Face au manque de visibilité et de données précises sur la situation du handicap dans les territoires ultramarins, la délégation aux Outre-mer du Sénat a souhaité combler ce vide en effectuant un rapport, présenté à la presse ce jeudi, mené par trois sénateurs : Audrey Bélim (Socialiste, Écologiste et Républicain – La Réunion) ; Akli Mellouli (Groupe Écologiste–Solidarité et Territoires – Val-de-Marne) ; et Annick Petrus (Les Républicains – Saint-Martin).

Pour Micheline Jacques présidente de la délégation, il était nécessaire de compléter les travaux de par la rareté des études menées dans les Outre-mer depuis 20 ans. « Il y a eu une prise de conscience tardive et de mise en œuvre concernant le handicap… Aussi, en novembre dernier, la délégation a décidé de lancer un rapport sur ce sujet afin de voir quel est le regard porté sur le handicap dans les Outre-mer, mais aussi les modalités de prise en charge, l’offre de soins médicaux, ou encore le sport et l’éducation ».
La délégation s’est rendue dans différents territoires (Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy) et a procédé à des visioconférences avec de nombreux interlocuteurs. Ce sont ainsi 150 personnes qui ont été auditionnées sur l’ensemble des territoires ultramarins.
A Mayotte près de 18% des jeunes enfants ont « des limitations cognitives sévères »
Au-delà du manque de données fiables rendant difficile un état de lieux précis et complet de la situation dans les Outre-mer, les sénateurs de la délégation ont fait un constat inquiétant : la proportion de personnes en situation de handicap dans les DROM est supérieure à celle de l’Hexagone. Ainsi 8% des 15-24 ans sont en situation de handicap dans les DROM contre 5% en métropole. Ils sont 12% pour les 25-64 ans, toujours dans les DROM, contre 10% dans l’Hexagone. Pire, les jeunes enfants avec « des limitations cognitives sévères » sont de l’ordre de 18% à Mayotte, contre 3% dans l’Hexagone. « C’est un chiffre effrayant ! S’est alarmée Christine Jacques. Il va falloir que l’on fasse un travail de vérification… ».
Quels sont les causes accentuant les situations de handicap dans les Outre-mer ?
Selon le rapport de la délégation, différents facteurs accentueraient les situations de handicap. Ainsi, le syndrome d’alcool fœtal serait 5 fois supérieur à La Réunion que par rapport à la moyenne nationale. L’exposition aux polluants, notamment le mercure en Guyane, serait aussi un facteur aggravant. Et la liste ne s’arrête pas là malheureusement : la pauvreté, le mal logement, les familles monoparentales avec de nombreux enfants, ou encore la faiblesse des détections précoces seraient autant de facteurs engendrant des situations de handicap.

De plus comme l’a rappelé le sénateur Akli Mellouli, la situation à l’heure actuelle est loin des objectifs de la loi de 2005. « C’est un échec concernant l’accessibilité et le transport pour les personnes en situation de handicap, mais aussi en matière de logement ; d’offre médico-sociale à la fois insuffisante et en retard ; d’écoles ; d’aides et d’accompagnement pour les étudiants en situation de handicap qui rencontrent des obstacles et qui renoncent à poursuivre leurs études ; l’insertion professionnelle est aussi nettement insuffisante comparée à l’Hexagone… ». Concernant le handisport et le sport adapté, là aussi la situation n’est guère mieux avec des difficultés d’accès aux installations sportives, ou encore le manque d’éducateurs spécialisés et formés. « Il faut de l’unité et sortir de l’uniformité », plaide le sénateur Akli Mellouli.
Les rapporteurs préconisent 16 recommandations
Parmi les recommandations figure notamment le fait d’assurer une représentation des Outre-mer au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Pour les populations allophones, il convient aussi de penser la politique du handicap au regard de cette réalité, en particulier dans les phases de détection et d’évaluation. Le rapport recommande également de prioriser les Outre-mer dans la mise en œuvre du nouveau service de repérage, de diagnostic et d’intervention précoce. « Il faut aller plus vite et tout de suite », insiste Micheline Jacques. Il s’agit d’autre part de privilégier les familles en situation de handicap dans l’accès au logement, ou encore compléter le plan « 50.000 solutions » par un plan handicap Outre-mer de rattrapage à 10 ans, en particulier pour la Guyane, Mayotte, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, a indiqué Akli Mellouli.

Autre recommandation du rapport : confier à LADOM l’accompagnement des étudiants ultramarins handicapés dans leurs projets de poursuites d’études dans l’Hexagone. Pour les petits territoires insulaires ou isolés, créer un cadre réglementaire adapté afin de faire évoluer le modèle classique des établissements médico-sociaux vers celui de plateformes de services polyvalentes avec un nombre de places rapidement modulable. Enfin, étudier un nouveau mode de calcul de la majoration « vie chère » des dotations aux établissements médico-sociaux ultramarins, et réexaminer le montant du concours de la Caisse nationale de scolarité pour l’autonomie (CNSA) au financement de la prestation de compensation du handicap (PCH) dans les départements ultramarins pour tenir compte de la vie chère.
Bref autant de recommandations que la délégation va transmettre aux ministres des Outre-mer, Manuel Valls, et à sa collègue en charge du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, afin de faire évoluer la situation des personnes en situation de handicap dans les territoires ultramarins. « Elles ont aussi besoin d’une vie sociale, d’avoir accès à la culture, aux loisirs et aux sports, pour leur épanouissement personnel et leur éveil », a ainsi conclu Akli Mellouli.
B.J.