De loin, le catamaran (deux coques) a un look de plateforme de forage au milieu de la passe Nord. C’est en s’approchant que les deux fines coques se dessinent, et font aussitôt penser aux voiliers de course, ce qu’il fut. Dessiné par l’architecte anglais Nigel Irens pour le visionnaire navigateur canadien Mike Birch en 1983 au Québec, il atteindra 20 nœuds à la voile, rare à l’époque. Il a depuis été transformé, pour une nouvelle naissance en 2017 sous le nom d’Energy Observer.
A l’origine du projet, Victorien Erussard, officier de marine marchande et ancien coureur au large. C’est d’ailleurs lors d’une route du Rhum, alors qu’il est en tête, que germent ses envies d’autonomie énergétique, comme nous l’explique Jean-Baptiste Sanchez, à la barre d’Energy Observer : « Alors qu’il mène la course, Victorien se retrouve en panne d’électricité, plus du tout d’énergie pour faire fonctionner le pilote automatique, prendre la météo, consulter la route, etc. Cela l’a agacé d’avoir le vent et le soleil à disposition sans pouvoir les utiliser. Il a commencé à mettre en place le projet en s’entourant de marins, de scientifiques, d’ingénieurs, qui allait nous mener à Energy Explorer. » Les deux hommes se connaissent bien, « à 7 ans, nous naviguions ensemble dans la baie de Saint Malo ». Jean-Baptiste Sanchez , également capitaine de 1ère classe de la marine marchande, commande donc le navire depuis l’origine. « Nous partageons le même combat contre les déchets qui trainent dans les mers, et la recherche de solutions pour se passer des énergies fossiles. »
Lorsqu’on pose un pied sur le bateau, c’est forcément sur un panneau solaire, puisqu’il en est entièrement recouvert sur ses 202 m2 de surface. Les moteurs sont donc… électriques. Réponse facile qui aurait pu taper à côté vu qu’un autre type d’énergie est développé à bord, l’hydrogène. Luc Bourseri, Ingénieur embarqué, nous en explique le fonctionnement : « Nous puisons de l’eau de mer que nous désalinisons, pour ensuite casser les molécules et ne garder que l’hydrogène. Ce processus est effectué grâce à l’électricité produite par les panneaux photovoltaïque. L’hydrogène est ensuite comprimé et envoyé dans nos 8 réservoirs de stockage, de 350 bars chacun. »
Aujourd’hui, les 62 kilos d’hydrogène stockés à bord fournissent 1 MWh d’électricité et 1 MWh de chaleur et/ou, de climatisation, ce qui représente la consommation moyenne d’un ménage de 4 personnes pendant un mois.
Chaud pour les panneaux solaires au-dessus de 25°
L’opération d’électrolyse est effectuée lorsque le voilier est au mouillage, « en journée, nous profitons de l’énergie solaire, et la nuit nous pouvons démarrer la pile à combustible pour produire l’électricité à partir de l’hydrogène stocké ».
Energy Observer est un laboratoire de transition écologique « conçu pour repousser les limites des technologies zéro émission. Hydrogène, solaire, éolien, hydrolien, toutes les solutions y sont expérimentées, testées et optimisées pour faire des énergies propres une réalité concrète et accessible à tous », précise leur plaquette de présentation.
A l’intérieur, le catamaran est lumineux et spacieux. Des 6 cabines aux tables à cartes en passant par la cuisine équipée de la cafetière dernier cri, « ce n’est pas parce qu’on fait de la transition énergétique qu’on doit s’éclairer à la bougie ! », lâche dans un sourire Luc Bourseri.
