Les nombreuses langues et dialectes parlés dans l’île font de Mayotte un carrefour linguistique unique, offrant une richesse précieuse pour son développement et son intégration dans le bassin de l’océan Indien. Pourtant, malgré ce potentiel, le kibosy reste aujourd’hui marginalisé, et sa transmission décline. En 1870, plus de 60 % de la population mahoraise s’exprimait en kibosy. En 2025, ce chiffre est tombé à 20 %. Selon l’association Marovoanio, « cette érosion s’explique en partie par la perception du kibosy par une frange importante de la population comme une langue étrangère à Mayotte. Sa territorialisation et sa proximité avec le malgache ont néanmoins permis de la conserver dans la sphère privée informelle ». Aussi face à cette situation, l’association Marovoanio a décidé de lancer un programme ambitieux de promotion et de production autour du kibosy.
Le kibosy essentiellement parlé sur la côte Ouest de l’île

« Pour nous il était important et symbolique de faire cette première édition dans le sud de l’île », nous raconte Boinali Toibib Toumbou, président de l’association Marovoani. Car en effet, le choix de ce nom pour l’association n’est pas le fruit du hasard… « ‘Mar’ signifie beaucoup et ‘ovoanio’ veut dire cocotiers. C’est comme cela que les gens du sud prénommaient ce territoire, sous entendant ainsi que c’était l’île de Mayotte dans son ensemble », ajoute le président de Marovoani.
Aussi concernant la zone géographique de Mayotte où l’on parle le kibosy, elle se situe principalement sur la côte ouest de l’île. « Cela est principalement dû au fait que quand des hommes sont venus s’installer à Mayotte, ils ont choisi la zone ouest…les villages kibosyphones forment ainsi un arc de cercle partant du nord de l’ile jusqu’au Sud (Hamjago, Mtsamgamouji, Chiconi, Poroani, Chirongui, etc.) ». Même si Boinali Toibib Toumbou reconnait que dans certains villages du centre on parle aussi le kibosy, à l’image de Tsararano.
Le 7 juillet une date dorénavant symbolique
Le président de Marovoani nous a expliqué le choix de la date du 7 juillet. « Le 16 novembre 2024, nous avons instauré le 7 juillet comme Journée de l’Expression en kibosy. Le chiffre 7 a un sens sacré, symbolique, on le retrouve dans des religions comme le Christianisme ou l’Islam. Il est dans la tradition humaine… ». Le mois de juillet, quant à lui, fait référence à la fatiha. « C’est le contrat passé entre le sultan de Mayotte et le roi des Sakalava. A travers notre association nous comptons mener des recherches à ce sujet pour être plus précis car cela manque de stabilisation. Pour nous c’est une démarche importante de valorisation du kibosy », insiste-t-il.
Quelles différences entre le kibosy et le shimaoré ?

A cette question de novice que nous avons posée au président de Marovoani, ce dernier nous a indiqué que « le shimaoré est une langue bantoue (ndlr, d’origine africaine), alors que le kibosy est une langue austronésienne. C’est-à-dire qu’elle puise ses origines à Taiwan, en Malaisie, en Polynésie, et bien-sûr du Malgache ».
De plus concernant la structure des phrases celle-ci aussi diffère, selon Boinali Toibib Toumbou. « Le kibosy est une langue syllabique et sonore. C’est clair et net. La langue shimaoré est quant à elle plus tonale… un mot peut avoir beaucoup de sens en fonction de la prononciation, alors qu’avec le kibosy le lexique se fait selon la situation et peut avoir ainsi des sens différents en fonction du contexte. A titre d’exemple, si on vous relate un événement et que vous n’y étiez pas, vous n’allez pas forcément comprendre. On peut ainsi cacher beaucoup de choses avec le kibosy… », sourit-il.
Enfin, toujours selon le président de l’association Marovoani, il est possible pour quelqu’un parlant le shimaoré de comprendre le kibosy, ou tout du moins le sens des phrases « pour peu qu’il ait déjà entendu des mots et des phrases à de multiples reprises ».
Un programme de validation alphabétique participative
A travers cette première édition de la Journée de l’Expression en kibosy, l’association en a profité pour mettre en place un programme de validation alphabétique participative, au travers d’ateliers sur le terrain. « Ces ateliers en perspective visent à compléter la délibération du Département de 2021 en adaptant l’alphabet du kibosy à sa réalité linguistique et austronésienne ».

La première phase de ce programme de validation alphabétique s’est traduite tout d’abord par des travaux menés depuis janvier dernier et jusqu’au mois de juin avec un recensement et une analyse (Gueunier, Alphabet malgache, Ecriture Sakalava) ; la mise en place d’un Comité d’écriture élargi : membres de l’association Marovoanio, locuteurs natifs, enseignants, linguistes, qui ont émis des observations et des recommandations pour enfin proposer une liste d’alphabets.
La deuxième phase de ce programme commence maintenant et devrait durer environ un an avec des ateliers de terrain et un comité d’écriture élargi avant la phase 3 qui validera l’alphabet en Assemblée générale.
B.J.