Quarante, c’est le nombre de militaire qu’il aura fallu déployer à Majicavo dans la nuit du 24 au 25 juillet pour tenir tête, dans une atmosphère anxiogène, à des individus ayant dressé une barricade enflammée et criblant les automobilistes de projectiles. Au total, les affrontements ont fait 7 blessés parmi lesquels quatre civils et trois gendarmes. Ces échauffourées sont un exemple parmi tant d’autres de l’insécurité récurrente pour les riverains et les usagers de la route. Avec les caillassages, les rixes, les barrages ou autres incendies de bacs à ordures, la commune de Koungou est souvent en première ligne face à la violence.
Dialoguer pour désamorcer les tensions
Pourtant, il est un autre front sur lequel la municipalité se mobilise et tente d’avertir les pouvoirs publics : celui d’une jeunesse pourtant diplômée dont les ambitions de réussite sont fossoyées par le manque de papiers. « Ils ne peuvent pas continuer, témoigne Nadia Manteau, responsable insertion au Centre communal d’action sociale (CCAS) de Koungou. Même s’ils sont acceptés dans Parcoursup en métropole, ils ne partent pas, ce n’est pas possible ». Certes, si la plupart des communes de l’île font face au même problème, le cas de Koungou est emblématique dans la mesure où « on a 70 % de la jeunesse qui n’a pas de papiers », relate la responsable insertion au CCAS.
« J’ai voulu témoigner de ma présence car on parle beaucoup sur eux mais là j’ai voulu faire ce geste pour échanger avec eux », s’est exprimé Assani Bamcolo. Contacté par téléphone, le premier édile est revenu sur les motivations qui l’ont amené, avec le directeur du Centre communal d’action sociale de Koungou, à organiser cette échange : « répondre présents aux contacts de ces jeunes, comprendre leur problématique », l’objectif étant de « porter leur parole auprès de l’Etat ». Nadia Manteau abonde, « le fait que l’on puisse les recevoir c’est un moyen de faire comprendre et de montrer que l’on se soucie de leur sort ».
Des ambitions brisées sur le mur des réalités procédurales
Un moyen de prévenir les éruptions de violences, de dégonfler les futures situations à risques en favorisant l’écoute, le dialogue et la compréhension. Mais bien souvent, le mur des réalités se dresse face à la complexité des situations. « Des jeunes qui n’ont pas de papiers, qui n’ont aucun espoir, vous voulez qu’ils fassent quoi ? Rien », concède Nadia Manteau. Pour preuve, elle entend illustrer ses propos par l’exemple d’un jeune ayant « un CAP bijoutier, il a une promesse d’embauche mais il n’a pas de papier ». Impossible pour lui d’exercer et donc de s’intégrer par le travail.
La frustration se mêle à l’incompréhension. « C’est dramatique », regrette la mort dans l’âme la responsable du CCAS. « Dramatique » aussi le fait d’avoir des « jeunes qui viennent me voir et je n’ai pas de solution pour eux ». Des situations qui selon la responsable au CCAS « ne peuvent déboucher que sur plus de violence » dans la mesure où ces jeunes « on les laisse entrer dans les écoles, ok c’est très bien, mais à partir du moment où ils sont là après il faut faire quelque chose ». « On leur vend du rêve quelque part » alors que pour un « jeune qui vit dans un banga qui est sans papier mais qui réussit à obtenir le bac, on doit pouvoir aller plus loin », reconnaît-elle.
Des solutions à esquisser pour répondre aux enjeux
Quelles solutions pourraient être envisagées ? La responsable insertion du CCAS Koungou ne veut pas perdre espoir : « on pourrait mettre ces jeunes à l’épreuve. Un jeune qui a un diplôme on lui donne un titre de séjour de 2 ans et au bout de ces deux ans on voit ce qu’il a apporté à la société. Dans d’autres pays cela fonctionne comme ça, comme au Canada, on leur demande de s’intégrer. Or on ne leur donne ici aucune chance ». Que faudrait-il pour y parvenir ? « Ce que je demande à la préfecture, c’est qu’elle nous fasse confiance. On ne va pas lui envoyer quelqu’un au hasard. Il faut qu’il y ait un vrai suivi entre eux et nous. Que l’on puisse construire une relation. Si on leur envoie 20 jeunes, que l’on puisse à la fin des deux ans faire un bilan », expose Nadia Manteau.
Ces esquisses de solutions sont à ses yeux toujours plus profitables que l’inertie de l’inaction qui ne fait qu’augmenter le ressenti d’une jeunesse obligée de revoir à la baisse ses ambitions. Une situation qui en définitive ne peut qu’alimenter davantage l’aigreur reconnait-elle, « il faut faire quelque chose avant que cela ne devienne incontrôlable ».
Pierre Mouysset