Il arrive menotté à la barre, la chemise déchirée dans le dos. Quelques jours auparavant, le 17 avril, S.A. enflammait la toile en semant la haine par des propos très violents, voire effrayants, en utilisant les téléphone de son frère. « Nous avons fui la direction d’Azali pour une meilleure condition en France. Je vous le dis frères et sœurs, si ils viennent démolir nos cases en tôle, il faudra détruire leurs habitations, les incendier (…) Ils doivent mourir en premier. » Etaient particulièrement visés une station TotalEnergies, les supermarchés Jumbo score et Intermarché Baobab, mais aussi, les forces de l’ordre, « et si ils font appel à l’armée, nous ferons face », en appelant à incendier et à s’armer de machettes dès qu’aura commencé l’opération Wuambushu. Une vidéo de 11 minutes suivie par environ 47.000 personnes. La gendarmerie avait porté plainte et était présente dans la salle d’audience.
Des propos qui tombent sous le coup de la qualification de menaces de crime et délits contre les forces de l’ordre, contre les personnes, matérialisées par écrit ou image.
Mais face à la gravité des faits et de ce qui peut en découler, la juge qui présidait l’audience les requalifiait en infractions visée par l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse : « Vos écrits étaient en shimaore, mais nous avons la retranscription et je considère qu’il s’agit d’atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité des personnes, de provocation à des destructions, des dégradations et détériorations volontairement dangereuses pour les personnes. Vous risquez donc 5 ans de prison et 45.000 euros d’amende. »
« Vous avez envie que Mayotte s’embrase ? »
Une menace qui aura un effet direct sur S.A. : « Je présente mes excuses. C’était de la colère après avoir visionné une vidéo d’une femme qui appelait à détruire les bangas des comoriens. Je ne recommencerai plus jamais, je l’ai d’ailleurs supprimé le jour même ». Il s’était présenté lui-même au commissariat après que son frère, propriétaire du téléphone d’où a été posté le message, ait été arrêté.
La juge poursuivait, « vous pensez que Mayotte a besoin de ça ?! Vous appelez à la haine, à l’incendie, au meurtre, vous auriez envie d’entendre ces mêmes paroles contre les comoriens sur les réseaux sociaux. Et si tout à l’heure des personnes passent aux actes après avoir entendu vos appels, vous avez envie d’être responsable de ça, que Mayotte s’embrase ?! Mais les premières victimes de ça, ce sera vous ! »
Quelques heures auparavant, un message d’alerte circulait sur les téléphones, sur une prétendue mise en garde émanant des « RG » (Renseignements généraux, désormais, RT, Renseignements territoriaux), sur des « affrontements prévus » entre bandes du côté de la prison et des appels raciaux à la violence visant également des grosses entreprises, celles précisément visées par S.A. Un sms qui n’a pas échappé à la juge, « si ce message qui circule sur les réseaux sociaux se réalise, si ça s’embrase ? A jouer aux apprentis sorciers, ça peut déboucher sur quelque chose. »
« C’est Mayotte qui le soigne »
Son profil rend encore plus indigeste son geste. Né à Anjouan en 1988, S.A. est venu à Mayotte à 6 ans, puis laissé en errance à 7 ans sur le territoire, repris par sa sœur à Anjouan à 10 ans. Une fois adulte, il soutient la candidature d’Azali Assoumani, mais des divergences politiques lui font craindre des représailles, et vient chercher refuge à Mayotte. Il obtient un titre de séjour qui lui permet de faire soigner un de ses 4 enfants, malade du cœur, à l’hôpital. « Je n’avais pas l’intention que des gens mettent à exécution ce que j’ai dit, j’ai un enfant malade, et c’est Mayotte qui le soigne ». Ce qui agacera la juge, « ce n’est pas Mayotte qui soigne, ce sont des gens, des mahorais, des mzungus ou autre qui le soignent. Et c’est avant de faire n’importe quoi qu’il faut penser à votre enfant ! »
La vice-procureur replaçait dans le contexte : « A quelques heures de Wuambushu, il y a beaucoup de stress dans la population, beaucoup de choses sont dites et contredites, donc vous saviez que ces paroles allaient avoir un impact sur ceux qui les lisent. Lorsque les policiers vous interrogent et vous demandent ce que vous pensez de Wuambushu, vous dites que c’est une mauvaise chose, mais quand ils questionnent sur ce qui va se passer si des personnes mettent vos appels à exécution, vous répondez que vous n’avez pas de rôle dans tout ça. Vous avez pourtant lancé un appel à la haine à mettre le feu. En plus, lors de vos déboires politiques, vous venez vous réfugier à Mayotte où vous obtenez un titre de séjour, et après, vous appelez à l’émeute ! » S’accordant avec l’intention de la présidente d’audience de requalifier les faits par l’article 24 de la loi de 1881, elle demandait à ce que l’auteur des propos soit « mis à l’écart dans le contexte actuel pour éviter toute récidive », par un placement en détention immédiat pour 6 mois ferme. Une peine collant au casier judiciaire vierge du prévenu dont c’est le premier passage en justice.
Son avocat plaidera sa cause en mettant l’accent sur des « propos tenus en réaction à ceux proférés par une dame sur une vidéo sur le net », n’y voyant qu’une réponse, « et il s’est constamment excusé à la barre ».
Après s’être retirés, les trois juges en collégialité, ne suivaient pas la sévérité qui a pourtant émaillé l’audience qui fut pour le coup pédagogique en plaçant l’auteur des propos face aux graves conséquences qu’ils induisaient. La présidente avait d’ailleurs elle-même requalifié les faits et le parquet avait suivi dans ses réquisitions. S.A. était condamné à une peine de 280 heures de Travaux d’Intérêt Général à effectuer dans les 18 mois, qui, s’ils ne sont pas respectés, s’aggraveront en deux mois de prison ferme.
A l’issue de l’audience, le parquet nous indiquait faire appel de ce jugement.
Anne Perzo-Lafond