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Projet îlot Mtsamboro, « l’écart entre le verbe et la réalité »

Ce que la préfecture a présenté aux habitants de la commune de Mtsamboro la semaine dernière, ressemble sur le papier à un Jardin d’Eden. Mais là-bas, ils sont nombreux à avoir leur parcelle plantée non de pommiers, mais d’orangers depuis plusieurs générations. Et à revendiquer donc un droit de regard. Il va falloir trouver un compromis, les premiers coups de pelle seront donnés le 6 juin.

Une maman que nous avons prise en stop avec son enfant nous expliquait que celui-ci s’appelait Lilo, « parce que son papa est de Mtsamboro ». C’est dire l’importance que représente ce caillou de 203 ha pour les habitants du village, le plus grand îlot de Mayotte.

C’est sans doute pour avoir sous-estimé ce phénomène sociologique que la préfecture a eu quelque mal lors de sa présentation d’un plan de grande ampleur aux habitants de la commune ce 18 mai. Intitulé « Shisiwa Mtsamboro » (îlot Mtsamboro), il s’affiche comme « une reprise en main » de ce plus gros îlot de Mayotte, situé au Nord-Ouest de l’île. Il est réputé pour trois raisons : c’est ici que se cultivent les meilleures oranges du territoire, c’est un spot apprécié des touristes, mais ces mêmes plages offrent le point d’entrée le plus discret de Mayotte pour les candidats au périlleux voyage depuis Anjouan.

« Une reprise en main », un terme qui en a énervé plus d’un. Pourtant, le projet est sexy sur le papier, qui comprend notamment la destruction de 133 cases informelles, pour en reconstruire une partie en matériaux traditionnels, l’implantation d’un ponton à pieux au Sud-Est de l’îlot, reconstruction du « tobe » traditionnel (au sens de groupe de maisons ici) de la plage d’Antakudja, et le retour aux cultures traditionnelles.
Il est porté en commun par le Conservatoire du littoral, « propriétaire du foncier de l’îlot », et les co-gestionnaires de l’îlot Mtsamboro, à savoir, la commune de Mtsamboro et l’association « Agir pour le développement intégré de Mayotte » (ADINM), accompagnés par les services de l’État, sous l’égide du préfet de Mayotte.

L’îlot vu d’avion, la grande plage est orientée au Sud-Ouest (Photo : A.P-L.)

Destruction des cases le 6 juin

Car de son côté, la préfecture en dresse un tableau sombre : « Historiquement, l’îlot est une des portes d’entrée de l’immigration clandestine à Mayotte, en particulier sur son versant Est (Mtsanga Mlima et Mtsanga Béléni). Cette situation accentue la déforestation, les constructions illégales, la pollution et la dégradation de la biodiversité. Cela génère également une insécurité dommageable aux usagers traditionnels de l’îlot et au développement d’un éco-tourisme durable. Ces dernières années, les difficultés d’accès à l’îlot des services de l’État et de la commune se sont traduites par l’implantation de nombreuses constructions réalisées sans autorisation (133 recensées en 2022, dont 47 construites depuis 2020), mais aussi par une déforestation croissante générant un remplacement des orangers historiques et reconnus de Mtsamboro ».

A ceux qui se demanderaient de quel chapeau sort d’un coup ce projet à plus de 2 millions d’euros, la préfecture répond qu’il s’agit de mettre en œuvre le plan de gestion de l’îlot « conçu en 2017 avec les acteurs du territoire », autour de trois actions phare, que les institutionnels détaillent.

La première porte donc sur l’implantation d’un ponton à pieux au Sud-est, « seul lieu adapté à l’accueil d’une telle infrastructure, compte tenu de la taille du platier autour de l’îlot ». La mise en place de corps morts, le tracé de 5 sentiers balisés et l’implantation de 4 farés, sont prévus,  à la fois pour les agriculteurs, à la fois pour les promeneurs, à la fois pour « faciliter l’accès à l’îlot aux services chargés d’y faire respecter le droit ». Des constructions prévues au 2ème semestre 2022.

Un projet de ponton au Sud-Est, ainsi que des sentiers balisés et des farés

La seconde dénonce le développement anarchique des constructions sans permis, qui « génère une privatisation de l’espace public », et « une économie informelle qui ne profite ni à la population, ni à la protection des espaces naturels. » Une opération de destruction des cases est prévue le 6 juin prochain, « dans le cadre de la loi ELAN ». En contrepartie, ceux qui peuvent prouver une construction antérieure à 2019, pourront se voir financer une construction dans le cadre de la reconstitution d’un tobe traditionnel de la plage d’Antakudja au 2ème semestre 2022.

