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Un recensement de la population mahoraise sous le signe de la transparence

Le recensement de la population mahoraise a débuté ce jeudi et se terminera le 3 mars. Nous avons suivi un agent recenseur sur le terrain afin de voir comment il procède pour effectuer cette mission dans un département où l’habitat et les pratiques culturelles diffèrent grandement par rapport à l’Hexagone ainsi que dans les autres départements d’Outre-mer. État des lieux...

Huit heures du matin, rendez-vous était pris direction le village de Kahani sur la commune de Ouangani. Accompagné d’un superviseur de l’Insee, Pablo Debray, nous nous rendons du côté de l’îlot 406, près du lycée de Kahani, pour rencontrer et accompagner dans son premier jour de tournée Sidi Nadjima, agent recenseur, qui habite le quartier. Accueillante et souriante, elle nous montre tout d’abord sur un plan la zone qu’elle doit couvrir durant les cinq semaines de recensement puis les différents quartiers où elle devra se rendre pour comptabiliser la population. Un carnet de tournée lui donne des informations concernant son circuit tels que les habitations recensées les années précédentes ainsi que des données concernant les logements, comme le rang « cadastré » par l’Insee.

Souvent derrière une porte en tôle se cache plusieurs logements

Plusieurs familles vivant sous le même toit

Nous rentrons dans une « maison en dur » ou plutôt nous poussons une porte en tôle derrière laquelle se cache une petite cour et une construction inachevée dans laquelle habite plusieurs personnes et où l’eau courante et l’électricité sont à peine disponibles. « Jeje », dit-elle. Les habitants un peu surpris nous laissent rentrer. Et c’est à ce moment que l’on se rend compte de l’ampleur et du travail fastidieux que vont mener les agents recenseurs dans certains quartiers du territoire. En effet, l’Insee propose trois méthodes pour être recensé. Soit par internet, la plus simple et la plus facile, soit en laissant un questionnaire dans la boîte aux lettres (quand il y en a une) que l’agent viendra récupérer quelques jours plus tard, soit la méthode de l’interview qui est la plus pratiquée sur le territoire mahorais. Et pour cause, une grande partie de la population ne maîtrise pas ou mal la langue française et de surcroît n’a pas accès à internet.

L’entretien commence en shimaoré… « Vous vivez ici ? Vous êtes marié ? Combien d’enfants avez-vous ? ». Cela peut paraître surprenant mais derrière cette porte en tôle vivent cinq familles dans cinq logements, ou plutôt dans cinq parties différentes. Certains ne sachant ni lire, ni écrire et d’autres ignorant même leur année de naissance. Sidi prend son travail à cœur et commence à remplir elle-même les différents documents. « Nous avons une feuille de logement dans laquelle nous indiquons le nombre de personnes qui y habitent, puis nous devons ensuite remplir un bulletin individuel (BI) correspondant à chaque personne. Cela peut prendre parfois un certain temps, de 15 à 20 minutes, voire 30 minutes pour chaque logement », explique-t-elle. Les habitants sont compréhensifs et répondent à ses questions et lui apportent cartes d’identité, cartes de séjour, actes de naissance, etc. Tout ce qui peut justifier de leur âge, de leur identité et de ceux de leurs enfants, même si cela n’est pas nécessaire.

Beaucoup de gens ne sachant ni lire, ni écrire, Sidi a dû remplir les documents à leur place

Méticuleusement, Sidi remplit ligne par ligne (la plupart des habitants ne sachant pas écrire), assise quasi par terre car il n’y a pas de table, pour chaque individu les informations nécessaires pour les recenser. Il faut dire qu’elle n’en est pas à son coup d’essai puisque c’est sa troisième édition raconte-t-elle. « J’ai commencé en 2021. Chaque année je postule en me rendant à la mairie et je dépose mon dossier, puis on me rappelle pour un entretien dans lequel on me demande si j’ai déjà travaillé en tant qu’agent recenseur et si je parle bien le français, le shimaoré et le shibushi. ». Après avoir suivi deux jours de formation théorique au début du mois de janvier où on lui a appris comment elle doit s’y prendre pour rentrer chez les gens et les questions qu’elle doit poser, elle s’est rendue ensuite sur le terrain afin de faire une tournée de repérage. « Nous devons vérifier si les informations et la cartographie effectuées par l’Insee quelques mois auparavant sont toujours d’actualité, et voir s’il n’y a pas eu de changements », indique-t-elle.

