Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, avait écrit un opus portant sur « L’outre-mer français, un modèle pour la République ». Il s’était également exprimé sur le statut de Mayotte, « qui n’est juridiquement pas un département ». Cette fois, il nous adresse une tribune sur la volonté annoncée par Marine Le Pen d’utiliser le référendum pour introduire la « préférence nationale » dans la Constitution.
La préférence nationale porte sur l’accès à l’emploi, aux logements et aux aides sociales que le Rassemblement national veut réserver aux personnes ayant la nationalité française. Une disposition qui existe dans certains pays, notamment pour les fonctionnaires à Taïwan.
Reformulée sous le terme de « priorité nationale », l’objectif de la candidate est de l’inscrire dans la Constitution une fois élue. Dont elle utiliserait l’article 11. Celui-ci porte sur les modalités de l’usage du référendum, notamment les domaines touchés, « l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. » Et les conditions de sa présentation au Parlement ou non. Passer par cet article serait violer la Constitution, selon lui et 13 autres signataires de la tribune qui devrait être publiée ce mardi dans plusieurs supports de presse régionale.
Tribune
Etre démocratiquement élu n’autorise pas à méconnaître la Constitution !
Le premier devoir démocratique d’un président élu est de respecter la constitution même et surtout s’il veut la changer. Les constitutionnalistes soussignés sont inquiets d’entendre la candidate arrivée en seconde position le 10 avril 2022 annoncer qu’élue présidente de la République elle ferait réviser la constitution, notamment pour y introduire le principe de la préférence nationale, en utilisant l’article 11 de la constitution. Or, cet article ne l’autorise pas ; il n’est pas prévu pour réviser la constitution. Revient l’exemple du général de Gaulle qui, en 1962, l’a utilisé pour faire modifier par le peuple le mode d’élection du chef de l’Etat. Mais c’est oublier qu’à l’époque la quasi-unanimité des juristes, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel lui ont fait savoir qu’il ne respectait pas la constitution en faisant usage de l’article 11 pour opérer une révision constitutionnelle. Il en serait de même aujourd’hui si un président voulait réutiliser cet article pour réviser la constitution. Avec une différence importante : le Conseil constitutionnel a jugé en 2000 et 2005 que l’article 60 de la constitution, qui lui donne mission « de veiller à la régularité des opérations de référendum », implique qu’il contrôle la constitutionnalité du décret le prévoyant. Et, en l’espèce, reprenant son argumentation de 1962, le Conseil constitutionnel ne pourrait que rendre une décision déclarant contraire à la constitution l’utilisation de l’article 11 pour réviser la constitution. Et, selon l’article 62 de la constitution, une décision du Conseil s’impose « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». On ne peut imaginer qu’un président de la République, garant du respect de la constitution, passe outre une décision du Conseil.
Ce n’est pas dire qu’un président nouvellement élu ne peut pas faire modifier la constitution. Valéry Giscard l’a fait en 1974, Jacques Chirac en 1995, Nicolas Sarkozy en 2008. Mais ils ont tous utilisé le seul article inscrit dans le titre XVI de la constitution et clairement intitulé « De la révision de la constitution », l’article 89. Celui-ci prévoit qu’un projet de révision doit d’abord être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et ensuite être ratifié obligatoirement par référendum si l’initiative de la révision vient du Parlement, par le Congrès ou le référendum si l’initiative vient de l’Exécutif.
Une Constitution n’est pas une loi ordinaire. C’est la loi des lois comme disent les juristes, celle qui pose le mode de fabrication des lois. D’où une procédure de révision différente et plus exigeante que celle qui existe pour les lois ordinaires. Ce ne serait certainement pas un bon signe pour la démocratie que le premier acte d’un président de la République soit de violer la constitution.
Philippe Blachèr, Professeur de droit public à l’Université de Lyon 3
Julien Bonnet, Professeur de droit public à l’Université de Montpellier
Emmanuel Cartier, professeur de droit public à l’Université de Lille
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille
Thierry Di Manno, professeur de droit public à l’Université de Toulon
Pierre-Yves Gahdoun, professeur de droit public à l’Université de Montpellier
Fabrice Hourquebie, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux
Anne Levade, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Pierre de Montalivet, professeur de droit public à l’Université de Paris-Est
Ferdinand, Melin- Soucramanien, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux
Xavier Philippe, professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Catarina Severino, professeur de droit public à l’Université de Toulon
Marthe Stefanini, directrice de recherche au CNRS, Université d’Aix-Marseille