Quelle est exactement la situation économique et financière de l’Union des Comores ? Ce pays à la fois affinitaire pour une partie de la population mahoraise, à la fois encombrant pour le fonctionnement de nos services publiques à Mayotte, dirigé par un président ex-putschiste en 1999, à la réélection contestée en 2019, va-t-il vers le mieux ou le pire ?
Un document a été publié le mois dernier par le FMI (Fonds Monétaire International) qui accompagne financièrement le pays dans un cadre informel appelé « Programme de référence ». Il s’agit d’un accord entre ses services et un pays membre dans lequel est assuré le suivi du programme économique. Une sorte de parrainage bienveillant, mais qui peut néanmoins soumettre des aides financières à des avancées politiques, comme nous allons le voir.
Le compte rendu qui est fait par le FMI du dernier programme de référence 2021-2022, est noté comme « globalement satisfaisant » sur sa mise en œuvre, « la plupart des objectifs quantitatifs et des repères structurels ayant été atteints dans les délais. » On sent que les marches sont gravies pas à pas.
« Pertes considérables » pour les entreprises publiques
Deux axes étaient prioritaires, « contenir la pandémie de Covid et s’en remettre » et « commencer à mettre en œuvre des réformes pour surmonter la fragilité, stimuler la croissance inclusive et limiter les risques. » Or, le 1er point a impacté le second, « La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont sévèrement affecté les Comores » dont « l’activité économique a stagné en 2020-2021 (…) avec une inflation atteignant des niveaux record à deux chiffres en 2022 et des perspectives budgétaires considérablement dégradées». Et ceci, malgré « l’aide substantielle de la diaspora et des partenaires de développement pendant la pandémie ». Nous reviendrons sur ce sujet.
Poursuivons sur les mesures mises en place. « Les autorités ont atteint six des sept objectifs quantitatifs de fin décembre 2021, tandis que les transferts en espèces aux pauvres ont été retardés par des problèmes logistiques liés au COVID-19 », rapporte le FMI.
Parmi les objectifs en souffrance, la restructuration de la Société Nationale des Postes et Services Financiers (SNPSF), « insolvable », et la loi de lutte contre la corruption, « pas atteints dans le délai imparti avant la fin février 2022 ». Pour autant, on a assisté à un rattrapage, « le projet de loi anti-corruption a depuis été aligné sur les exigences du programme de référence, et les autorités progressent dans la restructuration de la banque postale SNPSF », qui nécessitera « d’importantes ressources budgétaires ». Le FMI mentionne que la banque postale n’est pas la seule à avoir souffert, « les pertes des entreprises publiques ont été à l’origine d’une diminution des recettes budgétaires en 2022 (…) annulant les gains réalisés en 2021». Sont notamment mentionnées la compagnie pétrolière SCH, et l’entreprise ONICOR qui ont enregistré « des pertes considérables ».
Selon les estimations, la croissance du PIB est passée de 2,4 % en 2022, « devrait rester faible en 2023, à 3 %, tandis que le taux d’inflation moyen devrait progressivement diminuer et s’établir à environ 8,2 % en 2023 ». Le budget de l’Etat a donc souffert.
10% de contribuables en plus
Pour faire face, des objectifs ont été alignés et réalisés. Les recettes fiscales ont augmenté à 45,7 milliards de KMF (Franc comorien), alors que le programme ambitionnait 41 milliards. Une avancée permise par l’accroissement du nombre de contribuables de 10%. Autre victoire, le déficit intérieur s’est infléchi pour atteindre 18 milliards de KMF. N’a pas été atteint par contre les transferts en espèces en faveur des populations pauvres, en raison des vagues de d’infection au COVID. Redémarrage en août 2022 néanmoins avec un transfert de 5,8 milliards de KMF vers les plus précaires.
La dette extérieure a continué à s’alourdir en raison de « la faiblesse de la croissance, de la hausse des passifs budgétaires et de l’appréciation du dollar ». Le nœud du développement des Comores reste donc l’investissement dans la croissance. Or, en dépit des apports extérieurs ces dernières années cités plus haut, elle n’a pas démarré. Pour ne parler que des plus importants, ce sont les 5 millions de dollars alloués par le FMI en 2007, 3,9 milliards d’euros versés en 2019 par la Banque mondiale qui visaient « à faire des Comores un pays émergent à l’horizon 2030 », la Banque africaine de développement, et ses partenaires Maroc et Emirats arabes unis, ou plus récemment il y a deux ans, les 150 millions d’euros par la France dans un accord partenarial avec les Comores, sous condition d’objectifs migratoires.
D’ailleurs, on peut lire dans l’évaluation du Programme de référence du FMI, que si « la récente détérioration de la situation macroéconomique a encore accru les risques liés à la viabilité de la dette », le choc a été amorti grâce notamment au « volume élevé des envois de fonds ». Nul doute que les aides extérieures, dont la France, y ont contribué, mais aussi, les transferts de fonds de la diaspora comorienne présente à Mayotte et en métropole. Elle se chiffrait à 162 millions d’euros en 2019 selon la banque centrale comorienne soit 25% du PIB.
Du donnant-donnant
Des apports qui n’arrivent pas à lancer l’économie, car non réinvestis dans la création d’activité. Selon un connaisseur du dossier, « cette manne financière sert à régler le quotidien et le passif social des personnes restées au pays. » Si le réseau routier est en bon état, les difficultés structurelles en matière d’eau et d’électricité demeurent.
Des indices de dysfonctionnements persistants sont notés en filigrane dans le rapport du FMI qui évoque notamment « la rotation fréquente des hauts fonctionnaires », qui suivent le programme de référence, autant de freins à sa réalisation. Ils sont en effet irrégulièrement et insuffisamment payés, de même que les enseignants.
Il faut donc notamment « intensifier les efforts pour accroitre les recettes internes », commente le FMI, c’est ce qui permettra l’investissement dans le secteur productif.
De très nombreuses recommandations sont formulées : renforcer la solidité du secteur bancaire, la collecte et la publication d’informations sur les projets de marchés publics, le renforcement de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, prendre garde aux déficits de financement considérables qui présentent une menace pour la viabilité de la dette, accroître les recettes budgétaires tout en réduisant les dépenses improductives, etc.
C’est du donnant-donnant pour le FMI dont les services saluent l’effort des autorités, qui « sous la conduite du président Assoumani, ont maintenu un engagement fort à l’égard du FMI et à l’égard de la réalisation des objectifs du programme », et qui demeurent « intéressées par la conclusion d’un futur accord au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC). » Les services du FMI indiquent vouloir soutenir cette demande d’aide financière, « à condition qu’un programme d’ajustement économique soit clairement défini et que les autorités continuent dans l’intervalle de mettre en œuvre des mesures saines et prudentes ».
Un peu comme à Mayotte où on a mal décentralisé et trop vite, accompagner pas à pas les Comores sur la voie du développement est donc indispensable si l’on ne veut pas réitérer les erreurs du passé, avec des mannes financières non investies dans les capacités de production. Ou comme l’hôpital flambant neuf de Bambao, financé par la Chine à Anjouan, qui « ressemble à un mouroir », tombant en décrépitude, comme le soulignent nos confrères du Monde ce mardi soir. La France a récemment détaché des fonctionnaires pour accompagner les mesures indispensables au redressement du pays, il en va de son avenir et par ricochet, de celui de Mayotte.
Anne Perzo-Lafond