Nous avions été alertés par un lecteur le 15 novembre dernier sur un point dérogeant à l’identité législative avec la métropole, celui portant sur les contrôles d’identité.
Après avoir été contrôlée le 23 mai 2022 en situation irrégulière sur le territoire, Mme A., placée au Centre de rétention administrative (CRA) en attendant d’être reconduite, saisit le juge des libertés et de la détention. Après étude de son cas, la Cour de Cassation pose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pointant une absence de limite géographique des contrôles d’identité qui inciterait les policiers à les effectuer sans discernement et au domicile des personnes. A Mayotte, la dérogation au droit français porterait ainsi atteinte à la liberté d’aller et venir.
Dans une ordonnance rendue le 30 mai 2022 le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Mamoudzou saisit la Cour de cassation d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) : l’exercice des contrôles s’effectuant sur l’ensemble du territoire de Mayotte, et non sur une bande littorale comme c’est le cas en Hexagone, « est-il conforme aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantissant l’exercice de la liberté fondamentale d’aller et venir ? »
Que dit la loi ? L’article 78-2 du Code de procédure pénale précise que « les contrôles d’identité peuvent être effectués par un officier de police judiciaire en France métropolitaine, dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen (…) et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international. »
« On n’est pas en état de guerre à Mayotte »
Pour certains outre-mer, des adaptations sont prévues. En Guadeloupe, la zone de contrôle se situe sur une bande d’un kilomètre de large à partir du littoral, mais des communes entière sont également concernées, en Guyane, la bande est portée à 20km, auxquels s’ajoute une bande de 5km sur certaines zones, et à Mayotte, « sur l’ensemble du territoire ».
L’audience du Conseil constitutionnel s’est tenue ce 16 novembre 2022, présidée par Laurent Fabius, la vidéo des échanges est publique.
Quatre avocats ont pris la parole pour défendre l’idée que cette dérogation pour Mayotte était inconstitutionnelle. Deux sont du barreau de Mayotte, Me Eric Hesler et Me Fatih Rhamani, et l’une le fut pendant 8 ans, Me Marjane Ghaem, désormais au barreau d’Avignon.
Pour le premier, le régime dérogatoire a été créé pour « répondre politiquement à un flux migratoire non maitrisé ». Il défend qu’on atteindrait aux libertés parce qu’on n’arrive pas à juguler l’immigration, « et les contrôles ne portent pas que sur les étrangers, ça ne se voit pas sur leur visage, mais tout le monde est concerné ».
Le second faisait valoir qu’avant que le code ne soit modifié en 2018, c’est la bande d’un kilomètre qui était retenue pour autoriser les contrôles, « aucun élément ne justifie le contrôle généralisé, on n’est pas en état de guerre, on a une vie normale à Mayotte ». L’actualité récente risque d’atténuer la portée de ses propos.
Marjane Ghaem était mandatée par des structures de poids, dont la GISTI, le Syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature. C’est une plaidoirie incisive qu’elle menait, stigmatisant au passage l’opération de lutte contre l’immigration clandestine, Shikandra, « du nom d’un poisson du lagon qui mord quand on s’approche de son nid », contre le baromètre de la Lutte contre l’immigration clandestine et ses 1.763 opérations à terre en septembre 2022, « avec des contrôles d’identité en nombre pour atteindre ces chiffres. Tout est permis ! A chaque intersection à Mayotte, vous avez un véhicule de police », dénonçait-elle. Elle évoquait un droit des étrangers difficilement respecté, faute de moyens, « le Juge des liberté et de la détention est toujours saisi dans l’urgence ».
Lien entre immigration et délinquance
Enfin, Me Sophie Mazas, du barreau de Montpellier, notamment pour la Cimade, Médecin du Monde, la Ligue des Droits de l’homme, demande que les contrôles d’identité « soient limités », et si ce n’est pas le cas, c’est que « le gouvernement fait un lien direct avec la délinquance, et avec la minorité ».
Ce lien, M. Pavageau, envoyé du secrétariat général du gouvernement au nom de la Première ministre pour défendre la constitutionnalité de la loi, va le développer : « Les faits de délinquance des mineurs ont deux causes : leur besoin de subsistance et la violence gratuite entre bandes. Quand un mineur en situation irrégulière voit que ses perspectives d’avenir sont peu encourageantes, il peut être enclin à commettre des violences. » Il rappelait les chiffres clé : la multiplication par 10 de la population de 1975 à 2022, « liée pour l’essentiel aux flux migratoires », et « à la croissance démographique de 3,8% portée en grand partie par les femmes étrangères », débouchant sur une population pour moitié composée d’étrangers, « dont la moitié est en situation irrégulière ».
L’évolution législative est notamment due à une disposition de l’ex-députée Ramlati Ali, indiquait-il, ordonnant que « l’identité de toute personne puisse être contrôlée ».
Cette situation migratoire constitue « une caractéristique particulière » qui implique « des dispositions particulières ». M. Pavageau précisait que cela se faisait avec l’arsenal habituel à la disposition des étrangers entrés irrégulièrement : « Cela n’empêche pas un contrôle juridictionnel, et ils peuvent déposer plainte s’ils jugent le contrôle litigieux ».
La plainte de Mme A. en est d’ailleurs une preuve, puisque jugée devant le Conseil constitutionnel. Egalement les recours nombreux cette année qui ont abouti sur l’obligation de scolariser les enfants, même de trois ans, alors même que le rythme des naissances et des arrivées remplissent les écoles, induisant un déficit de 900 salles de classe.
Le conseil constitutionnel sort son mètre-ruban
Il martelait que les droits fondamentaux suivant ne peuvent être empêchés : « Aucun pouvoir de perquisition dans les locaux », notamment « sur l’inviolabilité du domicile », « pas d’empêchement de constitution d’association d’aide aux étrangers en situation irrégulière, dont l’aide humanitaire, ni dans les conditions d’accès aux soins et aux établissements scolaires. »
Et concluait avec un argument de poids, celui de la jurisprudence en la matière, « le conseil constitutionnel dans sa décision d’avril 1997 a jugé conformes les contrôles d’identité sur 98% de la population de Guyane, c’est donc possible de l’appliquer dans ce département de Mayotte. » En Guadeloupe également, « une fraction significative » du territoire est concerné.
Alors 1km, 20km, plus, moins ? Un des assesseurs de Laurent Fabius, François Seners, tentait de cerner quel serait le périmètre idéal pour procéder aux contrôles d’identité, « quels sont les critères pertinents ? »
Pour Me Ramanih, le fait même qu’il y ait des contrôles en mer justifie que revenir à une bande d’un kilomètre, quand M. Pavageau évoquait au contraire que « la totalité de l’île de Mayotte répond à l’ancienneté de l’immigration. »
Le sujet reste complexe, car comme le disait un ancien élu, « on serait d’accord pour régulariser tous les étrangers qui sont déjà là, si on nous garantissait que l’immigration soit totalement stoppée ». On sait que ce n’est pas le cas, et les services publics sont de plus en plus engorgés, avec un accès à l’hôpital et à la scolarisation de plus en plus problématique.
Laurent Fabius indiquait que la décision serait rendue le 25 novembre au matin.
Anne Perzo-Lafond