Il est encore difficile de parler de certains sujets à Mayotte, sans que l’on puisse faire face aux reproches ou à la critique. Marie Dubois et Remi Mazet, ont fait le pari de croire qu’il était possible de simplement raconter « une histoire de Kaweni » à travers le regard des enfants qui y vivent. L’approche documentaire non conventionnelle, nous laissant parfois dans une forme de fiction, embarque son spectateur dans un coin de notre l’île, si souvent déchirée par des actualités violentes ou misérabilistes. C’est le contre point de ces sujets qui ressort du très poignant long métrage. Comme le choix d’une part inédite, qu’il fallait impérativement montrer aux habitants et bien plus encore, à la France entière.
« Nous on pose un regard sur ce qui se passe ici, mais ce n’est que notre regard, notre point de vue. Et l’idée, c’est de raconter une histoire. Kaweni c’est un endroit compliqué, nous c’est un endroit qu’on aime beaucoup. Et on avait pas non plus envie de dire que tout est très compliqué, parce que ce n’est pas pas la réalité. Donc, il nous fallait faire un film qui donne à réfléchir. » raconte Marie Dubois, à l’issue de la première projection du film au Lycée des Lumières.
En mettant le pied à Kaweni, les deux cinéastes n’imaginaient pas faire une telle rencontre, amenant le tournage d’une année, à plus de trois cent heures de rushs (images brut tournées). La richesse des récits et des expériences de chacun de ces enfants nous mène en tant que spectateur à se laisser prendre comme dans un conte, au récit initiatique de ces héros d’aujourd’hui et de demain.
L’école de la vie
Au début il y a cette CM2. Celle de Monsieur Saindou Moudjibou, le professeur des écoles que tous les élèves rêveraient d’avoir, comme le dit si bien le réalisateur Rémi Mazet. Par sa méthode très théâtrale, l’enseignant se prête au jeu de «rôle » pour transmettre les savoirs. Toujours habillé d’une chemise manche longue, cintrée, blanche, une cravate fine rouge ou noire, un pantalon de costume avec ceinture, pouvant passer d’un air très sérieux à un grand sourire très expressif, son enseignement est d’une grande exemplarité. À travers les cours d’anglais, d’histoire de la colonisation et de l’esclavage, il accompagne les élèves vers une sensibilisation, qui portera ses fruits par l’accomplissement d’une pièce de théâtre, en conclusion d’une année enrichissante avant l’entrée au collège. Durant toute année, l’objectif restera le même, ce qui tiendra à jamais les enfants.
Même si parfois, derrière les hauts, il y aura des bas à travers lesquels il faudra passer. On ne peut que s’arrêter sur ces séquences, avec une invitation au travers d’une lettre adressée à Emmanuel Macron. Courrier auquel il répondra personnellement, mais rappellant le temps qui lui manque et son impossibilité à répondre favorablement à la rencontre des enfants. On ne peut que penser à ce sentiment toujours permanent, qui laisse à croire que les territoires et départements d’Outre-Mer ne sont pas des priorités pour les politiciens. Il ne reste qu’à espérer, que ce film parvienne à l’Élysée et pourra faire changer d’avis le président. Provoquant ainsi la possibilité d’une rencontre à Kaweni. Les enfants ont accepté cet échec, par lequel ils sortiront grandis, grâce à l’accomplissement de leur projet culturel.
Le film se construit à partir de cette partie éducative, qui mène les enfants à une réflexion sur le monde. Le leur. Celui qu’ils feront vibrer et dans lequel ils interviendront quand ils seront adultes. Mais par cet axe choisi, intime et sensible, on remarque la quasi autonomie de ces filles et garçons, vivant un quotidien pas toujours évident, mais dans lequel ils trouvent le cap d’un sens à leur existence. Vivre à Mayotte, sur une île, dans l’Histoire Française, mais aussi dans celle du Canal du Mozambique, et dans la projection d’un avenir ailleurs, au delà de l’océan qui les entoure.
Les enfants de Kaweni
« On s’était dit que la meilleure manière de raconter autrement Kaweni, c’était sans doute à hauteur d’enfant. Ce film n’aurait pas été possible, sans la contribution des enfants et la contribution des familles, qui ont accepté de se prêter à ce jeu là. » explique Marie Dubois
En posant leurs caméras dans le plus grand bidonville de France, Marie Dubois et Rémi Mazet ont fait le choix d’une certaine neutralité. Ils ont simplement pris le temps de vivre et filmer le quotidien d’enfances de Kaweni. Aider par quelques locaux, dont Myster Mariox, ils ont pu imprégner une réalité de la vie de cette « jeunesse France », si souvent oubliée.
Ce qui reste de plus percutant, c’est cette vérité qui s’en dégage. Comme des acteurs professionnels, la plupart des participants jouent le jeu d’oublier le tournage, en faisant la plupart du temps une grand abstraction de la caméra, micros-perches et de leurs réalisateurs. Tout cela permettant une grande spontanéité et une aisance dans l’environnement. Les enfants montrent naturellement leurs joies, leurs tristesses et même leurs colères. Ne cachant rien des premiers amours, de leurs rapports familiaux avec leurs frères et sœurs, mais aussi leurs parents qui ne peuvent plus attendre pour survivre au quotidien. La vie dans les bangas reste une contrainte de laquelle les mahorais cherchent à se défaire.
En capturant des instants précis, les cinéastes, nous laissent parfois découvrir ces enfants airer sur les plages ou dans la jungle qui entoure leur quartier ; observant souvent l’horizon, depuis un point culminant. De quoi demain sera fait ? Semble être la question posée face à ces temps de silence ou de murmures.
Mayotte et la France, le berceau multiculturel
Les enfants de Kaweni sont souvent filmés ici comme l’avenir. Ils portent un regard juste sur le monde, la France, la liberté, l’égalité et la fraternité. Démontrant la grand majorité du temps, par leur apprentissage, la place de la laïcité dans notre « grande » patrie multiculturelle. Il est ainsi démontré la l’éternelle richesse d’être bilingue, voir parfois trilingue : l’école française de l’éducation nationale, le quotidien en Shimaoré, l’école coranique en Arabe traditionnel.
Il est même prouvé très sobrement à travers une courte séquence, la grande compatibilité de l’Islam avec la République. Un sujet tristement malmené ces dernières années. Mais Mayotte dans sa grande majorité musulmane, prouve bien que vivre dans le respect des traditions des uns et des autres, est aussi une bien plus grande ouverture sur le monde. Il est intéressant de le redécouvrir à travers le regard d’enfants, faisant de cette culture, un bagage supplémentaire.
Le film poursuit sa route
La vie d’un film est souvent incertaine, mais celle de Wanatsa est prometteuse. Samedi 23 Avril et Lundi 25 Avril 2022, deux projections sont prévues à 10h dans l’amphithéâtre du Lycée des Lumières. Le Pôle Culturel de Chirongui accueillera le film et son équipe le Mercredi 27 Avril à 20h.
Les projections sont gratuites et ouvertes à tous, il suffit simplement de réserver. S’ajoute à cela, la première projection hexagonale dans la salle de l’école de cinéma, la FEMIS à Paris, le 10 Mai 2022. Puis le long métrage prendra le chemin des festivals, avant sa diffusion officielle sur France Télévision à la fin de l’année.
Ce n’est qu’un début, mais on garde espoir que cette folle histoire entre Kaweni et ce film ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Encore une fois, une promesse artistique pour notre île, qui en a tant besoin !
Germain Le Carpentier