Les habitants ont répondu aux questions de Sidi

Un recensement des quartiers pas toujours facile

Nous quittons la cour et le rez-de-chaussée de la maison pour se rendre à l’étage. Là aussi une autre famille vit dans le plus grand dénuement : quatre chaises, un évier et une gazinière, des draps en guise de portes et de fenêtres. Elle prend le temps de vérifier le nombre de personnes vivant dans cette partie de la maison et elle se renseigne pour savoir s’il y en aurait d’autres susceptibles d’y habiter. Au bout de deux heures et demi, elle a recensé cinq logements avec cinq familles dans le même bâtiment et où vivent dix-neuf personnes. Elle n’est pas au bout de ses peines puisque la commune de Ouangani, qui est composée de cinq villages (Barakani, Coconi, Hapandzo, Kahani, Ouangani) a pour mission de recenser 462 logements cette année avec seulement quatre agents recenseur d’après Soumaila Abdallah Maz, coordonnateur du recensement à la mairie de Ouangani.

Mais ce que redoute le plus Sidi c’est de recenser l’îlot 403, vers la future caserne des pompiers. « Ici ça va je connais pas mal de monde, j’habite dans le quartier mais vers les pompiers c’est beaucoup plus difficile. Il y a de nombreuses maisons de fortune, des bangas, les gens ont peur et ne veulent pas répondre à nos questions car ils craignent que nous avertissions la police et qu’elle vienne les chasser. Alors que ce n’est pas du tout ça ! Nous leur expliquons que nous venons seulement compter la population. Aussi quand ils ne veulent pas se faire recenser j’appelle mon coordonnateur », explique-t-elle.

Certains logements recensés sont des habitations sommaires

C’est ce que confirme Soumaila Abdallah Maz. « Je privilégie en général un natif du village à recenser, c’est plus simple et plus facile vu qu’ils connaissent la population. Cette année il y a plus de logements à comptabiliser à Kahani que dans les autres villages. Certains quartiers sont beaucoup plus difficiles que d’autres, nous y allons à la fin car je ne peux pas laisser aller tout seul un agent dans ces zones. Nous devons être deux ou trois, comme dans le haut de Ouangani où il y a un village difficilement accessible qui nécessite d’avoir un véhicule. Nous allons nous y rendre plus tard car la situation est souvent tendue, mais nous recensons aussi ce type d’habitat. On commence par le plus facile… C’est aussi à ça que servent les tournées de reconnaissance, les agents et moi allons dans les quartiers pour comparer les données de l’Insee avec la réalité du terrain et signaler tout changement. Mais on en profite aussi pour toquer aux portes, rencontrer la population et avertir les habitants qu’ils seront recensés dans les semaines à venir », explique-t-il.

Les premières estimations de l’Insee à l’horizon 2025

D’ici le 3 mars, fin du recensement, Sidi se sera rendue dans environ 115 logements et aura rempli plusieurs centaines de feuilles de logement et de bulletins individuels. Tous les deux ou trois jours elle remettra les documents au coordonnateur de sa mairie afin qu’il vérifie s’ils ont été correctement remplis. Si ce n’est pas le cas, les agents retournent voir les habitants afin de compléter les informations manquantes. Une fois ce travail de vérification fait, les données sont transmises à l’Insee qui fera une analyse fine pour avoir une estimation de la population. Mais cela prend du temps entre le moment de la récolte des données et la publication des résultats, il faut compter au moins deux ans. Ainsi, nous ne connaîtrons les estimations fiables de la population à Mayotte pour cette année (2023) qu’en 2025.

Enfin, n’en déplaise à certains, en dépit des nombreuses critiques faites à l’Insee, l’institut a eu le mérite de jouer la transparence en permettant de suivre un agent recenseur sur le terrain et de voir ainsi la méthode de travail appliquée. Par ailleurs, il maintient la pertinence de cette méthode de recensement en indiquant, comme le souligne Pablo Deray, que « même s’il y aura toujours un delta…, la différence entre les chiffres de l’Insee et « la population réelle » est essentiellement due à de fausses déclarations ».

Benoît Jaëglé.

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