Ce mercredi matin, l’exécutif du Département était réuni en séance plénière autour de 29 rapports. Avec en tête d’affiche, le Débat d’orientation budgétaire (DOB), qui focalisait les regards et les énergies. Le DOB, une appellation peu sexy pour ce moment majeur dans la préparation du budget d’un département, qui permet de savoir si les élus ont les yeux plus grands que le ventre. En d’autre terme, si leurs objectifs sont réalisables au regard des finances. Et la déception était au rendez vous.
La situation financière s’est en effet considérablement dégradée depuis les deux ans d’exercice de la nouvelle équipe présidée par Ben Issa Ousseni. Le résultat (différence entre recettes et dépenses) est passé de +51 millions à +17 millions en 2022. Ce qui pèse sur les capacités d’investissement. Rappelons que la présidence Soibahadine avait épongé le déficit de -37 millions d’euros en 2015, pour laisser les manettes avec ce +51 millions d’euros à Ben Issa Ousseni. Et si ce dernier se justifiait en évoquant des dysfonctionnements naissants en 2019 qui l’avaient incité, en tant que vice-président chargé des finances, à ne pas voter le budget, le ton montait dans l’hémicycle.
« Où est passé l’excédent de budget de votre prédécesseur ?!, interpellait Soula Saïd Souffou, conseiller départemental de Sada, vous avez dépensé sans compter en 2021, avec des voyage en Business Class, vous avez cramé la caisse ! Vous évoquez le Covid et la guerre en Ukraine, mais ils ont bon dos ! » Lui emboitait le pas Daniel Zaïdani, « les dysfonctionnements dont vous parlez, vous n’avez pas essayé de les gommer en deux années d’exercice. Et sur le fonctionnement du STM, vous avez laissé l’administration massacrer ce service et vous vous êtes séparé du jour au lendemain des cadres qui avaient servi pendant des années ». Des mises en cause qui ne plaisait pas à Abdoul Kamardine, élu de Mtsamboro, toujours prompt à défendre le président lorsqu’il est attaqué. S’en est suivie une passe d’armes de haut vol de plusieurs minutes, calmée par le pater familias, qui s’expliquait. « Les perspectives pour 2023 sont compliquées, avec des diminutions de recettes et des dépenses croissantes », en livrant une série d’arguments qu’il est nécessaire de commenter.
Menace sur l’accueil des non-assurés sociaux en PMI
« Le premier poste qui nous coute cher, c’est celui de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE)- Protection Maternelle Infantile (PMI). Lorsque l’Etat avait compensé nos charges liées à l’immigration en 2015 avec un versement de 180 millions d’euros, il avait exigé de les virer sur un budget annexe. Cette somme a été utilisée pour faire fonctionner les services chaque année, pour une vaste campagne de vaccination de 20 millions d’euros, notamment pour des maladies importées, et qu’il faudra réitérer. En 2022, nous avons dépensé 65 millions d’euros sur ces deux services, pour 24 millions d’euros de compensation. Si on rajoute les 12 millions qui restent des 180 millions de départ, nous voyons qu’il manque 30 millions d’euros. Sans accompagnement de l’Etat, nous allons devoir prendre des décisions douloureuses. Nous envisageons par exemple de ne plus accueillir les personnes non assurées sociales en PMI, celles qui n’ont pas de carte Vitale. Elles sont 91,5% de la population accueillie en PMI, et 82% à l’ASE qui devront se rendre dans les service de l’Etat, à l’hôpital ou à Jacaranda, nous n’avons plus les moyens de les accueillir sans compensation. Nous pouvons espérer 20 millions d’euros de gain. » En 2016, c’est un rapport de l’IGAS qui avait révélé que le conseil départemental supportait indument des charges provoquées par le poids migratoire, le gouvernement avait en effet compensé. Nous avons interviewé à ce sujet Madi Moussa Velou, élu chargé du social, sur les actions à mener. Il mise sur le « rapport caché » par le gouvernement et divulgué par Médiapart.
