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Avec « Pacifiction », le Festival de Cannes offrait une place à l’outre-mer

Dans le cadre de la sélection officielle 2022 de Cannes, fut présenté en compétition, Pacifiction, le nouveau film d’Albert Serra. Tourné en Polynésie Française, le long métrage est l’unique représentant officielle des territoires d’outre-mer. Il offre dans son récit, un surprenant parallèle avec notre île.

En fin de quinzaine, la compétition officielle du festival de Cannes, nous offrait à découvrir le nouveau film du cinéaste espagnol, Albert Serra. « Pacifiction » est une œuvre viscérale, pleine de sens, une contemplation et une critique des territoires isolés de la République Française.

Le film puise dans les récits modernes de la gestion Française d’un territoire d’outre-mer, délaissé, voir oublié, où seuls les intérêts de l’état font irruptions. Annonçant un évènement, sous forme d’une catastrophe qui pourrait se produire, tout est si calme avant la dernière nuit.

La justesse du propos et la maitrise du filmage d’un environnement aussi fascinant, nous rappellent les trésors ignorés. Prenons le large vers le Pacifique, à quelques milliers de kilomètres.

Montée des marches de l’équipe de Pacifiction © Facebook Festival de Cannes

Immersion dans un récit universel polynésien

Le ton est donné dès le premier plan, un lent travelling horizontal, en plan large, du port autonome de Papeete à Tahiti. Une vue sur les conteneurs aux premières lueurs de l’aube. Apparait en grosse majuscule rouge, le titre du film : PACIFICTION. Suivra dans le plan suivant, une équipe de la gendarmerie maritime arrivant au port de plaisance. A quelques choses près, on se croirait à Dzaoudzi.

S’installe rapidement le récit autour d’un certain De Roller, haut-commissaire de la République (équivalent de notre préfet). Le personnage, magistralement interprété par un Benoît Magimel « tropical », prenant en permanence le pouls de la population locale d’où la colère peut émerger à tout moment.
Ça ne vous rappelle rien ?

Du haut de ses 2h45, le film parfois très justement bavard et d’autre fois contemplatif, choisi la sobriété dans les discours sociaux et politique. Pourtant tout est dit et montré.

L’environnement devient un personnage à part entière, donnant un sens à la démarche de ses opposants. Une magnifique séquence d’observation de concours de surfs, depuis des bateaux, nous montre l’immensité qui entoure une si petite collectivité. C’est pourtant sur le pôle principal de Tahiti que se joue l’avenir. Comme si quelque chose de grave allait arriver. Cette vague qui pourrait à tout instant tout submerger. Quelque chose causé par l’homme. Une mystérieuse annonce permanente qui inquiète son protagoniste, dépassé par les situations qui l’entourent. Tout se joue face à ce que voit De Roller à travers ses rencontres.

Albert Serra, a fait le choix d’intégrer autour de Benoît Magimel, Marc Susini et Sergi Lopez, des acteurs locaux, plus sincères que jamais. Dans cette histoire, c’est eux qui donnent le vrai de la culture, parfois mise de côté pour le bien de la République. Chacun de ces rôles donnent une note particulière au film. La Polynésie Française ne serait pas grand-chose sans les polynésiens. On ne manquera pas de souligner le talent de Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun et Michael Vautour, figurant dans les principaux rôles secondaires, portant eux aussi la grandeur de l’œuvre. C’est eux qui alertent, mais ce sont eux aussi qui accueillent et se soumettent à la raison d’Etat. On se rapproche de quelque chose que l’on connaît, n’est-ce pas ?

Un cinéaste d’ailleurs aux portes du réel

Benoît Magimel dans la tourmente. © Les Films du Losange

Le message principal sous couvert d’un film aux tendances hermétiques, impressionne par sa spontanéité et l’audace de son réalisateur. D’origine espagnole, Albert Serra, connait bien Tahiti, est ne lâche jamais le cap. Rare sont les cinéastes venus d’ailleurs à connaître aussi bien ce type de sujets. Mais la maitrise d’Albert Serra n’est plus à confirmer. Il a déjà fait ses preuves avec ses précédents films, La Mort de Louis XIV et Liberté, tous deux présentés aussi à Cannes.

Albert Serra s’est d’abord inspiré des écrits de la femme de Marlon Brando, qui a vécu avec son mari, légende du cinéma, dans l’un des archipels de Polynésie Française. L’expérience surprenante et frappante a interpellé le cinéaste, découvrant avec stupéfaction la gestion très instable de la France à l’égard de la collectivité des outre-mer.

Le sujet est là, juste et vrai. Le talentueux réalisateur s’en empare pour une fiction dans le Pacifique. D’ici, au tournant des îles, nait Pacifiction.

Le discours politique des outre-mer

C’est ainsi que l’on peut voir ce film comme une œuvre généreuse dans sa forme visuelle, audacieuse dans son discours poétique et politique des îles. Difficile d’oublier cette réplique de Benoît Magimel, un soir de pluie tropicale, dans sa grosse voiture blanche : « La politique c’est comme une boîte de nuit. La politique n’existe plus. »

Il est quasiment impossible d’imaginer un fonctionnaire de l’Etat, exprimer librement un tel discours, pourtant transpirant la réalité et l’actualité.

Suivra son départ seul en mer, sur un petit bateau à moteur, car on n’est jamais mieux servi que par soi-même; tout ça pour guetter ce qui peut se manigancer la nuit sur les côtes. Ça ne vous rappelle toujours rien ?

L’intemporalité du film nous rappelle les heures sombres des errances coloniales, de l’époque des essais nucléaires, des paradis d’évasions. Un bruit de couloir qui revient en permanence dans le récit, pour parler ainsi des renversements qui peuvent se produire à tout moment, causé par les choix dit démocratiques des gouvernances qui se succèdent.

On pense évidemment au soulèvement des populations dans les territoires ultramarins, comme à Mayotte, où la colère gronde à de nombreuses reprises dans les villages. L’appel permanent des outre-mer contre ladite métropole qui n’entend que ce qu’elle veut entendre, et en surface.

Photocall officiel, l’actrice Pahoa Mahagafanau, le réalisateur Albert Serra et les acteurs Michael Vautour et Benoît Magimel- © Facebook Festival de Cannes

Garder le cap

Pacifiction, une œuvre radicale, un OFNI (objet flottant non identifié) du cinéma, filmé en pellicule dans un paradis où comme l’aime à le répéter, le protagoniste : « Elle est belle notre île ». Jamais le film ne manque son choix d’un fond réaliste sur une fiction métaphorique. Cadre de rêve, où tout est encore à faire.

À défaut de ne pas avoir reçu de prix, le film a tout de même eu le droit à une longue standing ovation, suivie d’une série de critiques salutaires.
Les Films du Losange ne l’a pas encore daté. Il est normalement prévu qu’il figure dans les sorties du mois d’octobre ou novembre là où de nombreux films du festival de cannes trouvent leur public.

On espère qu’il traversera les mers et les océans pour arriver jusqu’à notre île. Car il est évident qu’il y aura résonnance. Reste à avertir le public du style difficilement définissable et de la durée du film.

Une palme du cœur ultramarine.

Germain Le Carpentier

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