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Portrait statistique de Petite Terre : « Des chiffres qui imposent un changement urgent de politique à Mayotte »

Saïd Omar Oili veut croire qu’il tient en main une arme pour convaincre jusqu’au président de la République. La présentation chiffrée de Petite Terre par l’INSEE fait apparaître une croissance démographique de 3,9% par an, dont 6,7% à La Vigie, avec 2.400 petits-terriens de 15 à 29 ans sortis du système scolaire sans diplôme. « Le gouvernement ne peut plus faire la politique de l’autruche. Nous avons de réelles difficultés ». Il implore de mener un travail avec la région.

Le « décalage » entre la réalité et les visions dans les ministères, le président de la Communauté de Communes de Petite Terre (CCPT) le pointe à chaque page de l’étude livrée par l’Institut National des Statistiques et des Etudes Economiques (INSEE) ce jeudi 12 mai. Saïd Omar Oili l’illustre avec l’opération sur le quartier précaire de La Vigie : « On y développe une action de renouvellement urbain. Comme si on avait un côté urbain qu’il fallait renouveler. Lorsqu’un quartier de métropole mène une opération semblable de rénovation, il est déjà doté d’eau courante et d’électricité. Ce n’est pas le cas ici, il faut tout installer. Donc là-haut, ils pensent ‘ils ont l’argent, et pourtant, ils n’ont pas monté de dossier’. C’est normal, vu le contexte des cases en tôle, c’est l’échec assuré ».

Que dit cette étude ? Une tendance est transversale : Petite Terre serait leader du territoire mahorais si La Vigie n’alourdissait pas le contexte par une extrême précarité. Ce quartier à cheval sur les deux communes de Petite Terre, Dzaoudzi Labattoir et Pamandzi, doit faire l’objet de toutes les attentions. Un exercice qui a ses limites, explique plus loin Saïd Omar Oili.

A Petite Terre, la population de 29.300 habitants en 2017, augmente de 3,9% par an entre 2012 et 2017, dont 6,7% dans le quartier de La Vigie, « comme il y a encore de la place, les gens viennent s’y installer et font des enfants dans la perspective d’obtenir la nationalité », indique Saïd Omar Oili. Les amendements Thani imposant la présence d’un des parents en situation régulière pendant 3 mois avant la naissance de l’enfant, n’ont pour l’instant pas porté leurs fruits. Peu de communication en a été faite, et c’est à partir des 13 ans de l’enfant que la difficulté va se poser.

Les deux communes de Petite Terre passées au peigne fin (Photo : A.P-L.)

Pamandzi et le Front de mer, les plus aisés

L’étude distingue 4 zones, la Vigie, 7.200 habitants, le centre-ville de Dzaoudzi, 6.700 habitants, le centre-ville de Pamandzi, 2.050 habitants, et le Front de mer sur le littoral ouest de Petite Terre, 1.200 habitants. Leur physionomie va d’une population très jeune et précaire à La Vigie, à une population plus âgée, « et plus favorisée », dans le centre-ville de Pamandzi, indique l’INSEE. Le taux d’emploi illustre cette tendance, puisque si 34% des adultes ont un emploi en Petite Terre (contre 29% sur l’ensemble de Mayotte, et 64% en métropole), ils sont 45% sur le Front de mer, 40% à Pamandzi, 32% à Dzaoudzi et seulement 28% à La Vigie. La pression démographique rend croissant le nombre de personne sur le marché du travail, ce qui explique que la situation se soit détériorée de 2012 à 2017, avec un taux d’emploi qui chute de 38% à 34%.

La disparité entre La Vigie et le reste de Petite Terre se révèle aussi dans le niveau de formation des jeunes. Sur Mayotte, ils sont 64% à être sorti du système scolaire sans diplôme, contre « seulement » 57% en Petite Terre, une situation plombée par La Vigie où ils sont 66%.

Information intéressante à l’heure de décliner les transports en commun, 42% des petits-terriens en emploi travaillent en Grande Terre et bargent donc quotidiennement.

Sur la petite île, 41% des logements sont des cases en tôle, 23% n’ont pas l’eau courante à l’intérieur, 57% ne disposent pas du confort sanitaire de base (WC ou douche), 56% sont suroccupés, et 6% sont sans électricité, et pour ceux qui en disposent, 4 logements sur 10 n’ont pas de compteur individuel. Ces données sont toutes plus aggravées à La Vigie.

2017, c’est déjà avant-hier à Mayotte

La démographie par quartier

Enfin, les équipements de proximité sont à peu prés aussi présents que sur l’ensemble du territoire mahorais, seuls les taxis sont plus nombreux en raison de la présence de l’aéroport. Il y en a 7 fois plus qu’en métropole, puisqu’ils jouent le rôle de transport en commun, et les doukas sont 20 fois plus nombreuses que les petites épiceries de métropole, qui foisonnaient autrefois dans les quartiers mais on cédé du terrain face aux grandes surfaces. Il y a 4 à 5 fois moins de personnel de santé par rapport à la France métropolitaine, mais l’inauguration de l’hôpital de Suite de soins et de réadaptation depuis la publication des données en 2017 va relever ce rapport.

Ce qui pose d’ailleurs le problème de l’actualisation des statistiques, faisait remarquer une cadre de l’interco, « nous avons fait des efforts sur l’habitat en dur dans le centre de Dzaoudzi depuis 2017, ce qui n’est pas traduit par l’étude ». Comme nous l’avons expliqué, le recensement quinquennal n’est plus d’actualité à Mayotte, qui se cale sur le droit commun d’un recensement annuel par tranche… mais avec publication des données en 2026. Pour actualiser les données, il faudrait que l’INSEE décide de nouvelles études, mais cela se fait de manière triennale, « et les prochaines sont déjà décidées, nous faisons en fonction de nos moyens. Il faut dans ce cas que les collectivités fassent appel à un cabinet privé », indique Bertrand Aumand, directeur territorial de l’INSEE, que nous avons interpellé, et qui rappelait que nous étions entré dans un « effet tunnel » jusqu’en 2026.

Trouver le bon timing pour empêcher l’embolie scolaire, et les sorties sans diplôme

Saïd Omar Oili fait une traduction politique de cette étude : « Même si les chiffres datent, la population ne va pas décroitre. Or, je suis très inquiet de cette pression démographique. A Dzaoudzi Labattoir, j’ai 5.000 enfants scolarisés, et 400 sur liste d’attente. Combien de classes je vais être obligé de construire, étant donné que j’ai déjà 11 établissements scolaires pour 6.700 habitants, et que j’ai programmé 30 nouvelles classes. Jusqu’où cela va-t-il aller ? Paris veut des chiffres, il les a maintenant. Nous avons de gros besoins en équipements publics, et les nombreux enfants qui quittent le système scolaire sont un épineux problème. Je veux donc que nos gouvernants à Paris comprennent qu’on ne s’en sortira que s’ils mettent en place une politique régionale et une incitation à réguler des naissances. Madagascar est un géant démographique à notre porte, les Comores n’en parlons pas. Avec un prévisionnel de 700.000 habitants en 2050 chez nous, et une forte croissance chez eux, quelle sera la place de Mayotte dans la politique nationale ? Il faut une volonté politique affirmée sans quoi nous ne pourrons pas nous en sortir. »

Quand l’INSEE devient une arme politique que les parlementaires doivent relayer.

Anne Perzo-Lafond

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