L’arrêté préfectoral de démolition attaqué en justice date de décembre 2022. Mais la préparation de cette opération financée par l’ANRU (Agence nationale de Rénovation Urbaine) se compte en années. En janvier 2020, une piste est aménagée et en mars 2021 les premières habitations en vue de reloger les habitants des quartiers insalubres sortent de terre et seront inaugurées par le préfet Colombet. « Nous venons de démontrer que les bidonvilles ne sont pas une fatalité », avait lâché le maire de Koungou Assani Saindou Bamcolo dont la politique a évolué depuis les premières opérations, vers une meilleure prise en charge des habitants. Alors que la loi française n’ouvre aucun droit sur l’accès au logement pour les étrangers en situation irrégulière, beaucoup de dérogations sont faites à Mayotte notamment pour ceux qui sont installés depuis longtemps.
D’autres logements ont été construits sur les hauteurs du Talus 2, dans lesquels s’étaient aussi rendus d’illustres visiteurs, se sont rajoutés les Algeco à Hamachaka pour une dizaine de familles, avec accompagnement dans l’éducation des enfants, notamment à l’aide aux devoirs.
Parmi les 75 ménages concernés par la démolition, 20 avaient décidé d’émettre un recours en justice. Leurs avocats voyaient dans le Talus 2 un quartier « d’habitats durables » avec des résidents « en règle », ayant entrepris des démarches d’immatriculation des parcelles, alors que la préfecture mettait en avant l’insalubrité de lieux à risque au regard de la friabilité du terrain, ainsi que les multiples propositions de relogement faites à l’ensemble des habitants. Le 27 février, le président du tribunal administratif suspendait la décision de démolition au motif d’un déficit de propositions de relogement.
Des logements adaptés
Dimanche dernier, donc à 48 heures de la démolition, un pool de 11 avocats de différents barreaux a saisi en référé (en urgence) la présidente du tribunal judiciaire pour ordonner au préfet de cesser toute démolitions visées par son arrêté du 2 décembre 2022, de mettre à disposition des habitants des lieux de stockage pour leurs biens et documents personnels, de proposer des solutions de relogement adaptées à leurs compostions familiales ou de handicap. Car les propositions de relogement remises ce 8 avril sont qualifiées par les requérants comme « inadaptées », induisant leur « mise à la rue », rapporte l’ordonnance en référé que nous nous sommes procurée.
La conseil du préfet de Mayotte répondait que les 20 habitations visées n’étaient pas concernées par la démolition puisque suspendue à une nouvelle décision de justice, que les architectes émettaient un avis en distanciel, et que la société AGS avait été mandatée pour stocker les biens des délogés, comme cela leur a été expliqué ce lundi.
Jurisprudence sur les autres opérations de démolition ?
Les architectes sollicités par les avocats mentionnent des habitations trop « imbriquées » pour que la destruction des unes ne provoque celles des 20 autres, qui devaient précisément être momentanément épargnées. Il rajoute que la « déclivité importante » rend l’opération « encore plus risquée ». Un dénivelé « important », qui est une des raisons de craindre l’effondrement des cases justement. La présidente a tranché, « il est ordonné au préfet de cesser toute « opération de démolition des habitats visés », de mettre à disposition des lieux de stockage pour la préservation de leurs biens, de proposer des solutions de relogement adaptées aux familles concernées. »
Nous avons contacté Assani Saindou Bamcolo, quelque peu abattu : « Je regrette que cette opération ait été suspendue, car il en va de l’aménagement de notre commune et de la qualité de vie des habitants qui vivent dans des conditions déplorables. A la place des cases insalubres, ce sont 50 logements que nous devons construire en contrebas, les études de faisabilité sont faites. »
Pas de démolition donc ce mardi, ce qui interroge sur la suite des opérations. Car celle-ci était affichée comme parmi les mieux préparée, alors qu’avant elle, pas d’opposition judiciaire pour Carobole ou Jamaïque aux enquêtes sociales moins performantes, pour ne pas dire inexistante pour la seconde. Y aurait-il deux poids deux mesures lorsque le label « Wuambushu » est estampillé par un ministre nommé Darmanin sur une opération ? Dans ce cas, que peut-on attendre des 5 autres opérations annoncées par le préfet comme « validées par le juge administratif » ?
Maxi chat et mini souris
Nous avions titré hier sur des écueils entachant la première journée de l’opération de restauration de l’ordre public, mais ils semblaient cacher une face émergée bien plus imposante. Car à cette suspension de démolitions, vient s’ajouter la difficulté de canaliser et d’interpeller les bandes qui sèment la terreur sur les routes. En témoignent les trois heures d’attente des automobilistes sur les routes du Nord ce mardi en raison d’un jeu entre maxi chat et mini souris défiant ce déploiement massif de forces de l’ordre. S’il n’y avait ce mardi qu’une seule interpellation après les violences de la veille à Tsoundzou, trois interpellations sont signalées par la gendarmerie parmi les agresseurs cagoulés d’automobilistes à Boueni.
Enfin, l’opposition des Comores aux reconduites, dont le gouvernement vient de réaliser qu’il avait des investissements urgents à mener pour la sécurité… au port de Mutsamudu, et sans en avertir au préalable la SGTM dont des passagers payants n’ont pu accoster ces jours ci. A ce titre, notre chroniqueur Issihaka Abdillah, qui garde un œil sur la géopolitique, rapportait sur les ondes de Mayotte la 1ère, plusieurs faits concomitants. Nous l’avons contacté : « Le président Azali des Comores n’a pas les mêmes affinités que nous sur le plan international, des appuis sur lesquels il peut compter. Pour n’en citer que deux, le roi Mohamed VI du Maroc, avec lequel le président Macron est en délicatesse, et l’ambassadeur de Russie à Madagascar qui s’est rendu aux Comores il y a 10 jours, pas forcément seulement pour ne parler que de l’Ukraine… »
Au final, alors que Mayotte commençait à grappiller des points d’audimat sur les télés nationales, ce pourrait bien être le département par lequel l’image de la France se ternit. Avec sur place, la crainte d’une détérioration de la situation.
Anne Perzo-Lafond