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Mamoudzou
jeudi 6 février 2025

« Après Chido et Dikeledi la justice reprend son souffle et commence à se reconstruire »

Comme chaque année au cours du mois de janvier, le tribunal judiciaire de Mamoudzou procède à son audience solennelle de rentrée afin notamment de présenter les nouveaux arrivants mais aussi faire le bilan de l’année passée.

S’il s’agit d’une cérémonie publique importante dans la vie institutionnelle des juridictions, cette audience était tout particulièrement attendue à Mayotte, au regard des dégâts laissés par le cyclone, un mois et demi plus tôt.

Malgré Chido, la justice a continué de fonctionner

L’audience solennelle de rentrée avait lieu ce mercredi au tribunal judiciaire de Mamoudzou

Plus tôt dans la matinée dans une conférence de presse en compagnie de la procureure par intérim, Françoise Toillon, la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou, Sophie de Borggraef, donnait le ton : « les dégâts laissés par le passage du cyclone Chido ont été considérables et le tribunal judiciaire de Mamoudzou n’y a pas fait exception, il a été fortement touché et on doit se réorganiser ». Les locaux du tribunal judiciaire ont été fortement touchés et seul le bâtiment numéro 3 du tribunal a résisté. « Un bâtiment est complètement hors-service, celui qui est sur le bord de la route nationale, un autre est très endommagé. » Dans ce contexte, la location d’un local de 120 mètres carrés pour loger les services civils qui étaient dans le bâtiment détruit est plus qu’attendue. « Ils vont être relocalisés et c’est une bonne nouvelle pour que les services puissent mieux fonctionner », a commenté la présidente du tribunal. Malgré ces difficultés, près de trois semaines après la catastrophe, l’ancien procureur de la République de Mayotte, Yann Le Bris, déclarait : « En termes de liberté individuelle et de réponse pénale pour les faits les plus graves nous n’avons jamais cessé de fonctionner ». Lors de l’audience solennelle de ce mercredi, la présidente du tribunal judiciaire a confirmé que « le tribunal judiciaire n’a jamais été fermé » et que « toutes les audiences ont été organisées » pour « donner des réponses civiles ou pénales » aux justiciables.

L’installation de 3 nouvelles magistrates

De gauche à droite : Axelle de Laforcade et Ariane Balg

Sophie de Borggraef a présenté les nouvelles recrues et leur a souhaité la bienvenue. Ainsi, il a été procédé à l’installation d’Ariane Balg, vice-présidente chargée des fonctions de juge des libertés et de la détention, déjà présente sur le territoire l’année passée ; Sylvie Escrouzailles, vice-présidente (qui arrivera dans les prochains jours à Mayotte), et Axelle de Laforcade, vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants (qui a fait partie des brigades venues renforcer les effectifs du tribunal au cours de l’année 2024). Puis la présidente a rendu hommage à Yann Le Bris, parti vers de nouveaux cieux en Martinique. « Je salue le travail de Yann Le Bris pour son engagement de tous les instants. Je lui souhaite une pleine réussite au tribunal judiciaire de Fort-de-France ».

Puis Sophie de Borggraef s’est réjouit de travailler avec Françoise Toillon, en attendant la nomination d’un nouveau procureur dans les mois qui viennent. En effet, elle mène actuellement une délégation en qualité de procureure de la République par intérim, pour une période de deux mois, avant d’assurer ses fonctions d’avocat général, près la Chambre d’appel de Mamoudzou. La magistrate a estimé que « la lutte contre l’immigration clandestine et la délinquance en col blanc », faisant référence à la corruption des élus, constitueraient des priorités.

Une année 2024 chaotique avec un bilan en demi-teinte

Comme l’a rappelé la présidente dans son discours préliminaire, « après Chido et Dikeledi la justice reprend son souffle et commence à se reconstruire ». Car en effet, le tribunal judiciaire n’a malheureusement pas été épargné, en plus de bâtiments détruits, la Chambre d’appel a littéralement été « pulvérisée » pour reprendre le terme de la présidente. « Nous travaillons actuellement avec la moitié de la superficie que nous avions avant… Les travaux de réfection vont prendre plusieurs mois. Nous avons perdu beaucoup de dossiers, si bien que nous avons eu une activité ralentie jusqu’au 27 janvier ».

Françoise Toillon a ensuite fait un bilan de l’activité judiciaire de l’année 2024 en évoquant « une année hors normes, douloureuse avec Chido, mais aussi avec les barrages en début d’année dernière. Ces deux événements ont eu des impacts sur l’activité judiciaire, il y a eu ainsi 3 mois d’inactivité à cause de plusieurs facteurs » a-t-elle souligné. Puis de faire un petit laïus sur le nerf de la guerre : le budget. «  Le budget est en baisse et les dépenses en hausse, cela va nécessité d’être inventif et de faire preuve de rigueur malgré une période de disette ».

