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Préserver les « 1000 premiers jours » de l’enfant, pour éviter l’irrémédiable

C’est une Maison ouverte à tous les jeunes parents qui doit s’installer à Mayotte : elle permettra d’accompagner au mieux la famille jusqu’aux deux ans de l’enfant. Amour, attachement, affection, sont au menu du concept des « 1000 premiers jours ».

On va les appeler Luc et Fatima. Ce couple de cadres trentenaires attend un heureux événement. C’est leur 1er enfant, et le bonheur est à son comble à sa naissance sans histoire. A la maternité d’une petite ville de Bretagne, ils mémorisent la foule de données qui va désormais rythmer un quotidien qu’ils n’imaginaient pas lorsqu’ils sont de retour à la maison. Ils tâtonnent et à chaque épisode de fièvre du nourrisson ou de cris prolongés, rêvent d’un monde où leur voisin serait médecin. Et finissent par acheter « Tout se joue avant 6 ans », du psychologue américain Fitzhugh Dodson, qui leur donne une foule de clés.

Chacun se reconnaîtra, ou pas, dans ce portrait de parents démunis, mais qui ont la chance d’être bien portant et de pouvoir gérer de concert la croissance de leur enfant. Si depuis, un guide avec les éléments de base pour entourer son enfant est distribué dans les maternités, un nouveau bond en avant a été fait avec la prise en compte de ses 1000 premiers jours.

Tout se jouerait non pas avant 6 ans, mais avant les « 1000 premiers jours » donc. C’est en tout cas un concept scientifique qui met en évidence cette période qui court de la grossesse aux deux ans révolus de l’enfant, au cours de laquelle sa santé, son bien-être et celui de ses parents s’avèrent essentiels pour un développement de son cerveau tel qu’il sera plus disposé aux apprentissages. Ce qui était intuitif a été prouvé.
En 2020, le rapport de la commission d’experts présidée par l’écrivain Boris Cyrulnik, réuni à l’initiative du président de la République, permet d’identifier les facteurs favorables au développement de l’enfant et les leviers d’actions possibles afin d’investir davantage l’accompagnement des familles tout au long des 1000 premiers jours.

C’est ce concept que le conseil départemental de Mayotte a voulu mettre en avant en conviant l’association Ensemble pour l’éducation de la petite enfance, qui le présentait à une salle remplie de professionnels de la petite enfance à l’hôtel Sakouli ce jeudi.

Nathalie Casso-Vicarini, présentait aux côtés de Madi Velou, le concept des 1000 premiers jours

« Le stress abime le cerveau et freine l’apprentissage »

Nathalie Casso-Vicarini, Fondatrice et déléguée générale de l’association, retraçait les grandes lignes du rapport, en détaillant, photos et schémas à l’appui, les dommages que peuvent provoquer une absence d’affection pendant cette période des 1000 jours. Le cerveau est en développement jusqu’à 25 ans, « il est en chantier, ce qui explique les tempêtes émotionnelles surtout chez le jeune enfant. Avant 5 ans, l’enfant ne peut pas réguler seul ses émotions. Par exemple, pour aller se coucher quand il est fatigué, ou manger quand il a faim, ce sont ses parents qui doivent l’aider à comprendre et le réconforter. »

Deux photos de cerveau apparaissent sur les écrans, l’un se développe dans un milieu bienveillant, l’autre traduit une carence affective. « Un lien de confiance doit se tisser avec l’enfant. Plus il est serré, plus il peut s’allonger sans crainte, l’enfant va s’éloigner, faire de nouvelles rencontres, il se sent en confiance. Plus il y a de facteurs de risque, plus il faut mettre en place des facteurs de protection ».

En écoutant la conclusion, les professionnels entrevoyaient la difficulté qui les attend lors de la prise en charge des publics en difficulté qui se rendent en PMI : « Quatre conditions sont nécessaires pour un développement harmonieux de l’enfant. La sécurité affective, l’encouragement de l’utilisation des 5 sens qui sont ses voies d’expérimentation, la prévention du stress qui abime le cerveau et freine l’apprentissage et enfin, la prévention des comportements toxiques du quotidien, les écrans d’ordinateur, de télévision, qui doivent répondre à la règle des ‘4 pas’, pas le matin, pas pendant les repas, pas avant de se coucher, pas dans la chambre ».

Pour accompagner les parents, des Maisons des 1000 premiers jours ont été installées en métropole. Elles permettent aux parents de venir avec leurs enfants tous les 15 jours après la sortie de la maternité, et de ne plus être livrés à eux-mêmes, « il s’agit d’accompagner les parents, de prévenir la dépression post-natale, de briser l’isolement parental, et, en cas de difficulté, le facilitateur les orientera vers des professionnels. » Un rôle partiellement dévolu aux PMI, Protection Maternelle Infantile.

Une Maison des 1000 premiers jours à Combani

Beaucoup de questions sur la difficulté à accompagner à travers ce concept, des familles nombreuses et monoparentales à Mayotte

Et il est question d’installer une Maison des 1000 premiers jours à Mayotte, nous informe le docteur Alain Prual, en charge des PMI, « nous étudions ce projet, elle devrait être basée à Combani. » Madi Velou, vice-président chargé de l’action sociale, confirmait qu’une convention était en préparation dans ce sens, « une suite logique de l’inauguration du Lieu d’Accueil Enfant-Parent ce lundi à Bandrélé ».

Un exposé qui ne pouvait que susciter des questions sur la prise en charge des parents, surtout des mamans seules, dans les PMI, parmi le public très majoritairement féminin, composé d’assistantes familiales, d’éducatrices de jeunes enfants en PMI, de représentantes d’associations d’éducation populaire, etc. « Vous évoquez peu la place du père dans votre présentation… », interpellait l’une d’elle. Si la réponse est logique, « c’est qu’on considère qu’il s’agit de la 2ème figure d’attachement après la mère qui accouche », elle laisse sur sa faim quand on sait combien on a du mal à rattacher cette 2ème figure au foyer ensuite à Mayotte. Un sujet qui mériterait un séminaire à lui seul.

Autre interrogation de taille, « Comment faire pour mettre en place ce concept des 1000 premiers jours en PMI quand on a du mal à réguler les naissances et quand nous avons beaucoup de jeunes mères ? ». Nathalie Casso-Vicarini qui a roulé sa bosse en Australie où existait cette action des 1000 premiers jours, explique l’avoir testé dans des quartiers sensibles, où les maris étaient incarcérés et ou, en situation illégale : « Dans des situations de détresse, on a besoin nous-mêmes d’attachement, de sécurité pour accompagner son bébé. A Arras, ancienne zone minière du Nord de la France sinistrée par le chômage où nous avons installé une Maison des 1000 premiers jours, les familles revenaient tous les 15 jours. Le travail porte sur ce qui manque à ces familles pour qu’elles avancent dans la vie. A Mayotte, il y a des facteurs de risque, mais aussi de protection. »

Malgré la situation particulière d’un grand nombre d’enfants, dont certains arrivés en kwassa, avec les facteurs de stress qu’on imagine, handicapant dont leur développement au milieu de familles nombreuses et souvent monoparentales, Mayotte se dote peu à peu des outils nécessaires à la prise en charge de l’ensemble des jeunes enfants, et quelque soit le niveau social de leurs familles. Elles en ont toutes besoin.

Anne Perzo-Lafond

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