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Mamoudzou

Jacques Mikulovic : en français dans le texte

Le sportif recteur termine dans deux semaines sa première année scolaire mahoraise. Tout en conservant une certaine continuité avec son prédécesseur, il adapte des méthodologies au contexte avec au moins deux objectifs : l’acquisition des savoirs de base en français, et capter la confiance des meilleurs dans les filières d’excellence mahoraise. L'occasion d'évoquer avec lui sur les actes de violence de certains jeunes.

Vous bouclez dans deux semaines votre première année scolaire à Mayotte. Avec quel sentiment ? Quels sont les points prioritaires ?

Jacques Mikulovic : Je suis marqué par la richesse des habitants ici, mais aussi par des réactions parfois déstabilisantes. Ma grande priorité, c’est la généralisation de la langue française pour préserver l’identité française dans le département. On me dit qu’il y a 10 ans, tout le monde parlait français dans le secondaire, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

En raison d’une plus forte proportion d’étrangers scolarisés ?

Jacques Mikulovic : Je ne sais pas, mais je constate qu’une élite se débrouille extrêmement bien, alors qu’une majorité est en grande difficulté. Cela impacte toutes les matières et handicape pour toute la suite du système scolaire français. Nous allons donc mettre l’accent sur les savoirs fondamentaux du plan « Dire, lire, écrire », et rappeler l’obligation qui semble aller de soi, de parler français à l’école. Car par facilité ou pour mieux aider un élève qui n’a pas compris, certains enseignant ont recours au shimaorais dans les écoles, mais l’élève ne fera jamais l’effort donc. Il y a eu une massification de l’enseignement qu’il faut gérer. Il faut trouver la bonne formule pédagogique car les familles parlent plus ou moins bien.

Lors des journées du Services National Universel, le recteur de Mayotte, encourageait la persévérance « qui amène à la réussite »

Les langues locales sont très implantées à Mayotte, comment allez vous procéder ?

Jacques Mikulovic : J’envisage de mettre en place un Conseil académique des langues régionales pour étudier leurs structuration, leur enseignement sans s’opposer à la langue française qui doit rester véhiculaire. On pourrait préconiser l’utilisation des langues locales, vernaculaires, comme passerelle en cas de difficulté de compréhension au cycle 1 (maternelle, ndlr), et pour le cycle 2 (CP au CE2) ce relais pourra être utilisé par exemple jusqu’à la Toussaint, puis de manière dégressive pour ne plus qu’utiliser le français. D’autre part, il faut jouer avec la langue pendant les cours, et ne pas dispenser un enseignement descendant, provoquer les interactions entre les élèves pour qu’ils vivent la langue française. Parallèlement, un enseignant pourra bloquer un créneau pour enseigner une langue vernaculaire. Il faut penser aux jeunes qui sont partis en métropole et reviennent en ayant oublié le shimaorais. En septembre, nous organisons le mois de l’écriture pour tous les niveaux. Il faut que chacun monte en puissance cela va ouvrir les horizons. J’ai été sidéré au concours d’éloquence d’entendre des jeunes pétris de talents qui ont des dons que je n’ai rencontrés nul part ailleurs. Leur faiblesse, c’est l’incapacité à se projeter.

« IL FAUT AVOIR CONFIANCE DANS LES FILIÈRES D’EXCELLENCE »

Il faut dire que le territoire offre encore peu de débouchés en études supérieures

Minimiser le recours à une autre langue que le français à tous les niveaux

Jacques Mikulovic : Pour 4.500 bacheliers cette année, nous proposons 1.500 places en enseignement supérieur à Mayotte. Il en reste donc 3.000 qu’il va falloir orienter. Nous avons des places en excellence mais sous-sollicitées. Je salue les 11 élèves admis en école supérieure de gestion à Sada, mais en préparation de concours Math Sup/Math Spé à Bamana, seulement deux ont été admis pour 24 places. Or, nous avons recruté une équipe d’agrégés et de docteurs, mais nous n’accueillons pas les meilleurs élèves. Ils partent en prépa à La Réunion ou en métropole. Si on veut l’excellence pour ce territoire, il faut s’en donner les moyens et avoir confiance dans ce que nous proposons pour ces filières d’excellence. Dans l’internat d’excellence mis en place par mon prédécesseur Gilles Halbout, les gamins sont en capacité de se projeter car ils évoluent dans un environnement aidant. D’autre part, il est prévu que l’université monte d’un cran en compétence dès le 1er janvier 2024.

Pour ceux qui ne peuvent se diriger vers ces filières, il y a des formations techniques, mais cela doit s’accompagner de savoir-être. Un chef d’entreprise a du rappeler à l’ordre un stagiaire peu dynamique et qui faisait la sieste. Beaucoup disent préférer prendre en alternance des jeunes mahorais passés par la métropole pour leur fiabilité. Il y a quelque chose à mener ici.

Comment inciter à privilégier les formations sur place ?

