À Kawéni, un professeur embarque ses élèves de terminale dans un projet qui dépasse l’école : créer un site, rencontrer des acteurs locaux, et réapprendre Mayotte à hauteur de jeunesse. Une initiative qui pourrait bien bousculer les récits dominants de l’île.
Un regard neuf qui rebat les cartes

Fraîchement arrivé à Mayotte, Enrico Gob, un enseignant d’économie-gestion, originaire de la Guadeloupe, a très vite senti qu’il pouvait faire bouger quelque chose. Au lycée des Lumières, à Kawéni, il observe une évidence : ses élèves sont curieux mais connaissent mal l’île où ils vivent. Alors il tente un geste simple, presque expérimental : créer un site internet, qu’il nomme LagonEwa, et confier aux terminales la tâche de le faire vivre.
« Je voulais qu’ils sortent des sentiers battus, qu’ils fassent autre chose qu’un projet scolaire classique », raconte-t-il. Alimenter le site, décrocher des partenariats, contacter des administrations, la presse ou des artisans : la mission est large, et surtout réelle. Mais derrière l’outil numérique, c’est une ambition plus vaste qui affleure : « Valoriser Mayotte, montrer un autre regard, surtout sur le volet touristique et culturel ».
Ancien guide touristique, le professeur compare sans détour l’île aux Caraïbes : un territoire splendide, encore sous-valorisé, mal compris, mal regardé. Un collègue s’est déjà proposé pour enrichir les contenus historiques et géographiques. L’idée ne cesse alors de s’étendre.
LagonEwa : quand les élèves écrivent leur propre île

En ligne depuis deux mois, LagonEwa trace un sillon inattendu. Entre randonnées nature, ateliers artisanaux, excursions dans le lagon et collaborations avec des acteurs locaux, le site devient une porte d’entrée vers un tourisme et un repère culturel plus humble, plus humain, plus ancré.
Aux commandes, un trio déterminé : Sandra Allaououi, Samia Masounzu et Riziki Rosemine Mohamadi Riziki. Deux animent les réseaux sociaux, une sillonne l’île, appareil photo en bandoulière, à la rencontre d’artisans et de guides.
« Je veux leur confier de vraies missions », insiste l’enseignant. Contacter, négocier, publier, structurer : le travail déborde largement du cadre scolaire. Et c’est voulu. « Plus les élèves connaissent leur île, plus ils acquièrent des savoirs, des compétences, et deviennent capables d’avoir un regard critique pour améliorer les choses ».
Le projet devient tremplin : informatique, communication, tourisme… il pourrait susciter des vocations. À la question de savoir si un jour un élève pourrait reprendre LagonEwa de manière professionnelle, il répond sans détour : « J’ai lancé l’idée. Les élèves ont compris. Iront-elles au bout ? Je ne sais pas. Ce serait formidable ».
Faire île avec les médias et les habitants

Le professeur le martèle : LagonEwa ne vivra pas seul. Il faudra des partenaires, des acteurs locaux, et même des journalistes. « Je veux que les élèves prennent contact avec vous », glisse-t-il à notre rédaction. Pour eux, l’enjeu est autant d’apprendre un métier que d’apprendre à entrer en relation avec le territoire.
Et le site assume un ton clair : « Découvrez Mayotte au plus près de sa nature, de sa culture et de ses habitants ». Les randonnées, la broderie mahoraise, le snorkeling, l’observation des tortues ou des dauphins : chaque activité devient une manière de faire récit. De coudre un imaginaire positif là où dominent souvent les images anxiogènes.
Mais surtout, c’est une façon de briser un cycle : « Je ne veux pas qu’ils répètent ce que leurs parents leur disent sur Mayotte. Je veux qu’ils se l’approprient. Qu’ils deviennent acteurs de leur propre île ». Alors LagonEwa s’avance doucement, avec l’humilité d’un projet scolaire mais la force d’un début de contre-récit. Celui d’une jeunesse qui, en racontant Mayotte, pourrait bien se raconter elle-même.
Mathilde Hangard


