C’est à côté d’un aîné valeureux que le jeune Nayel Oumari, 18 ans, recevait la récompense de l’élève le plus méritant de l’Ecole d’Apprentissage Maritime (EAM). S’il sort du lot de sa classe de 15 élèves de 2ème année de CAP Matelot, c’est pour ses bonnes notes mais aussi son comportement. Il sait « un petit peu » nager, mais s’intéresse à la mer depuis petit, « et c’est vers la marine de commerce que je veux aller », nous explique-t-il. Il compte poursuivre en passant un capitaine 200, une formation de 6 mois de cours, suivis par un an de navigation.
Bien lui en a pris, le contexte étant favorable au développement du maritime à Mayotte, notamment avec les navettes côtières pour désengorger les routes, qui auront besoin de marins qualifiés. « Mais c’est au STM que je voudrais travailler ensuite ». Robert Amis, qui fut directeur technique puis directeur général du STM, avait organisé cette double remise de prix, incitait Nayel à mettre son année de navigation au profit d’autres expériences autour du monde, avant de revenir commander un amphidrome à Mayotte.
Grâce au partenariat avec le LIONS club, ce dernier recevait un ordinateur portable avec un sac à dos adapté, et deux ouvrages primés par l’Ecume des mers, « Des vaisseaux et des hommes », et « L’Atlantique en eaux troubles ».
« Jamais vu un aussi bon manœuvrier »
Le Service des Transports maritimes (STM) du conseil général à l’époque, lui il l’a bien connu : Soidri Assani, 71 ans, natif de Pamandzi, a été commandant de remorqueur dans les années 80. Lors de la remise de la médaille de chevalier du mérite maritime ce vendredi par Robert Amis, c’est son passé qui remontait à la surface. « J’ai commandé la barge Mahoraise 1, puis les rotork, et les remorqueurs du STM ».
Il faut se replonger dans cette époque bien avant l’existence du port de Longoni, quand le STM déchargeait les navires marchands en escale dans l’île. L’époque où le remorqueur Sir Henry était si vétuste qu’une nuit, il coula alors qu’il était au mouillage. Robert Amis, à l’époque directeur technique du STM, en avait commandé un tout nouveau, le Ndrouna, mais en attendant et pour ne pas stopper les échanges commerciaux, la Mahoraise 1 est rafistolée tant bien que mal, « il y avait deux marches avant, mais qu’une seule marche arrière, et pourtant, Soidri a pris les commande sans aucun problème. Je n’ai jamais vu un aussi bon manœuvrier que lui pour ce travail, rapportait Robert Amis, et il ne perdait jamais son calme, même dans les situations les plus tendues. C’est grâce à des personnes comme lui que Mayotte était ravitaillée avant les travaux à Longoni. Et tout cela, sans aucun diplôme ! », lançait-il dans un regard admiratif à l’ancien commandant qui esquissait un sourire.
Tout était alors débarqué à Dzaoudzi sur l’espace aménagé du Quai de la Douane, où les bateaux à tirant d’eau plus important pouvaient arriver jusqu’à terre à marée haute. La suite, c’est Jean-Claude Henry, ancien gestionnaire de la SMART, qui nous la raconte pour avoir fait partie des pionniers. « A marée basse, on déchargeait à l’aide de boutres à voile. Ils faisaient les allers retours entre la terre et les cargos à Dzaoudzi. Et lorsque la piste d’aéroport a été rallongée, les matériaux dégagés ont servi de remblai sur l’emplacement du quai de la Douane, ce qui permettait d’avoir quelque chose de plus ou moins aménagé pour les navires. »
Jouer avec la marée
Puis, une zone de déchargement est également installée à Mamoudzou, avec un bout de quai toujours symbolisé de nos jours par un petit amer blanc surmonté d’une balise rouge, qui sert de plongeoir aux jeunes par grandes marées, à proximité de la rampe où accostent maintenant les barges. « Mais en dehors de l’aménagement d’un terre-plein en bitume pour le déchargement, il n’y avait pas de route ensuite. Et il fallait monter les cargaisons à la main, en prenant l’escalier, et tout cela sans lumière et sans téléphone », poursuit Jean-Claude Henry. La fille de Soidri Assani, présente lors de la remise de décoration de son père ce vendredi, se souvient qu’il était souvent réveillé au milieu de la nuit pour des manœuvres, « on était obligés de jouer en permanence avec la marée pour ne pas s’échouer », se rappellent les deux hommes.
Robert Amis fait alors venir des pontons flottants, ce qui facilite considérablement la vie des manutentionnaires.
Puis, décision est prise de construire un port en eau profonde à Longoni. Les travaux de terrassement commencent en 1991, et le 1er quai voit le jour, monté sur des pieux sans anode ce qui explique leur corrosion actuelle. « Ce quai devait faire 200m, mais les Comores alors que le président Abdallah* était encore en vie, entendaient conserver la primauté de longueur de quai, et celui de Mutsamudu à Anjouan, faisait 200m ». Mayotte réduit donc ses prétentions à 130m, « mais nous arrivions à y amarrer les cargos en utilisant le petit quai des remorqueurs ». Depuis le quai numéro 2 a été construit et affiche ses 223 mètres en face du premier.
Avec la remise de la médaille nationale du mérite maritime, chaque année Robert Amis remet le passé maritime de Mayotte en avant.
Toute cette saga a été parfaitement mise en image par le photographe Kostia dans « Il était une fois Mayotte… le commerce maritime », aux éditions Boutre en train.
Anne Perzo-Lafond
* Après avoir été renversé en 1975 par un coup d’Etat notamment mené par le mercenaire Bob Denard, le président Ahmed Abdallah Abderamane revient au pouvoir en 1978, aidé par le même Bob Denard, et garde la présidence de l’Union des Comores jusqu’à son assassinat en 1989.