Constatant un « décalage » entre la réalité et les visions des ministères, Saïd Omar Oili, président de la Communauté de Communes de Petite Terre (CCPT) avait commandé à l’Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE), une étude sur la réalité de son territoire. Il en illustrait l’urgence par un exemple : « On y développe dans le quartier précaire de La Vigie une action de renouvellement urbain. Comme si on avait un côté urbain qu’il fallait renouveler ! Lorsqu’un quartier de métropole mène une opération semblable de rénovation, il est déjà doté d’eau courante et d’électricité. Ce n’est pas le cas ici, il faut tout installer. Donc là-haut, ils pensent ‘ils ont l’argent, et pourtant, ils n’ont pas monté de dossier’. C’est normal, vu le contexte des cases en tôle, c’est l’échec assuré ».
L’INSEE avait donc dessiné un portrait statistique de Petite Terre, qui détaillait notamment, et par village, le taux de chômage, le taux d’équipement des ménages, estimé la croissance de la population, etc. Une présentation qui n’avait pas laissé indifférents les cadres de la commune, qui l’avaient jugé décalée par rapport à la réalité. Et pour cause, les données se basent toujours sur le recensement de 2017, « or, nous avons fait des efforts sur l’habitat en dur dans le centre de Dzaoudzi depuis 2017, ce qui n’est pas traduit par l’étude », clamaient-ils.
La plus belle fille du monde…
Pour toute réponse l’INSEE avait fait savoir en substance que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, en l’occurrence, les informations tirées du recensement de 2017. Mayotte ayant rejoint le droit commun en terme de recensement, celui-ci se fait désormais par 5ème, avec résultat final en 2026. D’ici là, rien d’autre à se mettre sous la dent. Or, à Mayotte, tout peut évoluer rapidement, les démolitions de cases en tôle par la préfecture en sont une manifestation visible.
Nous avions interrogé Bertrand Aumand, directeur territorial de l’INSEE, sur les solutions à apporter à cette impasse statistique qui ne permettrait pas d’actualiser les données d’ici 2026… impensable ! La réponse n’engendrait pas l’optimisme. « L’INSEE mène en plus du recensement des études triennales, mais les prochaines sont déjà décidées. Nous faisons en fonction de nos moyens. Il faut dans ce cas que les collectivités fassent appel à un cabinet privé ».
Les parlementaires ont été appelés à la rescousse par Saïd Omar Oili, pour interpeller le gouvernement et éclairer ce long tunnel d’encore 4 ans.
Rappelons qu’en terme de croissance de population, qui conditionne l’octroi de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) aux communes, le gouvernement a prévu dans la loi de Finances 2021 un dispositif d’actualisation anticipée des populations municipales de 2021 à 2025, mais « sans que puisse être toutefois précisée la croissance très diverse à l’échelle des communes et des quartiers », indique les sénateurs Thani Mohamed Soilihi et Hassani Abdallah, dans un courrier adressé aux ministres Bruno Lemaire (Economie) et Yaël Braun-Pivet (Outre-mer).
Ailleurs, on sait faire
Ils détaillent les secteurs où les données restent encore « lacunaires » : les répertoire, l’adressage, les données administratives, etc. Et mettent l’accent sur les inégalités avec la métropole : alors que les données des Quartiers prioritaires Politiques de la Ville (QPV) datent pour la plupart de 2012 à Mayotte, en dehors de la démographie issue du recensement 2017, « elles font l’objet d’une réactualisation pratiquement tous les ans dans la plupart des autres DROM ». Ils rapportent le constat fait par Saïd Omar Oili que « l’Organisme National de la Politique de la Ville dispose de données et de statistiques très précises pour les 1.418 Quartiers Prioritaires du territoire national… à l’exception notable des 36 QPV de Mayotte ». Et alors même que chez nous ils sont en phase d’évaluation et de bilan.
Les deux élus invitent à « réellement mobiliser tous les efforts pour que, à Mayotte, l’INSEE ait les moyens humains et matériels de produire une méthodologie de travail et des indicateurs adaptés au contexte mahorais », en en rappelant « l’urgence ». Que ce soit à travers les études triennales, ou par d’autres moyens alloués par la Direction générale aux Outre-mer (DGOM). En réponse à Bertrand Aumand, ils rappellent que les collectivités locales « n’ont pas les moyens de faire appel à des cabinets privés », pour dégager des portraits statistiques de leurs territoires.
Nul doute que le sujet a été abordé lors de la rencontre du sénateur Thani Mohamed avec la ministre des outre-mer Yaël Braun-Pivet ce mardi 21 juin.
L’INSEE est donc priée de sortir le territoire du tunnel… ne serait-ce que statistique.
Anne Perzo-Lafond