Trouver le juste milieu entre sanctuariser l’hôpital et maintenir un libre accès aux malades, telle est l’équation que doit résoudre la direction du CHM après l’agression dont a été victime le docteur Sorin Zavoianu, chirurgien orthopédiste et traumatologue, et chef de service au bloc opératoire.
Le praticien était présent parmi ses collègues ce jeudi 26 janvier à midi sur le parvis des Urgences. Un rassemblement auquel n’ont pas pu participer les 3.000 personnels hospitaliers, et qui a été voulu par la Commission médicale d’Etablissement (CME), dont le président, Pierre Millot livrait un discours réclamant davantage de sécurisation devant les caméras, et sans langue de bois : « Nous voulons dire notre indignation devant cet acte ignoble et inadmissible. Un cran dans la violence vient d’être franchi. L’hôpital doit être un sanctuaire où les médecins et le personnel soignant notamment de nuit puissent travailler sereinement. Nous demandons que les mesures de sécurité soient renforcées au sein du CHM, notamment avec une sélection de gardiens plus rigoureuse que décorative. Les accès et abords doivent être également sécurisés. »
Aux côtés des soignants ce jeudi matin, la mairie de Mamoudzou était fortement représentée, notamment par Ambdilwahedou Soumaïla, qui a fait de la lutte contre l’insécurité sa priorité, le conseil départemental, et le rectorat par son médecin référent.
Le docteur Zavoianu revenait pour nous sur cette nuit difficile de samedi soir où il a fini enfermé dans son bureau : « Ils étaient deux à faire immersion dans le local où je me trouvais, et m’ont aussitôt menacé avec des barres de fer et un marteau, ils n’avaient pas de machette. Ils m’ont forcé à leur remettre mon ordinateur, mes deux téléphones dont celui de service, et mon portefeuille. Heureusement, ils n’ont pas touché au téléphone interne à l’hôpital, grâce auquel j’ai pu donner l’alerte en contactant la standardiste à 2h15 du matin, car ils m’avaient enfermé dans la pièce. Après avoir par erreur contacté les pompiers, elle a appelé la police, qui est arrivée à 2h45 ». Un laps de temps trop long, alors que le commissariat est à deux pas, et qui a permis aux deux agresseurs de s’enfuir.
Règlements de compte à l’intérieur du CHM
Beaucoup de ses collègues avaient leur vision des choses, certains souhaitaient témoigner anonymement, bien qu’une remontée à la CME soit plus porteuse, pour ce qu’elle est fédératrice des différentes demandes. « Lorsqu’il y a des affrontements entre bandes rivales, la police nous amène fréquemment des blessés. Il est arrivé que, voulant régler leur compte, certains jeunes arrivent à l’accueil prétextant venir visiter quelqu’un et qu’une machette soit cachée dans leur sac. Ils accèdent aux services facilement. Bien que signalé, la police n’intervient quasiment jamais à l’intérieur de l’établissement. » Des faits que corrobore le directeur du CHM, « c’est vrai, c’est déjà arrivé qu’il y ait des intrusions. Je ferai même un parallèle avec la Corse où j’ai exercé, et où les violents règlements de compte ont imposé l’installation de vitres blindées. Nous n’en sommes heureusement pas là, mais regardez ce qui se passe à l’extérieur avec les caillassages quasiment quotidiens de bus ».
Justement, les bus et les établissements scolaires peuvent être fermés à double tour, ce qui est impossible avec l’hôpital. « Nous allons renforcer les clôtures dont certaines ne sont plus hermétiques, en les élevant en hauteur, et renforcer le gardiennage. Pour répondre aux critiques formulées par le président de la CME, si des professionnels de la sécurité n’assurent pas leur tâche, nous les remplacerons. Mais nous ne pouvons pas surveiller tout le monde ». La formation des gardiens est bien souvent insuffisante qui ne leur donne souvent même pas les bases. Un soignant suggère de les doter de matraques télescopiques, « comme les agents de surveillance du rectorat. »
Vidéos en panne
Si les deux cambrioleurs ont dégradé les vidéos, « trois disques durs ont été volés », indique Jean-Matthieu Defour, il s’avère que l’ensemble des personnels explique qu’elle n’étaient déjà pas opérationnelles avant. « Elles étaient en panne, et le PC sécurité nous a indiqué qu’ils ne peuvent pas visualiser les caméras à distance », nous indique un cadre de santé. D’autre part, il semblerait qu’il n’y ait pas de permanence de nuit pour le contrôle des badges. « Le service sécurité ne peut pas non plus bloquer un accès à distance, alors que ce serait efficace. Et de plus, les portes d’accès à l’établissement étaient ouvertes alors qu’il n’y a plus de visite après 19h ».
Pour le docteur Thierry Pelourdeau, Chef du service de radiologie et l’un des plus anciens de la maison, il faut agir en deux temps : « Rétablir l’existant notamment les caméras vidéos, et cerner les domaines non couverts par la sécurité. Axer sur la nuit reste essentiel. Je forme actuellement un urgentiste et trois stagiaires en échographie, mes vacations sont donc plus longues, je termine tard, je me retrouve seul le soir. Or, comme le dirait Lapalisse, pour ne pas être seul, il faut être nombreux ».
C’est bien le problème. Car l’événement médiatisé, notamment avec la présence d’un journaliste de TF1 sur place, ne va pas arranger les affaires de Jean-Matthieu Defour côté recrutement. Qui a demandé au gouvernement un « choc d’attractivité », par le biais des rémunérations et d’une défiscalisation : « Vu la pub qu’ont fait de Mayotte les médias en métropole avant les fêtes de fin d’année, c’était déjà compliqué, mais des professionnels sont quand même venus. C’est certain, des candidatures vont s’annuler. Je me suis entretenu avec le médecin agressé, heureusement, il veut rester à Mayotte.
Les professionnels présents le répétaient, « le message envoyé par cette agression est désastreux », eux qui ont besoin de renfort dans un CHM qui manque de généralistes, de spécialistes, de 50 sages-femmes et 40 infirmiers en néonatologie… A bon entendeur !
Anne Perzo-Lafond