Enfin, un retour vers les cultures traditionnelles, avec replantation d’agrumes et d’essences forestières est envisagé.

Rastami Spelo lors de sa décoration de Chevalier des Arts et des Lettres en 2016

Des irréductibles Mtsamborois

Mais afficher tout cela par une « reprise en main », n’a pas été du goût de certains habitants, usagers de l’îlot depuis des décennies. Or, la réunion publique qui s’est tenue ce mercredi, initiée par le maire et le préfet, exposait un projet global déjà bouclé. Si beaucoup ont été séduits, plusieurs points de désaccord se sont fait jour, le plus criant fut le foncier. Parmi les contestataires, Rastami Spelo. Originaire de la commune, il est connu à l’échelle de Mayotte comme l’initiateur de l’association Shime de défense des langues vernaculaires pour laquelle il a été décoré chevalier de l’ordre des arts et des lettres, et pas spécialement diplomate dans ses prises de parole. C’est donc un locuteur redoutable qui a pris position face au préfet.

Nous lui avons demandé d’étayer ses arguments. C’est la philosophie du projet qu’il combat, « encore une fois, l’Etat sait mieux que nous ce qui nous convient en prétextant des avancées là où nous voyons des atteintes. Le ponton, ils le construisent dans la zone où il y a les cultures, face à Mtsamboro. Il est soit disant mis en place pour permettre l’accès aux services publics chargés de faire respecter la loi, mais il sera à l’opposé de la zone où arrivent les clandestins, comment vont-ils s’y rendre rapidement ? »

Mais ce qui fâche le plus, c’est l’idée de toucher à l’héritage familial lors des démolitions de cases, « nous avons tous un lopin de terre là-bas. Dans le passé, les héritiers du lieu ont été appelés pour borner leur parcelle, ils ont été identifiés donc. Comme le suggère une habitante de Mtsamboro, pourquoi n’utilise-t-on pas cette liste officielle pour laisser ces gens tranquille ? On n’a pas besoin qu’ils nous fassent des cases. » C’est la même objection en ce qui concerne le « tobe », « on assiste à une prostitution du terme, explique le puriste, ce sont en réalité des logements proches du champ », un peu dans l’esprit des cabanes de berger dans les montagne de l’Hexagone, « il faut laisser l’existant. »

Remettre l’ouvrage sur le métier

L’agenda du projet

L’impression qu’il dégage du projet, « c’est que l’Etat veut nous chasser au bénéfice de personnes qui n’ont pas d’attache historique avec ce lieu ». Et estime qu’il n’y a pas eu de concertation en amont, « Laïthidine (le maire, ndlr) aurait pu organiser des réunions avec les concernés ».

Tout n’est pas à jeter néanmoins, « l’élément positif, c’est qu’il empêche l’appropriation de la plage par les occupants du lieu, or, c’est le domaine public. »

C’est en substance une appropriation sans concertation et un détournement d’intentions que reprochent ces habitants, « la préfecture dit que c’est pour nous, mais c’est pour dépenser des fonds existants, pas pour la population. » Ce que Rastami Spelo résume en, « il y a un écart entre le verbe et la réalité ».

Qui va l’emporter entre les trois facettes de l’îlot Mtsamboro : la destination campagne chère aux habitants du village, la destination touristique voulue par la préfecture, ou la destination migratoire ?

Les habitations actuelles sont sur une infime partie de l’îlot, sur la plage très prisée du Sud-Ouest (Photo: A.P-L.)

En y ajoutant un déficit de concertation en amont, on assiste quasiment aux mêmes symptômes qu’avec le plan de développement Mayotte. Une écoute apparente, sans traduction dans les faits. Or, le projet est séduisant, il va falloir que le préfet et le maire prennent leur bâton de pèlerin pour convaincre. Pour y arriver, des échanges sont prévus à l’hôtel de ville, au 1er étage, les lundis 23, mardi 24, et mercredi 25 mai de 15h à 17h, et une permanence le vendredi matin de 10h à 12h. Un cahier est également mis à disposition pour que chacun exprime son point de vue.

Anne Perzo-Lafond

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