Jacques Mikulovic : Nous comptons créer un Comité d’orientation stratégique pour présenter le projet académique et associer les élus et les services de l’Etat sur le processus d’élaboration de la carte de formations du secondaire, professionnelles, et en enseignement supérieur. Le préfet s’est montré très intéressé.

FAIRE DE LA ROTATION UN ATOUT ET NON UN HANDICAP

En novembre 2022, première pierre de l’école de 24 classes à Mamoudzou par Ambdilwahedou Soumaila

Où en est-on des 800 à 900 salles de classe manquantes pour scolariser tous les enfants ? Certains maires sont frileux voyant dans ces constructions un « appel d’air » migratoire.

Jacques Mikulovic : Je reçois des demandes de plusieurs maires qui souhaitent que l’Etat reprenne la main sur les constructions scolaires, en effet souvent sous la pression de leur population, alors que d’autres comme Mamoudzou, Bandrélé ou Dembéni, veulent conserver cette compétence. J’ai invité les premiers à lancer leurs chantiers dans l’esprit d’équipements pédagogiques polyvalents. C’est d’ailleurs ce que nous pouvons mettre en place en faisant des classes en rotation un atout et non plus un handicap. Regardons en Europe du Nord le fonctionnement des écoles, ils ont cours sur une demi-journée, et sport ou actions culturelles, sur l’autre. Nous pourrions fonctionner ainsi dans des équipements polyvalents, sous réserve que les savoirs fondamentaux soient acquis, lire, écrire, comprendre, penser. Il faut arrêter de projeter le modèle métropolitain comme meilleur alors qu’il a ses faiblesses. Ici, les jeunes ont des capacités mnésiques impressionnantes, il faut leur donner confiance en eux.

Allez vous poursuivre le concept des classes itinérantes pour pallier le déficit de salles ?

Jacques Mikulovic : Non seulement nous les continuons, mais nous les élargissons pour les primo-arrivants. Nous allons prendre jusqu’à 400 élèves cette année. Ceux qui ne parlent pas français ne peuvent pas être scolarisés avec les autres. Le CASNAV* et les associations prennent régulièrement en cours d’année des primo arrivants. Nous avons désormais l’appui d’un inspecteur général qui vient à mi-temps pour accompagner les inspecteurs et les directeurs d’écoles afin que tout le monde soit formé à une méthodologie d’apprentissage des fondamentaux. Une taskforce qui interviendra du 3 au 9 septembre à Tsararano. L’objectif est de monter en compétence d’encadrement, et d’être exemplaire sur la présence devant les élèves alors que trop de cas d’absentéisme non déclarés dans les écoles me sont remontés. Nous contribuerons à résoudre les problèmes de violence en renforçant nos missions, dont, je le répète, l’acquisition des savoirs fondamentaux. Et nous allons communiquer sur notre projet académique à l’acronyme incitatif, RESPECT.

A MAYOTTE, BEAUCOUP D’ENFANTs N’ONT PAS L’OCCASION D’ÊTRE RECONNUS COMME TEL

Les élèves sont réputés sages dans les classes, mais on en retrouve certains avec pierres et cailloux à la main une fois dehors. Y a-t-il une perte des valeurs ? L’éducation nationale peut-elle quelque chose dans ce domaine dévolu aux parents ?

Échanges entre des terminales du Bac Pro finition BTP et le recteur

Jacques Mikulovic : Nous sommes trop petit pour réussir seul. Chacun à sa place et les zébus seront bien gardés. Notre mission est d’instruire, apprendre à parler français, lire, écrire, compter, etc. Les parents ont un rôle éducatif, d’accompagnement affectif, d’apprentissage des valeurs, dont la politesse. Et les collectivités ont compétence sur le périscolaire. Nous menons des projets pour apporter un complément, comme « l’école hors les murs ». Parce que parfois, il n’y a qu’à l’école que le jeune a une reconnaissance de ce qu’il est réellement. Lors des fêtes de fin d’année dans les écoles, les parents ont l’œil rivé sur leur enfant. Mais à Mayotte, beaucoup de jeunes n’ont pas l’occasion d’être un enfant et d’être reconnus comme tel. Les adultes déplorent les violences mais parfois ont des comportements qui cautionnent une forme de violence. C’est ce qui se passe quand on se fait justice soi-même. On ne peut pas faire ça et défendre les valeurs de la République. Nous devons construire les règles ensemble. En tout cas, respecter un enfant, c’est être exigeant avec lui sur les performances et le comportement. La maitrise de lui-même, c’est la meilleure garantie que l’on peut lui donner pour sa construction.

Fort de sa première année scolaire à Mayotte, Jacques Mikulovic a conclu l’entretien sur son analyse d’une « crise identitaire » du territoire : « Mayotte est passée d’un modèle historique à un modèle métropolitain sans transition, il va falloir du temps pour reconstruire des références. »

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

* Centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés

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