Crise de l’eau à Mayotte : entre gouvernance défaillante et manque de compétences, l’impasse persiste

Le rapport de la Cour des Comptes dénonce la mauvaise gestion de l’eau à Mayotte, pointant une gouvernance défaillante, un manque de compétences locales et des financements mal orientés malgré des milliards investis.

À Mayotte, l’eau ne coule pas de source, mais les promesses s’évaporent. Sur l’archipel du 101ème département français, l’eau est une ressource rare, mais les erreurs de gestion semblent se multiplier. Le dernier rapport de la Cour des Comptes lève le voile sur les failles structurelles d’un plan de gestion de l’eau qui, malgré des financements colossaux, reste un mirage pour les habitants.

Les failles du système

Dans son rapport du 12 mars 2025, la Cour des Comptes dresse un constat accablant de la gestion de l’eau à Mayotte. Le département, confronté à une croissance démographique galopante et à un réchauffement climatique intense, ne parvient toujours pas à répondre aux besoins vitaux de ses habitants en matière d’approvisionnement en eau potable. Une situation critique, amplifiée par des mesures temporaires et une gouvernance défaillante, que le rapport met en lumière.

Un manque d’expertise locale 

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Montants des subventions
et prêts du Pedom de 2016 à 2023 (source : Cour des comptes d’après coordinateur Pedom)

Malgré des milliards d’euros investis, notamment via le Plan d’action pour les services d’eau potable et d’assainissement en Outre-mer (Pedom), la Cour des Comptes pointe une gestion chaotique, marquée par une absence de coordination et un manque d’expertise locale. Après 2012, l’État a progressivement supprimé l’ingénierie publique, laissant le territoire dans une situation de gestion de plus en plus difficile, accentuée par un manque flagrant de personnels qualifiés pour suivre les projets.

De plus, le rapport de la Cour des Comptes révèle que le modèle de gestion décentralisée ne fonctionne pas à Mayotte, où les collectivités locales manquent de ressources et de compétences pour gérer efficacement les services d’eau. L’État, bien qu’il ait mis en place des mesures de soutien, est contraint d’intervenir ponctuellement pour combler les lacunes, mais cette approche reste insuffisante à long terme. Dans ce contexte, la Cour des Comptes s’interroge sur la légitimité de cette gestion déléguée et suggère que l’État pourrait devoir reprendre plus directement en main la gestion de l’eau pour éviter une crise encore plus profonde.

Des difficultés financières spécifiques à Mayotte 

Guyane, safe water cube, accès à l'eau,
En Guyane, l’ARS teste l’installation de fontaines appelées « safe water cube », permettant de traiter l’eau de surface du fleuve et des rivières à proximité, pour alimenter en eau des villages et familles, non raccordées au réseau de distribution public d’eau potable.

Le rapport insiste également sur les difficultés financières spécifiques au territoire mahorais : les coûts d’adduction d’eau y sont bien plus élevés que dans l’Hexagone, du fait de contraintes géographiques (réseaux longs, techniques complexes) et de l’insuffisance des infrastructures. Les tarifs de l’eau, qui représentent jusqu’à 17 % du budget des ménages, rendent l’accès à l’eau particulièrement difficile pour les familles les plus modestes. « La part moyenne d’une facture d’eau pour un ménage précaire, qui est de 1,4 % de son revenu en France hexagonale, s’échelonne de 3 % à La Réunion à 6,2 % en Guyane et jusqu’à 25 % à Mayotte. Ceci peut expliquer en partie des taux de recouvrement très faibles. Un cercle vicieux peut s’enclencher où le défaut de paiement des factures engendre le défaut de service, qui accentue la défiance et le refus de paiement », soutient la Cour. Elle souligne également que les aides publiques ne suffisent pas à alléger cette charge et à garantir un accès équitable à cette ressource vitale.

Un plan en eaux troubles 

Le Plan Pedom, lancé en 2016, devait à l’origine être la réponse à cette crise. Cependant, la Cour des Comptes le juge partiellement inefficace. Bien qu’il ait permis d’allouer des financements conséquents, notamment pour renforcer les capacités techniques locales et soutenir les projets d’assainissement, les résultats à Mayotte restent mitigés. Presque 10 ans après son lancement, la population vit toujours au rythme de coupures d’eau, particulièrement longues, qui pourraient être encore renforcées avec l’arrivée d’une saison particulièrement sèche.

Chambre régionale des comptes, Les eaux de Mayotte, LEMA, Mayotte
Créé en 1992, « Les Eaux de Mayotte » (LEMA) gère l’eau et l’assainissement de l’île. Malgré un contrat de progrès signé en 2018, une évaluation de 2022 parle de « fiasco évident » et d »aucune amélioration »

Globalement, en dépit de l’énorme investissement de l’État (2,3 milliards d’euros pour l’ensemble des territoires d’Outre-mer), Mayotte n’a pas vu de changements significatifs sur la gestion de l’eau et de l’assainissement. « C’est pire qu’avant. Il y a quelques années, on avait une coupure une fois ou deux fois par semaine de quelques heures maximum. Maintenant on a de l’eau deux jours pleins par semaine, voire moins, c’est pas possible », dénonce un habitant de Combani. Le manque de formation, la faible expertise locale et la mauvaise coordination entre les acteurs publics et privés continuent de freiner toute avancée.

Sur le banc des dysfonctionnements, la Cour énonce de nombreuses difficultés, telles qu’une mauvaise gestion des dispositifs d’assistance technique, souvent mal coordonnés et mal intégrés aux structures locales, mais aussi l’absence de filières locales spécialisées dans l’ingénierie de l’eau et l’assainissement. Par ailleurs, les efforts de formation lancés par le Pedom, bien qu’importants, ne comblent pas le vide en matière de compétences techniques locales, indispensables pour une gestion autonome de l’eau à Mayotte sur le long terme.

Un avenir incertain mais nécessairement adapté

Face à ce constat alarmant, la Cour des Comptes recommande une révision en profondeur des stratégies de gestion de l’eau sur le 101ème département français. Parmi les propositions phares, elle énonce la nécessité de simplifier les procédures administratives pour faciliter l’intégration des experts et améliorer la coordination entre les différents acteurs. Mais aussi, de renforcer la formation locale, en créant des partenariats avec des écoles d’ingénieurs et des universités, pour développer des compétences sur le terrain et garantir des solutions pérennes et adaptées aux spécificités du territoire. Sans une révision radicale du modèle de gestion et des stratégies de financement, la crise de l’eau à Mayotte risque de perdurer, voire de s’aggraver, jusqu’à un point de non-retour.

Mathilde Hangard

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