Le Conseil départemental de Mayotte s’est réuni, ce mercredi 10 septembre, en assemblée plénière pour débattre de plusieurs dossiers cruciaux : le prolongation du contrat d’engagement de l’État pour soutenir le budget du Département, la présentation et la mise en œuvre de la stratégie quinquennale prévue entre 2026 et 2031, ainsi qu’une motion de l’opposition relative au différend historique entre Mayotte et les Comores.
Le soutien de l’Etat au Département prolongé

Dans l’hémicycle Younoussa Bamana, la grande majorité des conseillers départementaux étaient présents, signe de l’importance des dossiers à l’ordre du jour.
Les conseillers ont d’abord examiné le contrat d’engagement de l’État, signé en 2023, et ont voté sa reconduction, confirmant une enveloppe exceptionnelle de 100 millions d’euros pour le budget 2025, qui sera maintenue jusqu’en 2027 dans le cadre d’un nouveau contrat pluriannuel.
L’accord, validé par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, vise notamment à compenser la faiblesse des dotations dans des secteurs clés comme la petite enfance, l’ASE et la PMI, tout en permettant au Département de dégager un peu d’autofinancement pour ses investissements. Cette aide arrive alors que les recettes fiscales sont en baisse, notamment l’octroi de mer et les taxes à la consommation, et après que la reconstruction post-cyclone Chido a absorbé les 100 millions d’investissements de 2024.
« Avec cette convention pluriannuelle nous dotons le Département d’un budget équilibré et elle nous permet de dégager un peu d’autofinancement pour financer nos projets d’investissements », s’est réjouit le président du Conseil départemental, Ben Issa Ousseni.
La stratégie quinquennale adoptée malgré des zones d’ombre

Autre point à l’ordre du jour de l’Assemblée plénière : la gestion des 4 milliards d’euros inscrits dans la loi de programmation pour la refondation de Mayotte, adoptée le 11 août dernier. Cette enveloppe doit être déclinée à travers une stratégie quinquennale couvrant la période 2026-2031. Si les élus ont approuvé le plan, plusieurs zones d’ombre demeurent.
« Le Gouvernement nous annonce 4 milliards, mais la vraie question est de savoir comment ces crédits seront répartis concrètement, année après année, projet par projet, et selon quel calendrier. Nous avons besoin de plus de visibilité », souligne Ben Issa Ousseni.

« Ce plan est insuffisant, il ne répond pas pleinement aux attentes des Mahorais qui ont perdu leurs toits, et aucune disposition n’est prévue pour venir en aide aux gens qui n’ont plus rien », déplore de son côté Soula Saïd-Souffou, conseiller départemental de Sada-Chirongui, membre de l’opposition, qui s’est abstenu sur le vote de ce texte. « La seule solution qu’on laisse à ces personnes c’est de faire un prêt, mais 84% des Mahorais sont sous le seuil de pauvreté et n’ont pas de travail, l’immense majorité des Mahorais n’obtiendront aucune aide de ce plan ».
Le conseiller départemental, président du Mouvement pour le Développement de Mayotte (MDM) a aussi regretté la mise en place d’un établissement public de reconstruction, le définissant comme « une fin de non-recevoir ». « A quand le transfert des compétences régionales au Département, qui est devenu Département-Région ? Il faut poser sur la table la question de ces transferts. On ne peut pas dire aux Mahorais que nous sommes un Département-Région sans obtenir un euro de plus sur le volet régional, ni une compétence supplémentaire ».
La motion du MDM sur le différend entre les Comores et Mayotte, non votée

La séance s’est conclue sur des échanges parfois vifs autour d’une motion déposée par le MDM. Celle-ci invitait le Conseil départemental à demander au Gouvernement de saisir l’Assemblée générale des Nations Unies afin d’obtenir un avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ). L’objectif : recevoir des juges internationaux pour une clarification sur la valeur juridique du traité de 1841, qui a établi le rattachement de Mayotte à la France, face aux résolutions de l’ONU qui, invoquant le droit à l’autodétermination des peuples, affirment la souveraineté des Comores sur l’île. La motion visait ainsi à mettre un terme aux contestations récurrentes des Comores, qui fragilisent Mayotte depuis des décennies. Elle n’a toutefois pas été soumise au vote de l’Assemblée plénière, les « garanties » nécessaires n’étant pas réunies, selon Ben Issa Ousseni.

« Ce que j’ai envie de dire aux Mahorais ce que saisir une cour internationale cela veut dire que des magistrats vont se prononcer sur un sujet qu’on leur a donné, et personne ne peut prédire la réponse exacte de ces derniers. Et si la réponse n’est pas celle attendue, qu’est-ce que nous allons faire ? », questionne le président. « Je ne peux pas hypothéquer l’avenir de mes enfants. Le risque est d’ouvrir des brèches aux ennemis de Mayotte, de leur donner des outils pour qu’ils nous attaquent sur le plan juridique et réglementaire. Je demande donc aux élus qu’ils apportent des garanties juridiques nécessaires qui montrent que la réponse donnée sera celle attendue par les Mahorais », défend Ben Issa Ousseni.
« Le seul but de cette motion est que la Cour internationale de Justice dise le droit. C’est le seul travail que les magistrats ont à faire, ils ne font pas de la politique », insiste Soula Saïd-Souffou. « Nous savons déjà que les résolutions onusiennes n’ont pas eu comme effet d’annuler le traité de 1841 ralliant Mayotte à la France. Je pense que ce dernier est toujours valide, car ni la France, ni les Mahorais l’ont dénoncé, mais tant qu’on n’aura pas fait en sorte que la Cour dise le droit, les Comoriens vont continuer à humilier les Mahorais. L’objectif est de faire tomber le fondement de la revendication comorienne. La majorité a raté l’occasion d’être digne ».
Face à deux scénarios possibles, où placer le risque ?

Si la Cour internationale de Justice venait à soutenir les décisions de l’ONU affirmant que Mayotte fait partie des Comores, l’impact serait majeur sur le plan diplomatique et politique. Même si un avis consultatif n’a pas de force contraignante, il aurait une valeur symbolique et morale importante, renforçant la position des Comores sur la scène internationale. La France se retrouverait confrontée à une pression diplomatique accrue, et le différend pourrait être relancé au sein de l’ONU. Sur le plan local, cette décision créerait une incertitude pour l’administration française et les institutions mahoraises, et pourrait générer des tensions sociales.
À l’inverse, si la CIJ confirmait que le traité de 1841 reste en vigueur, cela consoliderait la souveraineté française sur Mayotte et apporterait une sécurité juridique et politique à l’île. Les résolutions de l’ONU ne seraient pas annulées, mais leur portée serait fortement affaiblie par cet avis consultatif. La France pourrait s’appuyer sur cette décision pour défendre sa position à l’international et renforcer la stabilité locale, facilitant la planification des investissements et le fonctionnement des collectivités. Un tel avis serait également un signal fort pour les habitants de Mayotte, confirmant leur choix de rester sous souveraineté française et réduisant les contestations politiques internes.
Pour rappel un avis consultatif éclaire le droit international et influence les décisions politiques, mais il ne contraint pas les États car le droit international repose sur le consentement et la souveraineté des États. Un avis de la CIJ apporterait tout de même une clarification juridique internationale qui pourrait renforcer ou, au contraire, fragiliser la position française, influençant la diplomatie et la politique sur le territoire.
Reste à savoir si Mayotte est prête à prendre le risque de relancer le débat, et qui plus est dans ce contexte de reconstruction post-Chido et d’instabilité politique française.
Victor Diwisch