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Françoise Toillon lors de l’audience solennelle

La procureure par intérim a ensuite donné plusieurs chiffres concernant l’activité pénale du tribunal. Ainsi ce sont plus de 12.000 procédures traitées en 2024 contre un peu plus de 17.000 en 2023, soit une baisse de 27%. Par ailleurs, « ce sont environ 850 affaires punissables pour chaque magistrat ; 350 gardes à vue/mois et même 1.000 affaires traitées par mois si l’on compte les gardes à vue et les décisions demandées aux magistrats ». Concernant l’activité du parquet, les comparutions immédiates ont représenté 10% des dossiers en 2024 (295, soit 10 de plus qu’en 2023), le taux de réponse pénale du parquet a été lui de plus de 95%, selon Françoise Toillon. Elle a néanmoins concédé que le tribunal pour enfant est « le parent pauvre car il ne permet pas d’absorber toute la délinquance juvénile ». Ce sont ainsi 322 mineurs poursuivis en 2024 contre 412 en 2023, soit une baisse de 22%. « Les magistrats font avec ce qu’ils ont pour donner la meilleure réponse pénale » a-t-elle insisté. Elle s’est félicitée toutefois du délai d’audiencement qui est de 4 mois, avant d’évoquer le point noir : le centre pénitentiaire de Majicavo. « Au 4 février il y avait 660 détenus pour 270 places. Le taux de surpopulation carcérale atteint en moyenne 240%, voire plus de 300% dans certains quartiers. Ce sont des conditions difficiles…il y a la nécessité de prendre des mesures ».

François Toillon est également revenue sur la justice en France en général, qualifiant cette dernière de « mauvaise élève de l’Europe avec seulement 3,2 procureurs pour 100.000 habitants alors que la moyenne européenne est de 11,2″. Enfin elle a rendu hommage au travail de son prédécesseur, Yann Le Bris,  « l’infatigable procureur de Mamoudzou », salué « son flegme breton et sa personnalité », « un homme pragmatique au service de l’action publique », « le parquet est à jour et le délai d’audiencement est exemplaire ». Elle a ensuite témoigné de sa considération envers les victimes de Chido, mais aussi ceux qui sont revenus pour aider, et a lancé un appel en direction de la place Vendôme, siège du ministère de la Justice : « Mayotte a besoin d’aides…un palais de justice réparé, neuf, des hommes et des femmes, un procureur… ».

Un tiers des effectifs manque au greffe

Air Austral, Mayotte
Traumatisés par la tempête ou ayant tout perdu, de nombreux fonctionnaires avaient quitté l’archipel quelques jours après le cyclone, sans perspective de retour

La catastrophe du 14 décembre a causé de nombreux départs auprès des fonctionnaires. Autant au siège qu’au parquet, des magistrats manquent à l’appel. Au siège, le poste de juge des enfants et la fonction de juge des contentieux de la protection sont toujours vacants. Au parquet, un poste sur six n’est pas pourvu. « En théorie, au parquet, on est six. Pour le moment, on est cinq, si on inclut un magistrat venu dans le cadre de la brigade. », commente la procureure de la République par intérim. Au greffe, c’est une véritable hémorragie, où dix postes sur trente, soit un tiers des effectifs, sont vacants. À ce sujet, la présidente du tribunal judiciaire a déclaré être « en attente de renforts de l’extérieur ». Grâce au dispositif expérimental pensé par l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, pour renforcer les juridictions ultramarines, une nouvelle rotation de magistrats viendra en renfort du tribunal judiciaire à compter du 1er mars 2025, l’actuelle se terminant le 8 février prochain.

Le barreau de Mayotte en souffrance également

« Il faut que Paris nous entendent, a lancé le bâtonnier, Me Yanis Souhaïli, devant l’auditoire durant l’audience solennelle. Il est remps que cette cité judiciaire se fasse ! ». Puis il est revenu sur le manque d’avocats pour gérer à l’activité judiciaire. « Nous ne sommes que 30 inscrits au barreau. On ne peut pas tout faire. Nous ne sommes pas en mesure de répondre aux demandes des justiciables et aux officiers de police judiciaire (OPJ). Nous ne pouvons malheureusement pas faire plus malgré des confrères dévoués », a-t-il déclaré. Avant de dénoncer, lui aussi, la surpopulation carcérale à Majicavo, « on a besoin d’aide et de moyens car on veut tous faire avancer ce territoire ».

La présidente du tribunal a repris la parole afin de conclure que pour l’année 2025, « il va falloir s’adapter, faire preuve d’imagination, de stratégie, développer le télétravail, davantage dématérialiser la procédure pénale… », tout en souhaitant une nouvelle cité judiciaire le plus vite possible et de rappeler qu’en 2025 l’accent sera mis « sur l’utilité sociale de la justice et sur le service public ».

Benoît Jaëglé et Mathilde Hangard

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