A force d’inefficacité, la coopération régionale est un sujet qui s’atrophie. On lui associe le plus souvent le mot de « saupoudrage », dans un esprit dévoyé qui attend d’elle un relais de développement économique de nos voisins immédiats, les Comores et Madagascar. La Chambre Régionale de l’Economie sociale et solidaire (CRESS) vient de lui redonner un coup de jeune.
Les coopératives, les mutuelles, les associations, les fondations, c’est tout cela l’économie sociale et solidaire, et plus encore à Mayotte du moment que les activités sont fondées sur un principe de solidarité et d’utilité sociale.
Sans le savoir, Mayotte avait une longueur d’avance sur les autres territoires en la matière, et l’a conservé. Le chicoa, la tontine, est souvent cité en exemple, où un groupe va mettre ses finances en commun pour la création d’un commerce, charge à son propriétaire de rembourser ensuite régulièrement, et de cofinancer le projet d’un autre participant.
En 2016, le sénateur Thani Mohamed Soilihi, Philippe Duret et Ben Amar Zeghadi formalisent donc ce qui existe en déclinant la toute nouvelle loi du 31 décembre 2014 qui sécurise le cadre juridique. A ce moment là, l’ESS France souhaite appliquer le concept à l’ensemble des Outre-mer, mais ne sait pas trop comment s’y prendre, comme nous le confie Kamal Youssouf, directeur de la CRESS Mayotte : « Ils ont donc confié à la CRESS Mayotte la mise en place des missions pour l’ensemble des Outre-mer. Nous avons notamment accompagné la CRESS Réunion dans la consommation des fonds européens, car ils n’avaient pas d’observatoire ». A savourer sans modération, c’est rare que cela se fasse dans ce sens.
Seule la France a un cadre ESS légal
Partie d’un contexte facilitateur à Mayotte, car fortement imprégné d’économie sociale et solidaire, il fallait trouver un second souffle. C’est le cas et pas seulement parce que la loi l’impose, assure le directeur : « Nous appuyons la création et le maintien des entreprises sociales et solidaires, la formation des salariés. C’est plus compliqué sur la production de données car nous sommes sur un territoire qui en manque de manière globale. » Quant au 6ème volet de la loi, celui du développement de la coopération internationale, il a été mené sur plusieurs pays de la zone avec succès. Pendant notre interview, des bribes de restitution de mission en anglais et en portugais étaient la preuve.
« Avant de nous lancer dans la coopération régionale, nous nous sommes demandé quel était le cadre légal dans les pays concernés, le Mozambique, le Kenya, Grande Comore et la Tanzanie, et ce que signifiait l’économie sociale et solidaire pour ces pays ». Madagascar n’était pas inclus dans le périmètre de l’appel à projet, car c’est le fonds européen INTERREG V Océan Indien 2014-2020 de La Réunion et non de Mayotte qui a été sollicité, pour élargir au-delà des seuls pays des Comores et de Madagascar.
Parmi les cases à cocher, il fallait animer un premier réseau océan Indien, « nous avons créé le dispositif BusinESS OI et contacté les acteurs identifiés dans chaque pays. SESOK* qui représentent les entreprises sociales et solidaires au Kenya, E4Impact dans ce même pays, LVRLAC en Tanzanie, AMPCM au Mozambique et MAEECHA aux Comores. Il n’y avait aucune démarche politique, seulement des relations entre acteurs de terrain ». Et quand la politique ne s’en mêle pas, ça a l’air de mieux fonctionner.
Les acteurs se sont déplacés d’un territoire à l’autre et ont pu constater une première différence de taille : « L’économie sociale et solidaire n’existe pas sous cette appellation dans ces pays où l’on parle ‘d’entreprises à impact’, car il n’y a pas de cadre légal. Seule la France l’a mis en place par la loi de 2014. » La solution passera par l’Europe, « la commission européenne a comme projet de mettre en place une norme ESS commune à tous. On aura ainsi un cadre légal pour travailler avec les autres pays. Et au 1er semestre 2023, Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire, va porter à l’ONU une reconnaissance mondiale de l’ESS.
Transformation du manioc tanzanien et comorien
Pour conclure ce projet BusinESS de première prise de contact, les représentants ESS de chacun des pays étaient à Mayotte et ont rapporté le bilan de leur mission à la Croisette ce jeudi. Lamia, directrice de l’association MAEECHA à Grande Comore ouvrait le bal en expliquant travailler sur l’éducation des enfants vulnérables, non scolarisés, « Ils sont 13.000 à avoir pu en bénéficier sur 35 écoles, principalement à Anjouan », mais également sur l’assainissement, « dans le cadre de la prévention des maladies hydriques ». Cette passerelle avec les autres pays « doit permettre à l’éducation de grandir au travers des territoires », selon la jeune femme.
En Tanzanie, la problématique de LVRLAC qui représente 42 autorités locales, est la formalisation des petites entreprises, quand le Kenya avec E4Impact (prix Ashoka Innovation Award) accompagne 4.000 entrepreneurs, soit 24.000 emplois, « 65% ont intégré de nouveaux marchés au Kenya »
Ce réseau une fois créé, il va falloir passer à la 2ème étape. On passe du BusinESS au projet Milango, « porte », en shimaore, qui sous-entend un esprit d’ouverture régionale. « Maintenant, des projets vont pouvoir se mettre en place, avec la création d’un réseau d’incubateurs au 1er semestre 2023 », rapporte Kamal Youssouf. Qui nous donne plusieurs exemples : « Je suis porteur de projet à Mayotte, je veux pénétrer le Mozambique, j’ai besoin d’être accompagné pour lever les freins. Ce sera notre rôle, ainsi que de conseiller sur les financements qui existent, notamment AFD ».
Avec un première concrétisation pour la Régie de Territoire Maecha Espoir à Acoua, notamment spécialisé dans la transformation de manioc en farine : « Ils n’avaient pas assez de matière première pour satisfaire la demande locale, des coopérations ont été nouées avec les Comores et la Tanzanie. »
Et cela va même au-delà de l’ESS puisque, au gré des discussions, la ville de Maputo au Mozambique a lancé l’idée d’un jumelage avec une commune mahoraise qui pourrait notamment déboucher sur des échanges culturels et sportifs. « Nous avons utilisé l’ESS comme un outil de diplomatie économique », sourit avec malice Kamal Youssouf.
Anne Perzo-Lafond
* SESOK : Social Enterprise Society of Kenya
LVRLAC : Lake Victoria Region Local Authorities
AMPCM : Associaçào Moçambicana de Promoçào do Cooperativismo MOderno
MAEECHA Mouvement Associatif pour l’Education et l’Egalité des Chances