Quinze jours après l’audience de l’examen de l’arrêté préfectoral du 19 septembre 2022, ayant fait l’objet de trois « référé-suspension », le dénouement s’est fait connaître jeudi. Le Tribunal administratif a en effet suspendu l’opération « portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani ».
Un doute sérieux quant à sa légalité
Lors de l’audience du 24 novembre dernier, Psylvia Dewas, experte de la résorption de l’habitat illégal à la préfecture, s’était défendue qu’un travail « dans la dentelle » avait été réalisé sur le terrain afin de proposer des solutions aux personnes concernées par l’opération de résorption de l’habitat insalubre. Maître Marjane Ghaem, avocate des cinq requérants, pour sa part, avait notamment mis en évidence l’absence de traces, autres que verbales, des notifications de la préfecture attestant ou non du refus de la participation aux enquêtes sociales des habitants concernés par le périmètre de démolition. « Quid des notifications? Où sont les preuves des entretiens ? », s’interrogeait-elle.
Dans sa décision de suspendre l’arrêté en question, le tribunal administratif note pourtant « qu’au jour de l’audience aucune proposition concrète sur les offres d’hébergement n’a été adressée aux requérants avant la notification de l’arrêté litigieux ». En outre, il souligne qu’en l’état du dossier, « aucune pièce ne permet de connaître la consistance des propositions d’hébergement dont se prévaut la défense ». Dès lors, la décision souligne que n’ayant pas reçu « de véritables propositions d’hébergement ou de relogement adaptée à leur situation », cette situation est de nature « à créer un doute sérieux » quant à la légalité de l’arrêté préfectoral du 19 septembre dernier.
L’article 197 de la loi ELAN fait l’objet d’une question de conformité à la Constitution
Le tribunal administratif indique par ailleurs la transmission au Conseil d’Etat de la question de conformité à la Constitution des dispositions de l’article 197 de la loi ELAN. En effet, Me Marjane Ghaem s’était étonnée de la qualité du texte de loi en question, « texte tellement mal écrit » au regard de l’absence de définition de la notion « d’ensemble homogène », conduisant à la délimitation des périmètres concernés par la résorption de l’habitat insalubre. Selon son argumentaire développé ce jour-là, cette lacune du législateur conduit à laisser à la discrétion du préfet d’interpréter le périmètre concerné. L’avocate a également mis en avant que cette absence de définition se retrouve également quant à la qualification « d’hébergement d’urgence adapté » ; or avait-elle rappelé, « le conseil constitutionnel rappelle que la loi est une garantie contre l’arbitraire administratif ».
Dans sa décision, le tribunal administratif a ainsi reconnu qu’au regard de ces lacunes, « s’abstenant de préciser les obligations à la charge des autorités administratives […], le législateur a méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant des droits et libertés que la Constitution garantit » tels que le « droit à la vie privée et familiale, le droit à la propriété, le droit à la sûreté et l’intérêt supérieur des enfants des familles concernées par ces opérations de démolition ». Ainsi, loin d’être une chose simple, selon les termes du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, l’enjeu de la résorption de l’habitat insalubre constitue une pierre d’achoppement sur laquelle la puissance publique ne cesse de trébucher.
Pierre Mouysset