C’est la goutte d’eau qui fissure le vase. Vendredi dernier, un greffier du tribunal pour enfants a tenté de mettre fin à ses jours avec un couteau. Un appel à l’aide qui a profondément heurté tous ses collègues, avec qui le jeune homme nourrit, de l’aveu général, une bonne entente.
Suite à ce geste qui, heureusement, n’a pas eu de conséquence tragique, les personnels du tribunal se sont réunis à plusieurs reprises pour discuter des conditions de travail, mais aussi de vie en général. Après avoir rendu visite au jeune greffier au CHM, une source syndicale nous confirme que son geste est lié aux « conditions de travail et de vie à Mayotte ». Elle évoque au sein du tribunal une « souffrance palpable, des conditions de vie dégradées, plus d’une trentaine de personnels du tribunal ont été agressés en moins de 2 ans, dont 2 nouvelles agressions la semaine dernière, c’est fréquent, y compris des locaux ». Chez les greffiers, le syndicat Horizon Justice dénombre « 35% d’absentéisme » pour cause de maladie. Chez les magistrats, deux sont actuellement en arrêt. Pour le syndicat, la plupart de ces arrêts sont motivés par des burn-outs liés à « une hyper vigilance » que vit « toute la population de Mayotte ». « On vit enfermés, on a l’impression de vivre sous contrôle judiciaire avec un bracelet électronique, on restreint nos déplacements » indique cette source syndicale sous couvert d’anonymat, par crainte de représailles de la hiérarchie.
Il y a quelques mois ,deux magistrats avaient demandé une mutation anticipée suite à une agression sur un chemin de randonnée.
A cela s’ajoutent des difficultés structurelles : logement, déplacements etc. « Certains greffiers mettent 2h pour arriver au tribunal, pour éviter les bouchons, il y a une agent qui vit à Bouéni qui part à 4h du matin, elle se lève à 3h30 pour arriver à 5h et dort sur le parking du tribunal. C’est des personnels qui sont épuisés. » C’était aussi le cas du greffier qui s’est blessé à l’arme blanche. « Ce greffier partait de Koungou à 5h du matin, il a rapidement été rattrapé par le rythme de travail et le manque de sommeil, c’est ce qui lui a fait perdre pied ».
« Boycott »
Le mal-être repose donc bien sur une combinaison de facteurs, liés au travail en lui-même, marqué par un sous-effectif chronique, des renvois à répétition, et un manque d’espace pour travailler, et aux conditions de vie.
Dans ce contexte, cinq syndicats, Horizon Justice, le SM, l’USM, FO et la CGT se sont mis d’accord pour boycotter la visite ministérielle.
Pour tenter d’apporter quand même des réponses, une délégation devrait remettre cet après-midi un livret au ministre de la Justice, avec une vingtaine de propositions. Parmi celles-ci, une réduction du temps minimal d’affectation à Mayotte de trois ans à 2 ans, des revalorisations salariales, notamment « une revalorisation de l’avancement pour tout le monde, la revalorisation des indemnités de logement, on a appris ce matin que les locaux ne la perçoivent pas, alors que les métropolitains la touchent, mais avec un montant inférieur à celui de l’administration pénitentiaire ou des policiers. C’est des considérations très matérielles mais c’est grâce à ça qu’on permettra une meilleure attractivité de Mayotte. On demande l’alignement des prestations sociales et familiales sur la métropole, une défiscalisation sans plafonnement, la prise en charge du déménagement indépendamment de l’origine du recrutement, car depuis la métropole certains sont défrayés et d’autres non. On a un vrai problème aussi avec les interprètes, ils ne sont pas payés correctement, il y a plus de 500h supplémentaires qui ne sont pas payés, et ils vivent dans une précarité d’emploi avec des CDD renouvelés chaque année. On demande une meilleure prise en compte de la fonction d’interprète qui sont indispensables au fonctionnement de la juridiction à Mayotte. »
Un meilleur accompagnement des agents aussi.
« On demande une cellule d’accompagnement à l’arrivée et au départ, c’est un énorme stress en arrivant ici d’arriver à se loger. Cette cellule se chargerait de trouver les logements, les places en école et en crèche et les abonnements EDM et SMAE car ça prend du temps et c’est compliqué. Avec une convention avec la SIM on espère une 20aine de logements. «
Eric Dupont-Moretti sera donc attendu sur tous ces sujets dans un contexte tendu, où chaque annonce sera scrutée à la loupe, par les professionnels de la Justice, mais aussi par les élus et habitants qui ont grand besoin d’une justice en bonne santé.
Le greffier qui s’est porté un coup de couteau dans le ventre a souhaité de son côté rendre publique sa lettre, qu’il a sobrement titrée « au revoir » et qui est à lire ci-contre :
Au revoir – lettre d’un greffier ‘dépité’
Y.D.