Santé mentale : réparer le lien social, une étape clé pour se reconstruire

À l’occasion des Semaines d’information sur la santé mentale, les groupements d’entraide mutuels de Mayotte ont organisé, ce mardi 14 octobre, une conférence-débat au lycée des Lumières à Kawéni. L’événement a rappelé le rôle essentiel des liens sociaux dans la prévention des troubles psychiques, la nécessité de lever les tabous entourant la santé mentale et d'accompagner les personnes vulnérables, notamment en situation irrégulière.

« Les troubles de la santé mentale sont comme un grain de sable qu’on balaie sous le tapis pour que le sol paraisse bien lisse », image avec justesse Sonia Madi, animatrice chez Nimbe Animation, incarnant une patiente lors d’une pièce de théâtre introductive à la conférence-débat organisée au lycée des Lumières par les groupements d’entraide mutuels de Mayotte, à l’occasion des Semaines d’information sur la santé mentale, ce mardi 14 octobre. Une métaphore qui illustre la tendance, encore très présente, à dissimuler la souffrance psychique plutôt qu’à la reconnaître et à la prendre en charge.

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Une pièce de théâtre introductive a permis de poser le débat et les enjeux autour de la santé mentale, un sujet trop souvent tabou.

À travers cette mise en scène, les animateurs ont voulu montrer le poids des tabous qui entourent la santé mentale à Mayotte : peur du regard des autres, jugement familial, honte d’être perçu comme « faible » ou « fou ». Dans un contexte où les repères communautaires restent forts, le silence devient souvent une manière de se protéger du stigmate, mais enferme la personne dans l’isolement. Une situation qui peut aggraver les troubles et conduire à des ruptures : perte d’emploi, rejet familial, errance, voire hospitalisation.

Evoquer ses problèmes pour recréer du lien social et se soigner

Et s’il est primordial de briser ces tabous, le cercle familial ne permet pas toujours d’entamer ces discussions de manière apaisée. Dans ce cas, le chemin vers le mieux-être passe par des aides extérieures. Professionnels de santé, associations ou structures d’entraide, jouent un rôle essentiel pour accompagner les personnes en difficulté, mais, comme le souligne « M. Marc », psychologue interprété par Fardy Madi dans le spectacle, « le premier remède, c’est d’en parler ».

Un premier pas souvent difficile, mais libérateur. Il permet de reconnaître la souffrance, de comprendre sa maladie et d’envisager un accompagnement adapté. Plus encore, il rétablit le lien social, ce fil invisible mais vital qui relie l’individu à sa communauté.

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Le Centre médico-psychologique Enfants-Adolescents de M’tsapéré fait partie des structures qui mettent en place des ateliers pour redonner du lien social aux jeunes.

Un lien social qu’il est essentiel de préserver ou de recréer pour les personnes touchées par des troubles psychiques. Pour cette 4ᵉ édition des SISM à Mayotte, le thème de la conférence portait justement sur cette idée : « Réparons le lien social ».

« Tout commence dès le plus jeune âge, et plus encore à l’adolescence, période charnière où l’enfant multiplie les interactions et oscille entre volonté d’émancipation et besoin de repères familiaux », a souligné Sandra Fougeras, psychologue au Centre Médico-Psychologique Enfants Adolescents (CMPEA) de M’tsapéré, insistant sur le rôle clé des familles, premier cercle de relations. Ces interactions forgent la personnalité, structurent la pensée et participent à l’équilibre émotionnel tout le long de la vie. Lorsque le lien social se brise, ou qu’il ne peut se mettre en place, la santé mentale se fragilise, entraînant des répercussions négatives et un cercle vicieux.

Les personnes vulnérables sont les plus exposées

A Mayotte, retrouver ces liens sociaux et prendre soin de sa santé mental est un défi énorme pour les personnes en situation de vulnérabilité, comme les demandeurs d’asile ou les jeunes adultes sans formations faute de papiers ou de logement. Loin de leurs proches, confrontées à la précarité, ces personnes sont davantage exposées aux troubles psychiques, ont expliqué Dahalani Saïd, assistante sociale à la Maison des Adolescents, et Nadine Djionkou, du pôle santé de Solidarité Mayotte.

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Les personnes vulnérables, comme les demandeurs d’asile, sont plus facilement isolées ce qui peut entraîner des troubles psychiques difficiles à détecter et à soigner sur le territoire.

Pour tenter d’y remédier, ces structures mettent en place des ateliers collectifs et des suivis personnalisés pour recréer du lien social, restaurer la confiance et freiner la progression des troubles. Des actions qui ne résolvent pas les difficultés administratives, mais qui renforcent la santé mentale et, par extension, la santé physique des personnes accompagnées.

C’est le cas de Sifa, originaire de la République Démocratique du Congo, venue témoigner dans l’amphithéâtre, « quand je suis arrivée à Mayotte, je me sentais perdue. Sans mes proches, c’est comme si une partie de moi avait été arrachée. Tout était difficile : m’intégrer, reprendre confiance en moi. En parlant avec les membres de Solidarité Mayotte, j’ai retrouvé du courage. Aujourd’hui, je vais mieux et j’ai un travail ».

Malgré l’engagement des associations, les intervenants ont souligné le manque de solutions apportées par l’Etat à long terme pour garantir l’accès aux soins des personnes vulnérables, ainsi qu’un déficit de professionnels spécialisés sur le territoire. Ils pointent aussi la lenteur administrative de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), responsable de la reconnaissance du handicap psychique, qui empêche de fournir rapidement des moyens adaptés.

« Les choses vont dans le bon sens »

Raja Aboubacar, fondatrice du groupement d’entraide mutuel « Vivre Ensemble ».

Pour autant, la mobilisation s’amplifie à Mayotte. Raja Aboubacar, fondatrice du groupement d’entraide mutuel Vivre Ensemble à Cavani, salue cet élan, « si ces débats ont lieu aujourd’hui à Mayotte, c’est que les choses vont dans le bon sens. Depuis le cyclone Chido, plusieurs conférences et actions de sensibilisation ont vu le jour ».

Récemment, une marche dédiée à la santé mentale a rassemblé plus de 600 participants, signe d’un intérêt croissant. « De plus en plus de personnes osent parler », poursuit-elle. « Nous avons même dû ouvrir une deuxième antenne à Passamaïnty pour accueillir plus de monde. Aujourd’hui, nous accompagnons 235 personnes chaque jour ».

« Il ne faut pas se cacher, ni craindre le regard des autres. Parler, c’est déjà se soigner », ajoute Raja Aboubacar.

Des mots qui résonnent d’autant plus fort qu’elle parle en connaissance de cause. Ancienne patiente du Centre médico-psychologique du CHM, où elle a été suivie pour une anorexie mentale, Raja a retrouvé son équilibre grâce à un accompagnement médical et à des ateliers favorisant le lien social. Ce soutien lui a permis de mieux comprendre sa maladie et d’apprendre à la surmonter.

Forte de cette expérience, elle a fondé le GEM Vivre Ensemble pour venir en aide à ceux qui, comme elle, traversent des difficultés psychiques. Son objectif : les aider à devenir plus autonomes, à mieux connaître leur pathologie et à oser en parler. « Malgré la souffrance, on peut apprendre à vivre avec sa maladie, à la maîtriser et à reprendre confiance en soi », confie-t-elle.

Victor Diwisch

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