Il s’agit d’un chantier scientifique monumental pour les territoires ultramarins. Depuis le 16 septembre 2025, un mot d’ordre circule dans les services de Météo-France : précision. L’institution a entrepris de rendre publiques, territoire après territoire, des projections climatiques d’une finesse jusque-là inédite pour les Outre-mer. Antilles, Guyane, Mayotte, La Réunion, Nouvelle-Calédonie, Polynésie… autant de géographies en tension, où les populations vivent déjà les bouleversements climatiques au quotidien.

Météo-France présente ce dispositif comme une opération « de grande envergure », portée par des simulations internationales, mais aussi par des modèles régionaux à très haute résolution, calculés avec ses propres super-calculateurs. L’enjeu scientifique est clair : offrir, pour la première fois, une image détaillée du climat futur.
Un saut technologique décisif pour l’action publique, rappelle Monique Barbut, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité et des Négociations internationales sur le climat et la nature de France. « Les territoires ultramarins sont en première ligne face au changement climatique, et disposer de projections régionales précises est essentiel pour anticiper ses effets et agir de manière pertinente ».
La ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, souligne le besoin de décision informée : « Nos compatriotes ultramarins vivent au quotidien les effets du changement climatique et attendent des réponses concrètes. Les travaux conduits par Météo-France seront précieux pour permettre de bâtir des politiques publiques adaptées et efficaces aux réalités locales de nos outre-mer ».
Ces travaux s’inscrivent dans un mouvement plus vaste. En effet, depuis 2024, une équipe permanente d’experts du climat ultramarin a été créée au sein de Météo-France, signe d’un engagement pérenne en faveur de ces territoires longtemps sous-documentés.
La « TRACC » nouvelle boussole de l’adaptation climatique ultramarine

Au cœur de cette vaste production de données se trouve la TRACC : la Trajectoire de Réchauffement de référence pour l’Adaptation au Changement Climatique. L’outil fixe trois points d’ancrage : +1,5 °C en 2030, +2 °C en 2050, +3 °C en 2100, qui correspondent aux projections du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans un scénario où les politiques actuelles se poursuivent sans renforcement.
Mais la TRACC ultramarine n’est pas une simple copie. Elle est « déclinée » pour chaque territoire : un travail d’orfèvre scientifique où les observations passées, les spécificités locales (humidité, relief, circulation atmosphérique) et les résultats des nouvelles projections sont mis en cohérence pour définir un réchauffement local cohérent avec le réchauffement global.
Météo-France insiste sur le fait que ces niveaux ne doivent pas être comparés entre territoires. Les dynamiques tropicales varient trop, les contraintes hydrométéorologiques aussi. Ainsi, dès à présent, La Réunion, Mayotte, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie disposent de leurs niveaux de réchauffement local pour 2030, 2050 et 2100, et les autres territoires suivront.
Des épisodes de sécheresse « plus sévères » à Mayotte

À Mayotte, les projections mettent en lumière une situation déjà critique. Pour un réchauffement local de +3 °C, l’île pourrait enregistrer environ 205 jours par an au-delà de 32 °C. Dans le passé (1991-2020), ces journées chaudes ne concernaient qu’« une trentaine de jours par an », principalement sur le littoral, mentionne Météo-France.
Aujourd’hui, cette hausse des températures s’étend désormais à l’ensemble du département, affectant directement les populations et « un nombre important d’écosystèmes », animaux comme végétaux. La saison sèche, des mois de mai à octobre, devrait voir ses cumuls de pluie diminuer de l’ordre de -30 %, accentuant un déficit hydrique que Mayotte connaît déjà. Les épisodes de sécheresse pourraient être « plus sévères », avec un impact direct sur la production d’eau potable et l’agriculture.
Des vagues de chaleur « plus intenses » à La Réunion

À La Réunion, la situation se conjugue différemment mais est tout aussi dramatique. Pour un réchauffement local de +2,9 °C, les zones densément peuplées pourraient connaître entre 80 et 100 jours par an dépassant les 31 °C, contre « une dizaine de jours par an environ », dans le passé récent, et limités au littoral. Les hauteurs, jusque-là « refuges thermiques », entreront progressivement dans la zone de forte chaleur.
Concrètement, les vagues de chaleur devraient être « plus nombreuses, plus longues et plus intenses ». Parallèlement, la saison sèche de mai à novembre pourrait connaître une baisse des précipitations d’environ 15 %, avec un assèchement plus marqué sur l’ouest. Selon Météo-France, les saisons sèches deviendront « plus longues » et la saison des pluies débutera « plus tard », bouleversant également la production d’eau potable et agricole.
Un accès élargi aux données pour orienter l’action
Les données déjà publiées ne sont qu’un premier pas. Ce mois de novembre et en décembre 2025, les Antilles, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie verront à leur tour leurs projections, indicateurs et visualisations mises en ligne. Le portail DRIAS permettra de consulter à la fois les données quotidiennes (températures, précipitations) et les indicateurs TRACC, tels qu’un nombre de jours très chauds ou des jours de pluies intenses, grâce à des cartes interactives.
La rubrique Climadiag Commune de Météo-France, gratuite et libre d’accès, sera enrichie avant la fin de l’année 2025 pour Mayotte, La Réunion et la Guyane, et étendue en début 2026 aux autres territoires. L’objectif : offrir un premier diagnostic climatique pour chaque commune, mobilisable par les élus, les services techniques, les associations et les habitants.
Vers un tournant stratégique pour l’adaptation ultramarine
Ces projections constituent un outil stratégique pour les territoires ultramarins, parmi les plus exposés au changement climatique. Elles permettront de repenser l’urbanisme, d’anticiper les besoins en eau potable, d’adapter l’agriculture et les infrastructures, et de renforcer la résilience des écosystèmes.
À travers ces cartes, chiffres et indicateurs, le futur climatique de Mayotte, La Réunion et des autres territoires ultramarins se dévoile pour la première fois avec une précision scientifique, offrant aux décideurs et citoyens un socle solide pour agir et protéger les générations à venir.
Mathilde Hangard


