, dont le doctorat en droit l’incite à revenir sur le parcours judiciaire de l’opération Wuambushu, mais qui s’exprime aussi au titre d’ancien sous-préfet à la cohésion sociale de Mayotte.

Il résume en une phrase la difficulté pour la puissance publique d’agir dans les limites de la loi dans le 101ème département : « Mayotte tâche de faire face à l’immigration non pas en sortant de l’État de droit mais en adaptant le droit de l’État. »

Et nous annonce un possible scoop : le futur projet de loi immigration pourrait « contenir des dispositions qui auraient pu ou dû trouver leur place dans le projet de loi pour un développement accéléré de Mayotte », retoqué l’année dernière par les élus. On sait entre autre que Gérald Darmanin voulait conditionner la présence régulière des deux parents dans les neuf mois avant la naissance de l’enfant.

Si l’ancien sous-préfet ne le dit pas, l’inaction des pouvoirs publics jusqu’à présent, maires, préfets, gouvernement, a laissé l’île dans un abandon de ses terres aux arrivées incessantes, la situation est devenue telle qu’il faut déroger aux textes qui régissent le pays. Souvenons nous des décasages sauvages que pratiquait la population, notamment dans le Sud, contre l’habitat illégal, amenant des dizaines de familles à dormir sur le parvis du Comité du Tourisme pendant de longs mois, sous les intempéries. La loi ELAN, pensée pour Mayotte et la Guyane, est venue en quelque sorte légaliser cela, et permettre des relogements en attendant la reconstruction d’habitats en dur. C’est en tout cas la première des avancées permises par le législateur que souligne Jérôme Millet.

Jérôme Millet lorsqu’il était secrétaire général adjoint de la préfecture de Mayotte

Une autre, la brèche dans le droit du sol des amendements Thani soumettant l’acquisition de la nationalité à la présence en situation régulière d’au moins un des parents dans les trois mois avant la naissance de l’enfant. Jérôme Millet met l’accent sur l’argument avancé par le Conseil constitutionnel pour la valider : « la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé et croissant d’enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est ainsi soumise à des flux migratoires très importants. Ces circonstances constituent, au sens de l’article 73 de la Constitution, des caractéristiques et contraintes particulières de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l’immigration irrégulière à Mayotte, d’y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France »

« Le gouvernement des juges ? »

Autre dérogation qu’il souligne, celle portant sur l’étendue géographique « à l’ensemble du territoire » dans laquelle des contrôles d’identité de toute personne peuvent être réalisés en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi, pour les mêmes raisons.

Des dispositifs fournis par la loi donc. Pourtant, ce sont des décisions judiciaires qui les ont contrés : « Le département de Mayotte dispose de dispositifs juridiques exorbitants du droit commun, notamment pour lutter contre l’habitat illégal, mais cette faculté accordée au préfet de Mayotte, parfaitement encadrée, est de plus en plus contestée sur le terrain juridique », souligne l’ancien sous-préfet.

Qui fait écho à la 1ère note publiée par l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie*, « Politique d’immigration : le gouvernement des juges ? », très critique sur la traduction que font les juges sur le plan national des avancées permises par la loi.

Il y est mentionné que le projet de loi « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » présenté par le Gouvernement le 1er février 2023, « vise principalement à faciliter l’immigration économique, tout en prévoyant quelques aménagements juridiques à la marge. » Mais que ce texte ne prévoit « aucune réforme d’ampleur de l’asile et de l’immigration familiale », avec une explication : « Ces deux champs sont presque exclusivement déterminés par des évolutions jurisprudentielles ayant fait primer les droits et libertés des étrangers sur l’intérêt général et la souveraineté nationale. »
Sont présentés différents freins jurisprudentiels « qui contreviennent à tout projet de réduire les flux migratoires ».

« La conscience du préfet »

Dans une interview au Figaro, titrée « Mayotte loupe grossissante des dysfonctionnements de notre droit », l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl dénonce « la non prise en compte de l’intérêt général par le juge judiciaire est un de ces dysfonctionnements de notre organisation étatique en matière d’ordre public ».

Gendarmerie, Mayotte
Le Comgend aux côtés du préfet lors de l’opération de démolition de Carobole

Les différents procès en cours contre les programmations de démolition de l’habitat insalubre de l’opération Wuambushu montrent en tout cas qu’une autre variable entre en jeu : la médiatisation. Les opérations de démolition de centaines de cases en tôle dans plusieurs quartiers de Mayotte ont été jusqu’à présent menées sans trop d’oppositions à la barre, ce fut le cas de Jamaïque et Carobole à Koungou. Et alors que les enquêtes sociales n’avaient été minimes. Mais estampillée Wuambushu, et dans le viseurs des médias nationaux, Talus 2 annoncée comme exemplaire en terme de relogements et accompagné par une association, n’a pu être menée sous l’effet d’une double décision judiciaire.

Pour les avocats des plaignants, ce n’est pas une « hystérisation du judiciaire », comme on a pu l’entendre à la barre, mais une manière de contraindre l’Etat à respecter le cadre de la loi ELAN, « nous sommes la conscience du préfet », a dit l’un d’entre eux. La loi est donc venu au secours de Mayotte, et les tribunaux auraient veillé à son application stricte…

Anne Perzo-Lafond

* L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) a été fondé en 2020 par un groupe de hauts fonctionnaires et de membres de la société civile (entrepreneurs ou simples citoyens). Il se veut une structure d’étude et d’information relative aux évolutions migratoires et démographiques de la France, destinée aux décideurs ainsi qu’à l’ensemble des citoyens intéressés par ce sujet.

 

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