La démolition programmée d’un ensemble de 53 cases en tôle dans le quartier de Mbouyoujou à Dzaoudzi, sur deux secteurs, en hauteur et en bordure de mer, a fait l’objet de 4 recours en référé au tribunal administratif. Jugées ce vendredi 23 juin. C’est le président des tribunaux administratifs La Réunion et de Mayotte, Gil Cornevaux qui était présent en personne dans une salle d’audience vide. Plus exactement, ce fut un tête à tête avec l’avocat de la préfecture, Me Alain Rapady, du barreau de La Réunion, qui a donc rapidement tourné court.
Il faut dire que l’avocat des plaignants était au moment même sur une audience de la CNDA (Cour Nationale des Droits d’Asile), « il nous a indiqué s’en rapporter aux écritures », rapportait le président d’audience.
Comme lors des précédents recours, il est demandé la suspension de l’arrêté du préfet, et celui visé date du 24 avril 2023, et la condamnation de l’Etat au remboursement des frais de justice dans l’hypothèse où les plaignants n’auraient pas obtenu l’aide juridictionnelle.
L’absence de représentants de la défense sera souligné à plusieurs reprises par Gil Cornevaux, la plupart du temps sur un ton caustique, « l’avocate qui représente habituellement les requérants lors de ces audiences m’a ouvertement critiquée parce que la dernière audience était en visio, j’ai donc pris l’avion, et je constate qu’aucun des dix avocats signataires de la requête ne sont présents ! »
« Une ligne de front idéologique »
Pas besoin de prendre sa respiration pour Me Rapady qui plaidait pour la préfecture dans une salle d’audience vide, contre « le maintien d’un enclos à chèvres, à poules, à canards (…) une activité implantée illégalement, et dont le propriétaire n’est pas concerné pour son habitation par la démolition ». Les trois autres plaintes concernaient des cases en tôle.
La plus longue diatribe venait de l’autre côté de la barre, Gil Cornevaux faisant un retour imagé sur les péripéties judiciaires depuis le 24 avril 2023, date de lancement de Wuambushu. Un peu en écho aux propos tenus il y a un mois par l’avocat qu’il a en face de lui, évoquant une « hystérisation judiciaire », le juge pointait une « avalanche de recours », « on m’a demandé de suspendre un arrêté déjà suspendu », lâchait-il en référence à la trentaine de requérants qui, appuyés par des avocats, demandaient une suspension de la démolition de Talus 2… que le juge avait déjà stoppée pour défaut de preuves de relogement des habitants, qu’il a cassé ensuite, permettant aux tractopelles de démolir. « J’ai du mal à comprendre l’acharnement que certains mettent à maintenir les gens dans des logements insalubres. C’est une ligne de front idéologique », estime-t-il. « Et quand le juge rejette la requête, que se passe-t-il pour les requérants ? Ils se retrouvent seuls. »
Un quart des reconduites sont contestées
Il rappelait le progrès fait depuis 2019, « date à laquelle j’ai jugé le premier décasage, on s’est bien amélioré ». Notamment grâce aux recours défendus par les avocats. Mais Gil Cornevaux en profite pour glisser son récent apport à la question : « On a réussi à conditionner la démolition à un gardiennage des meubles, ce qui n’est pas prévu dans la loi, et à une scolarisation au plus près des lieux d’habitation. »
Au fur et à mesure des affaires de démolitions, le nombre de recours s’amenuise, la validation de démolition de Talus 2 ayant servi de jurisprudence. « Actuellement, les requérants ne sont plus que des faire-valoir », critiquait-il, visant une avocate contre laquelle la guerre est manifestement déclarée. « Maintenant, on me demande de protéger des chèvres et des canards, une activité sur un terrain illégalement occupé. Ça en devient ridicule ! »
Il expliquait qu’une opération comme Wuambushu agit comme un chamboul’tout au tribunal : « En temps normal, les 24.000 reconduites à la frontière par an donnent lieu à 6.000 recours. Et là, on nous en annonçait 20.000 en deux mois ! J’ai donc réorganisé entièrement le tribunal, et on a fait venir des magistrats exprès. »
« J’ai fini mon billet d’humeur », lâchait Gil Cornevaux avant d’indiquer que le délibéré qui ne fait pas trop de suspens sera rendu « avant la fin de la semaine prochaine ». Quant aux prochains, dont celui du 4 juillet sur Hamouro, ce ne sera pas lui, « je ne veux pas personnaliser le débat, j’en ai marre de me faire insulter, je laisse des collègues s’en charger. »
Anne Perzo-Lafond