Cela fait près de 3 semaines que le temps s’est arrêté pour les forces de l’ordre, leurs autorités mais aussi les habitants du dit et tant médiatisé quartier du Talus 2, en la commune de Koungou. Un quartier classé comme bidonville, voué à être détruit et qui se voulait être, quelque part, l’implicite vitrine du lancement officiel de la fameuse opération qui brule toutes les lèvres : Wuambushu. Une vitrine de part le fait d’une préparation bien en amont, notamment au niveau de l’indispensable logistique humaine et de la prise en charge de toutes ces familles. Et pourtant, la machine qu’on pensait bien huilée, surtout du côté préfectoral, s’est vue déjà réfrénée bien en amont lorsque les désapprobations se sont présentées en tout début février dernier, auprès du président du tribunal administratif de Mayotte, Gil Cornevaux. Cette histoire sentait déjà la complexité. Une complexité sur un fond d’illégalité foncière certes, mais aussi de réalité et misère humaine pour laquelle on a fermé les yeux depuis bien trop longtemps. La force des années ayant pris pour acquis certains volets tolérés, voire implicitement validés par les municipalités, au regard d’un actuel et radical changement qu’il est aussi ordonné dans les missions d’harmonisation et de régularisation que se doit d’appliquer le préfet, Thierry Suquet en notre département. Dure dichotomie où s’affrontent manifestement une sincère bonne foi de propositions de relogements concrets d’un coté, contre, pour certaines familles, la perte parfois de près de 30 ans vie en un quartier jugé « insalubre présentant un danger immédiat« , alors qu’il s’y était créé depuis bien longtemps, une sorte de village avec des commerçants, une vie de quartier et des habitats en tôle, certes, mais spacieux pour certains, sur des parcelles qui se voulaient, preuves à l’appui, manifestement en cours d’acquisition auprès de ladite mairie concernée. Je réitère, avec saine neutralité et non parti pris, dure dichotomie…
Une audience à la demande du préfet
Lors de la requête en référé de ce mardi 9 mai (relative à la requête du 13 avril émise par le préfet de Mayotte visant à obtenir la levée des suspensions ordonnées par le juge des référés), ce sont donc des éléments nouveaux qui ont été apportés par Maitre Alain Rapady et son confrère Maitre Olivier Tamil, tous deux avocats à la Réunion et représentant le préfet. Des éléments nouveaux selon les précités apportant preuves que tout le nécessaire juridico-pratique avait été fait, notamment en matière d’anticipation et de proposition de relogement sur place et ce, au cas par cas tenant compte, je cite : « de la situation de chacun des requérants ». Et c’est notamment sur ce point litigieux que Maître Marjane Ghaem, avocate des 20 familles concernées et aux prémices de cette affaire, souhaite faire entendre son opposition :
« Moi ce qui me gêne le plus au regard de cette loi ELAN, c’est l’absence d’individualisation. On traite la situation sous une approche globale. On essaie de régler une situation, sur un périmètre donné, sans tenir compte d’une distinction qu’il faut avoir. Oui bien sur, il y a celui qui a construit sa case sans aucune autorisation et qui n’a rien d’un résident légal mais il y a aussi une habitante en règle, qui travaille, qui a un logement qui est ce qu’il est, car elle n’a pas eu d’autres options et qu’elle risque de perdre, avec tous ses biens, s’il est acté cette démolition. Au final, on va l’appauvrir plus que l’aider. C’est ça la réalité ».
Des preuves peu tangibles
Selon l’avocate des familles présente à cette audition, Maitre Yseult Arnal (Barreau de Nantes), ces fameux éléments nouveaux sont insuffisants pour permettre la levée de suspension de cet arrêté demandé par la partie adverse. Selon elle, les éléments informatifs en lien justement avec les caractéristiques de ces fameux logements transitoires sont plus que sommaires, voire inexistants. Et les logements proposés sont insuffisants voire inexistants au regard des familles concernées.
Aucune précision quant à la taille, la configuration et les garanties logistiques adaptées au cas par cas des besoins de chaque famille. Et concernant l’engagement de la Préfecture au regard de la gestion des biens et de l’ameublement de ces personnes, là encore, Maitre Arnal est plus que sceptique et dénonce comme sa consœur, précitée, un danger d’appauvrissement accentué pour ces familles qui souhaiteraient, par le biais de l’ensemble de leurs avocats, bénéficier d’une extension de suspension au regard de cet arrêté de démolition.
La décision de lever ou non cette suspension sera rendue en cette fin de semaine par le juge des référés, Gil Cornevaux. Quelle que soit cette décision, qui impliquera forcément de profondes complexités louables et respectables, suivant les respectives parties, Il est à noter l’aspect tout de même symbolique d’entraide sociale des communautés mahoraise et comorienne dans ce dossier. Une indéfectible solidarité de ces habitants du Talus 2, quelque part village gaulois résistant et ce, dans les épreuve et risque de perdre tout un pan de vie. Qu’il soit ou non question de légalité foncière, on ne peut se poser en juge à la place du juge en gardant toujours à l’esprit : qu’aurions-nous fait si nous avions été à leur place ? Grand débat où l’avis tranché et binaire ne peut exister. Les concitoyens mahorais souffrent tous, qu’ils vivent dans des maisons de briques ou de tôles. Nos avocats ne sont pas des pro-révolutionnaires anti-lois et nos membres exécutants Gouvernement ne sont pas non plus des cyborgs déshumanisés; tâchons avec respect et bienveillance de ne jamais l’oublier.
La rédaction du JDM vous tiendra informés.
(Modifications relatives à la redéfinition d’appellations juridiques apportées le 14/05/2023)