La majorité des panneaux photovoltaïques installés sont issus des ateliers de l’italien Solbian, alors que sur les superstructures à bâbord et tribord, ce sont des bifaciaux développés par l’INES (Institut National de l’Energie Solaire), qui arrivent à capter par en-dessous la réverbération du soleil intense sur nos mers du Sud. Un soleil qui est donc l’allié du navire, mais avec des limites hautes, « au-dessus de 25°, nous sommes en déperdition de 0,2 % par degré supplémentaire. »
Sur le pont, les deux superstructures évoquent des ailes de moulins articulées, un peu à la manière des doubles ailes des maxi-trimarans de la coupe de l’America, mais ici ce sont deux courtes ailes automatiques Ocean Wings, de 32 m, comme tronquées dans leur longueur, « des voiles trop imposantes feraient de l’ombre sur les panneaux du pont ».
Souffler le froid et chaud
Pas de grosse pointe de vitesse sur ce catamaran laboratoire de 34 tonnes qui navigue en moyenne entre 4 et 6 nœuds*, avec 12 nœuds maxi. « Ce n’est pas la vitesse qui compte », lance Luc Bourseri, « c’est une autre conception de la marine marchande, il faut juste prévoir des délais plus longs. »
Le navire au moteur assisté à la voile a baladé ses coques sur 50.000 milles* autour de la planète, en Méditerranée, mais aussi en Europe du Nord, « il fallait tester des conditions plus froides », avant d’entamer son tour du monde en 2020. Il arrive des Seychelles et faute d’une escale à Zanzibar, c’est à Mayotte qu’il va rester environ trois semaines. « Nous en profitons habituellement pour présenter le projet et ouvrir des débats sur la transition énergétique. Des visites d’écoles peuvent être organisées », rapporte Agathe Roullin, reporter embarquée.
Premier ambassadeur français des 17 Objectifs de développement durable fixés par l’ONU en 2015, Energy Observer porte le message de la France sur la nécessaire préservation de notre environnement partout dans le monde. Coïncidence du calendrier, les pays du G7 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Canada) viennent de s’engager pour la première fois ce dimanche, à « viser la neutralité carbone énergétique au plus tard en 2050 ».
La transition énergétique à Mayotte, la preuve par la mer
Si le navire est cette vitrine de l’optimisation de la diversité des énergies renouvelables, son équipage amasse aussi les expériences de transition énergétique menées dans les territoires visités. A Mayotte, elles se comptent pour l’instant sur les doigts des deux mains, puisque nous dépendons toujours à 95% des énergies fossiles. Rappelons qu’elle devait descendre dans tous les Outre-mer à 50% en 2020. Pour exemple la batterie de stockage d’électricité inaugurée il y a à juste 5 mois par Albioma Solaire avec une émotion égale à la volonté qu’il aura fallu pour la faire aboutir, est devenu presque courante en métropole.
Leur intérêt se porte notamment sur le test en cours de conversion des centrales d’EDM au bioliquide, un carburant à base d’huile végétale de colza en l’occurrence, avec ses avantages et ses inconvénients comme nous l’avions évoqué. Leur passage aura-t-il un effet boostant ? L’hydrolyse pourra-t-elle être calquée sur notre île ?
Après Mayotte, ce sera l’Afrique du Sud, puis l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord, pour être de retour en métropole pour les Jeux Olympiques de Paris.
Ce navire à moteur avec assistance à la voile qui allie donc solaire, éolien et hydrolien, est financé par les actionnaires, Accor, Thélem assurances, Air Liquide et Groupe BPCE, et grâce aux partenariats, dont Toyota, fournisseur d’une pile identique à la voiture à hydrogène Toyota Mirai, Delanchy, Triangleinterim, Qair, Guyot environnement, CMA CGM. Ils sont soutenus par l’Europe et le ministère de la transition énergétique.
L’étape suivante c’est un porte-container pour se lancer dans la navigation de commerce, qui utilisera probablement de l’hydrogène non pas gazeux, mais liquide, pour une meilleure optimisation des volumes.
Pour tout contact avec la société Energy Observer, s’adresser à media@energy-observer.org
Anne Perzo-Lafond
1 nœud = 1 mille par heure = 1,852 km par heure