Ce n’est pas tous les jours que la salle d’audience du tribunal de Mamoudzou est presque remplie, en ce mercredi après-midi, pour assister aux comparutions immédiates. Il faut dire que ces comparutions devaient avoir une saveur particulière puisque c’est la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou en personne, Catherine Vannier, qui assurait la présidence des audiences et des débats.
Après un léger couac au démarrage dû à l’absence d’interprète parlant Anglais ou Hindi et ne pouvant donc pas traduire les décisions du tribunal au prévenu, cette première affaire a donc été renvoyée. Ce fut ensuite l’examen devant le tribunal d’un passeur interpellé dans son kwassa kwassa avec 23 passagers qui a été jugé. Les propos de ce dernier souvent incohérents et parfois farfelus n’ont pas manqué de faire sourire, même rire, l’auditoire. Ce qui faisait dire à certaines personnes venues pour l’occasion : « Ça se passe souvent comme ça ici ? ». Ajoutez à cela les problèmes de son et de suspension d’audience et cela aurait pu être un sketch.
Mais si la salle d’audience était bien remplie à la fois du public, des médias et des avocats, c’était surtout pour assister à la comparution de deux individus interpellés le 27 avril dernier et qui ont participé activement aux émeutes et aux troubles qui se sont déroulés à Tsoundzou du 23 au 25 avril.
Des violences qui ont choqué la population
Parmi ces deux individus, le chef de bande, Anli Prince, à l’origine des incidents qui ont fait le tour des télévisions et des radios et dont l’ensemble des médias nationaux et internationaux n’ont pas manqué de diffuser des images de chao. La présidente du tribunal étrille de façon interminable pendant de longues minutes les faits qui leur sont reprochés, à savoir vols de tablettes, de téléphones, de passeports, et de nombreux biens matériels, auxquels il faut ajouter la destruction d’un camion benne de 19 tonnes par incendie, la destruction de multiples véhicules, de voitures, d’une mini pelle…, des menaces de mort, des harcèlements; bref la liste semblait ne plus finir.
Maître Andjilani, avocat de la défense et notamment de la dame dont les voyous ont pillé la maison et l’ont menacée de mort, a pris la parole pour demander à ce que le parquet se pourvoit pour lancer une procédure devant un juge d’instruction. « La comparution immédiate est inappropriée pour cette affaire qui est complexe, et face à la violence des faits qui se sont produits. Il faut garantir le droit des victimes », argumente l’avocat. Le ministère public a rejeté cette requête estimant qu’il « comprenait la déception de voir seulement deux individus jugés aujourd’hui » sur la centaine qui était impliquée dans les violences mais que le fait de lancer une procédure devant un juge d’instruction prendrait des mois d’investigation et de lourdeurs procédurales tant et si bien que l’affaire ne serait jugée au mieux que d’ici 2 à 3 ans. « Les enquêtes continuent, le parquet poursuit son travail, indique l’avocate générale. Une procédure longue ne sera pas efficace », poursuit-elle. Après une suspension d’audience le tribunal a donc décidé de juger cette affaire ce mercredi 3 mai.
« Il faut agresser les blancs et les mahorais »
Durant ces trois jours de violence, du 23 au 25 avril, une centaine d’individus cagoulés et habillés de combinaisons blanches avaient terrorisé la population, dégradé des biens, incendié des véhicules, jeté des cocktails Molotov, pillé des maisons et caillassé des automobilistes. La présidente du tribunal se tourne alors vers le second accusé âgé de 19 ans, Yanik Djaffar et lui demande : « Comment expliquez-vous toute cette violence ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi tant de violence à l’encontre de gens qui n’ont rien fait ? – On m’a dit d’y participer, répond l’accusé la tête basse. La présidente du tribunal lui rétorque « On vous dit de vous jeter d’une falaise et vous le faites ?
« Pourquoi vous avez participé ? insiste-t-elle. – On m’a forcé à le faire. – Vous ne savez pas dire non ? – Anli m’a dit de participer car sinon les policiers allaient m’interpeller et brûler ma maison. J’ai pris un châle pour me cacher le visage et nous sommes allés affronter la police », indique-t-il. Puis c’est au tour de la procureure de prendre la parole, visiblement remontée… « Que pensez-vous des faits que vous avez commis par rapport aux victimes ? Qu’ont elles pensé à votre avis face à une horde de jeunes armés ? Avez-vous réfléchi à cela ? – Non, répond le mis en cause. – Et bien réfléchissez maintenant et dites-nous. – Je ne sais pas. La peur ! – Il sait ce que ça veut dire la peur ?!! », en s’adressant à l’interprète.
Puis ce fut au tour du chef de la bande, du meneur de se faire interroger. C’est lui qui aurait récolté de l’argent pour acheter de la nourriture et des boissons aux délinquants et leur aurait fourni ces fameuses combinaisons blanches. Il aurait aussi donné l’ordre de caillasser les policiers et de faire des barrages en réponse à l’opération Wuambushu, mais également de s’en prendre aux maisons appartenant aux blancs pour les piller. Cerise sur le gâteau, ce même Anli Prince appartient au comité de Tsoundzou depuis 2018 et dont le rôle, de son propre aveu, est de surveiller les jeunes pour éviter les violences dans les villages, de défendre les écoliers et d’éviter les vols à l’arraché. C’est lui aussi qui a donné l’ordre d’agresser les blancs et les mahorais et aurait soumis l’idée de se déguiser en femmes pour perpétrer des agressions.
Quand la présidente s’adresse à lui et lui demande ce qu’il pense de ces violences et de sa participation, il nie. « On m’accuse à tort. Ce sont des mensonges. – Pourtant beaucoup de monde parmi les gens interpellés vous mettent en cause. Pourquoi ? – C’est gratuit, je ne l’explique pas ». Face à ce mutisme et visiblement lassée de ses réponses, la présidente décide de laisser la parole aux différentes parties. « Nous n’irons pas plus loin avec vous dans vos explications semble-il… ». Après plusieurs heures de procès, le parquet avait requis contre les deux accusés une peine de quatre ans contre, Yannick J. ainsi qu’une interdiction du territoire français (ITF) et six ans contre Anli Prince, qui était déjà astreint à une interdiction définitive du territoire français.
Après avoir délibéré, le tribunal condamne Anli Prince à six ans de prison et maintient une interdiction définitive du territoire français, quant à Yanik Djaffar, il écope de cinq ans de prison dont deux avec sursis et l’obligation de suivre une formation.
B.J.