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Mamoudzou

Une épopée judiciaire au tribunal de Mamoudzou

Une fois n’est pas coutume, les affaires se sont enchainées de manière assez fluide ce lundi au tribunal judiciaire, mais il fallait compter avec quelques longueurs dans les connexions de la visioconférence. Plusieurs dossiers ont été traités dont des vols aggravés avec circonstances aggravantes, mais aussi une affaire d’escroquerie au préjudice de la compagnie aérienne Air Austral.

Les violences et les vols rythment régulièrement les audiences du tribunal

Il ne fait pas toujours bon d’être entre amis sur une plage, au risque de se faire agresser. C’est ce qui est arrivé à quatre personnes au début du mois de mai 2018 du côté de Kani-Kéli. Alors qu’ils profitaient de la plage et du beau temps, ils ont été agressés par une dizaine d’individus armés de couteaux et de machettes, dont quatre comparaissaient hier devant le tribunal. L’objectif de ces délinquants : trouver des « moyens », à savoir de l’argent.

Pour cela ils ont menacé les personnes sur la plage afin d’avoir leurs montres, leurs bijoux, leurs téléphones portables, mais aussi les clés de voiture. « Vous faisiez quoi à dix armés sur une plage ? Interroge la présidente du tribunal. Et qui a fait quoi, si ce n’est pour commettre une agression purement crapuleuse pour voler ? » La plupart des accusés reconnaissent avoir été sur les lieux mais se sont défendus d’être armés. « La machette était sur place », répondent plusieurs d’entre eux. « Vous dites que vous avez trouvé la machette sur place mais ce n’est pas ce que vous avez répondu aux enquêteurs, poursuit la présidente. Ils se sont trompés. La machette était sur place », insiste l’un d’eux. « On a aussi le droit de ne pas vous croire, rétorque la présidente du tribunal. Vous esquissez un sourire, il n’y a rien de drôle ! », s’énerve, incisive, le magistrat.

Les affaires étaient peu nombreuses mais assez volumineuses

Tous continuent à nier le fait qu’ils étaient armés. « Qui alors a eu l’idée ? » Questionne la présidente. Même réponse : ils ne savaient pas qu’ils allaient voler. Ce n’était pas prévu. « L’idée vous est venue à dix spontanément, comme ça ? lance-t-elle. On était juste de passage, répond l’un des accusés et interroge par la même occasion la présidente : « Vous dîtes qu’on était dix mais qui vous a dit ça ? » Cette dernière rétorque, ni une ni deux : « Ce n’est pas vous qui posez les questions, c’est moi. Alors ? ». « On devait être cinq ou six mais pas dix », répond timidement un des prévenus.

Après de longues dizaines de minutes où l’on pouvait assister à un dialogue de sourds, étant donné que les accusés revenaient sans cesse sur leur déclaration, et après les avoir interrogés et écoutés attentivement, la présidente a fait venir à la barre les victimes pour apporter, éventuellement, des précisions. La majorité d’entre eux soufre de syndromes post traumatiques importants. Une des victimes déclare même qu’elle ne peut plus aller à la plage depuis cette agression et qu’il est difficile pour elle de retrouver une vie normale : « Ça continue encore de tourner dans ma tête… », explique-t-elle.

Après avoir relu le dossier des quatre accusés où la présidente a constaté par la même occasion que pour trois d’entre eux, ils avaient été condamnés en fin d’année dernière par les assises pour le même genre de faits mais avec des circonstances beaucoup plus aggravantes, elle leur donne une dernière fois la parole. « Vous souhaitez ajouter quelque chose ? ». « Je regrette mon erreur et demande pardon, dit l’un d’eux. La présidente un brin agacée lui répond sèchement : On est au-delà de l’erreur, on est pas là pour pardonner. Il faut assumer vos actes ».

Accusés et témoins sont passés tour à tour à la barre

Après délibération du tribunal, trois écopent de quatre années supplémentaires de prison à Majicavo.

Les absents ont souvent tort…

Autre affaire totalement différente au regard des « frais » reprochés. La victime ? la compagnie aérienne Air Austral qui n’a pas daigné assister à l’audience ni de près ni de loin et qui ne s’est même pas constituée partie civile comme l’a souligné un des avocats de la défense. « C’est le vide sidéral. La compagnie ne s’est même pas manifestée auprès de la police et elle n’a donné aucune réponse ». Pourtant le préjudice pour elle s’élevait à environ 280.000 euros. L’objet du conflit ? L’achat de billets d’avion avec des cartes bancaires volées, de septembre 2018 à décembre 2021.

Cerise sur le gâteau, un fonctionnaire de police de mèche avec un manager travaillant pour American Express, obtenait les numéros de cartes et achetait des billets d’avion et les revendait à moitié prix à ses collègues, prenant au passage une petite commission de 20%. Sauf qu’on ne sait pas si les numéros de carte provenaient du darkweb (plateforme internet illégale et cachée où l’on peut acheter des armes, de la drogue, … en toute discrétion et dans l’anonymat) ou si elles avaient été volées physiquement.

Ce qui interroge le plus dans cette histoire, au-delà des personnages mis en cause, c’est le listing qu’a remis Air Austral au tribunal. Il recense toutes les fraudes à la carte bancaire commises depuis septembre 2018 mais sans incriminer spécifiquement les prévenus. Du pain béni pour la défense ! Comment prouver que leurs clients ont bien escroqué la compagnie et à hauteur de quel montant ? Difficile de faire le lien entre le listing fourni par Air Austral et la bande organisée. La présidente commence à s’interroger sur le bien-fondé de ce procès. « Sait-on de quoi on parle exactement ? dit-elle aux avocats et à la cour. Il n’y a pas de partie civile, les faits ne sont pas réellement caractérisés. Vu qu’il n’y a pas d’élément matériel, comment le tribunal peut être saisi ? »

Les suspensions d’audience ont rythmé la journée

L’audience continue au rythme des suspensions d’audience. La présidente questionne les prévenus présents et s’interroge sur leur bonne foi. « Un fonctionnaire de police qui propose à ses collègues et à ses proches des billets d’avion bradés, c’est normal ? Et vos collègues ne se sont pas posés de questions ? Je pense que tout le monde a fait semblant de ne pas savoir ». « Je voulais simplement rendre service », répond le gardien de la paix. La présidente, une fois de plus agacée, « Ça ne s’appelle pas rendre service, mais c’est de la fraude, de l’escroquerie, dit-elle d’un ton accusateur. Dans cette histoire tout le monde en a profité, ne serait-ce qu’un peu ».

Le troisième accusé, en visio-conférence depuis la métropole, a reconnu qu’il voulait gagner un peu d’argent parce qu’il avait des enfants. « C’est un ami qui m’a filé le bon plan », indique-t-il.

Personne n’étant là pour représenter l’accusation, les absents ont toujours tort…, les avocats de la défense prennent la parole et s’engouffrent dans la brèche. « Il n’y a pas assez d’éléments probants pour condamner mon client. Les procès-verbaux des policiers posent problème. On a l’impression qu’ils ont fini l’enquête avant d’avoir eu toutes les réponses. Il y a sans doute eu imprudence de la part de mon client, mais ce n’est pas un élément suffisant pour juger ».

La compagnie Air Austral a brillé par son absence

Après une suspension d’audience pour délibérer, le tribunal a purement et simplement relaxé tous les prévenus « au bénéfice d’un doute car il n’y avait pas assez de preuves incontestables ».

L’affaire impliquant l’ancien maire de Tsingoni et ex-président de l’association des maires Ibrahim Boinahery a été renvoyée

B.J.

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