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10 ans de départementalisation et plus que jamais une économie à deux vitesses à Mayotte

La présentation de l’évolution économique de Mayotte 10 ans après avril 2011, sonne comme une réponse à la sentence de la Cour des comptes (CC) évoquant en 2016 « une départementalisation rapide, mal préparée et mal pilotée ». Comment Mayotte s’en sort-elle ? Si les indicateurs ne demandent qu'à grimper, une fois encore, la pression démographique plombe l'ambiance.

Le travail fourni par les auteurs de l’étude, IEDOM, AFD et INSEE, est le fruit d’un accord sur la production de Comptes économiques rapides pour l’Outre-mer (CEROM) de 2003. En proposant des statistiques sur l’évolution de la situation économique d’un territoire, il permet aux décideurs d’orienter les politiques publiques.

Première remarque, « il manque des données à Mayotte », comme l’avait mentionné Marie-Anne Poussin Delmas, président de l’IEDOM, nous n’avons notamment sous la main que le PIB (Produit Intérieur Brut) 2019 quand le reste du pays travaille sur celui de 2020.

Si aucune tendance révolutionnaire n’apparaît dans cette analyse qui s’apparente à ce que nous livre chaque année l’IEDOM, observer les évolutions des données (richesses, chômage, fiscalité) sur 10 ans est riche d’enseignements quant aux blocages spécifiques à Mayotte. On le voit avec une sorte d’essoufflements de certains indicateurs depuis 2016, à mettre en lien avec le poids démographique.

Les mouvements sociaux de 2099, 2011, 2016 et 2018 plombent la croissance, dans une tendance baissière, dont la photo s’arrête en 2019…

Halo quoi !

Mayotte reste « pauvre parmi les riches et riche parmi les pauvres ». Notre PIB de 2019 (2,6 millions d’euros) est 3,7 fois moindre que le niveau national et 4 fois plus élevé qu’aux Comores et 8 fois plus qu’à Madagascar. De 2011 à 2019, notre PIB avait pourtant augmenté de 7,5% par an, un rythme trois fois plus élevé que celui de la France, mais en lien avec des mesures conjoncturelles : relèvement du SMIC net, indexation progressive des salaires des fonctionnaires qui a atteint son maximum en 2017, et des contrats de convergence avec l’Etat. D’ailleurs, « entre 2016 et 2019, le PIB par habitant croit deux fois plus lentement que pendant la période 2011-2015 ». Les mouvements sociaux de 2016 et 2018 ont certes affaibli la croissance, mais ils sont à relier à une départementalisation « mal préparée ». Et évidemment, la croissance démographique qui « est très forte à Mayotte dans les années qui suivent la départementalisation ».

Une croissance démographique qui perturbe en réalité toutes les données. Si la pauvreté touche 77% de la population et non 84% comme auparavant, ce n’est pas que la situation s’est améliorée, c’est que le revenu médian qui sert de calcul au seuil de pauvreté, a baissé. Le fossé se creuse en terme d’inégalités de revenus, puisqu’en 2018, les 10% des plus aisés ont un niveau de vie 6,8 fois supérieur au niveau de vie médian de la population, alors qu’il était 4 fois supérieur en 2011.

L’accroissement démographique est lié au taux de fécondité sur place et à l’immigration. Celle-ci vient grossir les rangs des demandeurs d’emploi non déclarés, le fameux halo formé des 33.000 personnes en âge de travailler mais qui n’ont fait aucune démarche ou qui ont un emploi informel. Faisant de Mayotte le seul département avec la Guyane où « être dans le halo du chômage est une situation plus fréquente qu’être au chômage ».

L’immigration fausse les données statistiques

Un fossé entre l’économie formelle et la pauvreté d’une population étrangère arrivée en nombre

La constatation transversale que l’on peut faire sur les analyses des trois acteurs, c’est que partie de la population en situation irrégulière pèse de tout son poids sur la conjoncture et les perspectives de développement. « Entre 2011 et 2019, une population étrangère nombreuse et pauvre s’installe sur l’île, tirant les revenus des plus modestes vers le bas. En conséquence, le niveau de vie médian des habitants de Mayotte reste 6 fois plus faible que celui de métropole. Il baisse même par rapport à 2011, alors qu’il avait nettement progressé avant ».

Et cela modifie la perception de l’évolution des taux. En tirant les données vers le bas, puisqu’une production de richesse divisée par le nombre d’habitants avant ou après immigration, ne livrera pas la même tendance. Des données réelles sont ainsi masquées, notamment l’évolution positive de la richesse pour ceux qui y ont accès, mais invisible lorsqu’on prend comme base l’ensemble de la population. Cela redevient visible quand on évoque les inégalités de revenus. Et lorsqu’on différencie, « Entre 2019 et 2021, le taux d’emploi recule nettement pour les personnes nées à l’étranger, tandis que les natifs de Mayotte résistent mieux », analyse le document.

Cela nous rappelle d’abord notre économie à deux vitesses, avec une amélioration des tendances pour la population entrant dans le secteur formel, qu’elle soit en activité ou au chômage. Une analyse froide de la situation qui amène plusieurs remarques.

Depuis 2009, le taux d’emploi de la population étrangère est en diminution constante

Une maternité déjà sous appel d’air

L’aberration de maintenir des niveaux bas de minimas sociaux, à 50% du national, tout d’abord, sans aucune convergence (contrairement à ce qui est écrit dans le document), puisque une telle évolution était inscrite dans la mort-née loi Mayotte. Surtout que le Revenu de Solidarité active (RSA) et les allocations familiales ne sont pas accessibles aux étrangers en situation irrégulière « ou régularisés depuis moins de 15 ans ». Résultat, « En 2019, le montant des allocations familiales à Mayotte est inférieur de 10 à 70% à leur niveau de métropole ». Encore une fois, avec ce niveau de prestations et au regard des 10.600 naissances actuelles, comment peut-on parler encore de risque d’appel d’air ? Qu’est ce qu’on risque exactement à part la pauvreté pour les ayants-droits ?!

Un rattrapage des minimas sociaux diminuerait le taux de pauvreté et doperaient la consommation et donc le développement. C’est bien l’augmentation des revenus des ménages (SMIC et indexation) qui a dopé le développement des branches du commerce et des activités immobilières, ce qui s’est traduit par d’importantes créations d’emploi entre 2009 et 2021, +46%.

Pour permettre à un projet de société de naitre dans un développement commun, il faut poursuivre le travail de formalisation des entreprises informelles, « 5 fois plus nombreuses que les entreprises formelles » mais qui dégagent « peu de valeur ajoutée ». La clef se trouve dans la formation.

Et enfin, pour doper le secteur marchand qui commence à être un vrai relais de croissance, avec 33% de création d’entreprises supplémentaires en 2021, « un nouveau record », mettre en place des outils d’ingénierie comparables à la plateforme du GIP Europe, et un accompagnement financier dynamique, pour épauler les porteurs de projets nombreux sur le territoire.

En tout cas, Mayotte peut se féliciter d’avoir des entrepreneurs dynamiques, et des collectivités qui commencent à l’être, qui en dépit des perturbations liées à l’insécurité, investissent et contribuent ainsi fortement à la croissance de l’activité économique.

Pour consulter les principales données, l’Infographie_Bilan_Macroeco_Activité_Revenus proposée par le CEROM.

Anne Perzo-Lafond

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