Soumis à l’étude depuis la fin du mois de mai dernier, dans le cadre du projet de loi global d’orientation et de programmation de la Justice 2023-2027, c’est dans la soirée du mercredi 7 juin 2023 que le Sénat a notamment donné son accord en première lecture de l’article 3* visant à activer à distance un appareil électronique « à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel ». Ce dispositif se voulant au service des enquêteurs afin de pouvoir écouter et collecter au besoin des photographies et images dans le cadre du grand banditisme et du terrorisme.
Vers une Justice 2.0 ?
Dans ces souhaits de donner plus de moyens à la Justice française — tant sur le plan matériel et humain (+26% de budgétisation rien que pour 2023, ce qui portera à près de 11 milliards d’euros d’ici 2027, contre 7,6 milliards d’euros en 2020 et un recrutement de 10 000 emplois supplémentaires à horizon 2027) que de champs d’interventions — que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a entrepris un grand chantier législatif aspirant à « diviser par deux l’ensemble des délais de justice d’ici 2027 ». Des délais jusqu’à lors imputés en grande partie au manque d’ouverture, de modernisation et de responsabilité du corps judiciaire selon les propos du précité.
Adopté par les sénateurs le 7 juin et présenté quelques jours plus tard aux députés, le point litigieux de ce nouveau projet de loi, qui ouvre aux grands débats, se porte donc sur ce fameux article 3 qui autorise l’activation de la géolocalisation, du micro et/ou de la caméra d’un téléphone portable ou bien d’un ordinateur, dès lors que la personne visée entre dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction. Cette approche d’ores et déjà controversée ne ciblerait que des profils bien précis de hauts dignitaires du terrorisme, de la délinquance ou bien de criminalité organisée, ce qui correspond à seulement « une dizaine d’affaires par an » déclare le ministre de la Justice dans son allocation à l’Assemblée. Pour ce faire, toute action de surveillance de ce type se voudra bien entendu précédée d’un accord du juge.
Il est à noter que ce genre de procédures existe déjà sous la forme peut-être plus contraignante de pose de balises de types micro/micro-caméra/puce traceur, mais que leur mise en place technique représente un danger évident pour la sécurité des enquêteurs.
Une mesure trop intrusive qui risque de dévier ?
Cette perquisition d’un nouveau genre, où l’outil privé dématérialisé devient au final un mouchard, se veut donc initialement pour les potentiels délits et/ou crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Et bien que cette extension des techniques spéciales d’enquête se veuille organisée dans un contexte et cadrage législatif précis, nombreux sont les réfractaires qui font entendre leur voix, tant du côté des droits de l’Homme, de l’opposition politique, que du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris qui a déjà fait savoir par communiqué que cette mesure « constitue une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée qui ne saurait être justifiée par la protection de l’ordre public ».
En effet, certains ténors du barreau craignent que cela engendre une source de violation de la vie privée, du secret médical, professionnel et même celui des sources; valeurs fondamentales de la démocratie judiciaire. Des valeurs de respect au regard de la Vie privée en générale que les détracteurs craignent de voir s’amenuiser au profit d’une utilisation plus élargie dans le temps.
Pour une pleine efficience finale de ce type de process, il faudra tout de même que les constructeurs de téléphonie donnent leur collaboratif aval pour équiper leurs appareils d’un tel logiciel, comme il est déjà cas avec les cybercriminels ou bien les logiciels malveillants (malwares). Pas sur que cela se fasse si aisément en un claquement de doigts. Affaire à suivre, tendons l’oreille…
*Texte présenté tel quel : L’article 3 améliore les règles concernant l’enquête, l’instruction, le jugement et l’exécution des peines, afin de prendre en compte certaines préconisations issues des États généraux : modification du régime des perquisitions, réforme du statut du témoin assisté, limitation de la détention provisoire, choix laissé au procureur d’ouvrir ou non une information judiciaire, unification des délais de renvoi en matière de comparution immédiate, placement sous assignation à résidence sous surveillance électronique en cas de détention provisoire irrégulière, extension du recours aux technologies de communication audiovisuelle pour l’exercice du droit à un examen médical et à un interprète, extension des techniques spéciales d’enquête pour permettre l’activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisation et de captations de sons et d’images.