Deuxième gros morceau, le Service des Transports Maritimes (STM), « 12 millions de dépenses annuelles pour 4 millions de recettes ! ». Pointage, billetterie et barrière automatiques pour les véhicules, tout sera mis en œuvre pour contrer la fraude, « nous devrions récupérer 3 millions d’euros. » Il tient à offrir la gratuité des barges aux piétons, « ce n’est pas ça qui va faciliter le passage en Petite Terre de délinquants, comme le craignent ces maires, mais ce sera avec leur accord ». Une aberration pour Soula Saïd Souffou, « vous voulez rendre gratuit un service que vous annoncez comme déficitaire ! »
L’impact de la fermeture des robinets
Autre poste aux dépenses croissantes, celui des transports scolaires. « Nous sommes passé de 27 millions d’euros de dépenses en 2018 à 46 millions en 2022. » Une compétence de la région, que le département exerce difficilement, « nous n’y arrivons plus ». Et de songer à basculer la compétence vers les intercommunalités, « notamment à celles qui ont récupéré la compétence de la mobilité ». Compliqué néanmoins de jongler avec les destinations intercommunalités. « Les parents qui le peuvent doivent aussi être sollicités pour participer au transport de leur enfant. »
La masse salariale va être lorgnée, « 15,5 millions d’euros par mois, une proportion inconsidérée du budget général de fonctionnement. » L’exécutif veut travailler sur les ressorts habituels, « départs à la retraite », mais à Mayotte cela signifie un revenu divisé par 10 voire pire, et « la situation d’inaptitude du personnel qu’il faut regarder de prés ». La difficulté va être de conserver malgré tout des cadres de qualité, or, on nous informait d’une fuite de cerveaux faute de réajustement des indemnités des catégories A.
Le train de vie ? « Nous travaillons la dessus, avec des contraintes qui vont peser sur les véhicules, le carburant, les téléphone, nous avons déjà commencé ». Du côté des subventions, « il y aura des coupes ». Ce qui agaçait Soula Saïd Souffou, « vous pénalisez des associations qui sont une barrière contre la délinquance à Mayotte ! ».
Pas d’actualisation de la DGF… pourtant actée dans la loi
Du côté des recettes, 40% sont allouées par la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) de l’Etat, mais elle n’est pas dynamique, reproche Ben Issa Ousseni, car indexée sur le nombre d’habitants en 2017. « En raison du recensement aligné désormais sur la méthode de métropole, nous devrons attendre 2026 pour avoir une nouvelle évaluation de la population. Et en attendant, c’est une dotation basée sur les 256.500 habitants de 2017 qui est allouée. »
En réalité, le gouvernement avait accepté de verser une DGF actualisée à la croissance de la population : le Projet de loi de Finances 2021 prenait en compte la « vraie » population des communes » sous le gouvernement Valls : au recensement de 2017 par l’INSEE il était prévu d’appliquer un taux d’évolution de 3,8% pour le territoire. Mais le décret d’application n’a jamais été pris, « un sujet qu’il faut défendre en montant des dossiers au lieu de se plaindre », nous indique un connaisseur du dossier.
Autre « perte » de recettes pour le CD, la baisse de l’octroi de mer sur toute une série de produits, « pour contrer l’inflation et que cela soulage les mahorais », argumente le président. En espérant encore une fois qu’un contrôle de répercussion par les distributeurs ait été fait, car pour le riz il y a dix ans, ce ne fut pas le cas, et d’autres empochèrent les bénéfices… Pour récupérer des subsides, le département envisage de porter l’octroi de mer interne de 2,5% à 5%. Dans un contexte où il est fort possible qu’il soit sollicité pour de nouveau baisser cette taxe sur un produit : les bouteilles d’eau…
Rendez-vous le 12 avril 2023 pour la présentation du budget primitif 2023, que les conseillers d’opposition ont indiqué ne pas vouloir voter.
Anne Perzo-Lafond