Vendredi 17 octobre, matinée brûlante sur La Possession à La Réunion. Sous les arbres du poste de ravitaillement, les coureurs arrivent, hagards, brisés, trempés de sueur. À un peu plus de vingt kilomètres de l’arrivée du Grand Raid, on ne parle plus de performance, mais de survie lucide.

Les soignants s’activent, précis, discrets. Médecins, kinés, secouristes, infirmiers. Une mécanique bien huilée dans la chaleur étouffante. « Traumatismes, plaies, hanches, genoux, déshydratation. Parfois, ils arrivent ivres de fatigue et mêmes confus », décrit Olivier, médecin généraliste venu de Châtellerault. Deuxième année de bénévolat. « L’an dernier, une fille a continué de courir avec une fracture de fatigue du péroné », indique-t-il. Ici, la douleur n’étonne plus. Elle s’observe, se soigne, puis repart, souvent sur un strap ou une dose de courage.
Les mains qui recousent le courage

Les premiers de La Mascareignes défilent, plus abîmés que les champions de la Diagonale. Moins préparés, plus vulnérables. « C’est possible un massage ? Je n’arrive plus à marcher… ». Les demandes s’enchaînent.
Souvent, les coureurs arrivent en murmurant presque une supplique : « Un kiné s’il vous plaît… ». Le massage est demandé comme une prière. Quelques pressions sur un mollet, un dos, une cheville, et les visages se détendent un instant. C’est tout ce qu’il faut pour repartir.

Les kinés massent, strapent, encouragent. Les brancards se remplissent à l’ombre. « Certains veulent juste dormir quinze minutes. Ils nous demandent de les réveiller à une heure bien précise », sourit Olivier, entre amusement et respect. À ses côtés, Nicolas, kinésithérapeute d’origine italienne, observe le ballet des corps. « Ici, tout paraît normal. Les gens font des centaines de kilomètres, on trouve ça banal. Mais c’est fou. C’est très difficile pour les corps. Ça demande des efforts extrêmes. C’est pour ça que ça s’appelle la Diagonale des Fous ».
Le Grand Raid mobilise plus de 2.000 bénévoles. À La Possession, une quinzaine de soignants et secouristes, assurent les soins sans interruption. Brancards, bandages, pansements, solutions de réhydratation : la logistique est presque militaire, mais chaque geste reste attentif et humain.
Soigner les sains, panser les héros

Dans ce vacarme de souffles et de cris, les soignants trouvent une forme de sérénité. « Ce que j’aime ici, c’est soigner des gens sains. Pas des malades, des gens fatigués, mais vivants. C’est un autre rapport », confie Olivier.
Pauline, ingénieure et secouriste, première participation comme bénévole, veille à tout. « Mon rôle, c’est surtout d’avoir les bons réflexes, de repérer les signes, de prévenir si un coureur va mal. Et parfois, juste d’écouter ».
Sur un brancard vert, Raphaël attend un strap avant de repartir, vingt-quatre kilomètres encore à avaler. Trois autres arrivent en boitant. Entorses, crampes, chevilles gonflées. « On leur dit qu’ils peuvent arrêter. Mais souvent, on strape, et ils repartent », raconte Pauline. Ici, la frontière entre l’exploit et la folie se soigne au sparadrap et à la bienveillance.
L’humanité sous les tentes

Le soleil grimpe sur les montagnes. Dans la lumière dorée, les bénévoles plient, massent, hydratent, réparent. Les cris des coureurs se mêlent aux applaudissements des proches. L’air sent la sueur, les plats préparés par les bénévoles et le désinfectant des soignants.
Le Grand Raid, ce n’est pas seulement une diagonale à travers l’île, c’est une diagonale de corps, de fatigue et d’attention. Sous les tentes de La Possession, les soignants ne sauvent pas des vies, ils les accompagnent, les soutiennent, les redressent. Et quand les coureurs repartent, recollés de partout, il y a dans leurs yeux ce mélange rare de douleur et de gratitude.
Mathilde Hangard