Nous avions salué la nomination d’un mahorais qui porte la francophonie à travers les murs, un signe fort du président de la République à la fois pour Mayotte, à la fois dans un contexte d’ingérence des pays étrangers notamment en Afrique. Pour la 1ère fois de l’histoire, les mahorais accueillaient ce samedi un membre du gouvernement natif du territoire.
A en entendre les discours d’accueil tenus ce samedi matin place Congrès, c’était le retour de l’enfant prodigue au pays. Ne lésinons pas sur ce terme qui vise un sénateur qui obtenait en 2018 la restriction d’accès du droit du sol à Mayotte, et l’année précédente en collaboration avec d’autres élus de Mayotte, la baisse des valeurs locatives de 60% sur le territoire, deux défis difficiles à relever.
Celui qui a quitté le territoire comme sénateur revient donc comme ministre, recevant un fervent accueil populaire empreint d’une juste fierté, « Bienvenu à un enfant de Mayotte », « pour la première fois, un mahorais est au cœur des décisions nationales ». A peine élu sénateur, Thani Mohamed Soilihi avait rapidement compris comment fonctionnaient les autres DOM, et délivrait son premier message, « il faut chasser en meute, laissons nos polémiques sur le territoire », ainsi qu’un travail non partisan sur les dossiers. Il pensait déjà international, quand d’autres regardaient leur pré carré. Depuis, les ententes se sont délitées, il revenait donc ce samedi sur le sujet, « j’invite les élus à faire preuve d’unité ».
Nous avons pu mener avec lui une interview exclusive sur un domaine encore peu connu ici, celui de la francophonie, et sur sa seconde compétence, les partenariats internationaux qu’il va prochainement illustrer dans la région avec le Kenya.
Occuper le poste de Secrétaire d’Etat chargé de la francophonie et des partenariats internationaux en tant que mahorais apporte-t-il une dimension supplémentaire à la fonction ?
Thani Mohamed Soilihi : Je suis Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Europe et des affaires étrangères et je m’appuie sur mon expérience ultramarine pour porter nos priorités, dont le développement harmonieux de nos relations avec le continent africain. C’est une force. Mayotte fait partie du continent africain, et c’est l’île sur laquelle je suis né, ce qui me donne une meilleure compréhension des réalités et donc, en conséquence, une légitimité renforcée.
A peine nommé, vous avez rapidement revêtu votre habit de missionnaire de la Francophonie. Comment vous êtes-vous préparé ? Quel a été le plus grand défi de ce poste jusqu’à présent pour vous ?
La France a accueilli le Sommet de la Francophonie quelques jours après ma nomination. Ce sommet était très important pour la France. D’abord parce que nous l’accueillions pour la première fois depuis 33 ans, dans le lieu emblématique de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. Également parce que nous souhaitions en faire un Sommet utile, un Sommet du concret, avec des ambitions particulièrement élevées. Nous avons lancé des initiatives très concrètes : par exemple, l’Alliance francophone de la propriété intellectuelle, que j’ai eu l’honneur d’inaugurer, permettra d’encourager l’innovation et le dépôt de brevets en langue française. Nous avons également créé un programme international de mobilité et d’employabilité francophone, le « PIMEF » qui permettra de favoriser les échanges entre les centaines d’universités partenaires de l’Agence universitaire de la Francophonie.
Nous avons également lancé un programme de volontariat, « Volontaires unis pour la Francophonie », ou encore accru notre soutien financier à TV5 Monde pour renforcer la promotion de sa chaîne jeunesse au Maghreb. Nous avons par ailleurs pu lancer la création d’un réseau francophone pour l’égalité et les droits des femmes.
Le dépassement politique, une seconde peau pour le secrétaire d’Etat
C’est la 1ère fois que vous revenez à Mayotte en tant que ministre. Ému ?
Je rentre en effet chez moi après deux mois en fonction. C’est un immense honneur et une grande émotion. Devenir Secrétaire d’Etat à la Francophonie et aux Partenariats internationaux est la poursuite de cet engagement, pour mon pays et avec l’envie de servir les Français et de leur être utile. Le dépassement politique et l’intérêt général sont les moteurs qui m’animent.
Je suis convaincu que la méthode du Premier ministre, qui est un homme d’expérience et d’apaisement, permettra d’avancer au service de nos compatriotes. Le respect et le dialogue seront clé pour répondre aux attentes des Français !
Envisagez-vous des accords particuliers avec des pays de la région ?
Tout à fait, c’est le sens de ma visite au Kenya lundi et mardi qui contribuera à renforcer les liens avec ce pays et l’intégration de Mayotte dans son environnement régional, à la faveur de la signature d’une convention entre les chambres de commerce kenyane et de Mayotte (l’ADIM). Je m’y rends également dans la perspective du futur sommet Afrique France de 2026 qui sera accueilli par le Kenya, ainsi que pour porter plusieurs priorités (événement important sur la lutte contre les violences faites aux femmes, inauguration d’un projet financé par l’AFD en matière de traitement de l’eau ou partenariat avec l’université de Naïrobi). Mes entretiens sur place illustrent en outre le renouveau de notre partenariat avec l’Afrique, fondé sur des besoins concrets en formation professionnelle et employabilité pour la jeunesse, santé et égalité, préservation de la biodiversité notamment.
De manière générale, je suis mobilisé pour renforcer nos relations avec nos partenaires africains. Je me suis rendu en Côte d’Ivoire pour mon premier déplacement sur le continent et où la collaboration est excellente à tous les niveaux ; le Ghana, dont le Président S.E Nana Akufo-Addo s’est rendu en France la semaine dernière, a exprimé le souhait de voir la coopération avec la France se renforcer ; le Nigéria, dont une importante délégation sera présente à Paris la semaine prochaine autour de son Président pour rencontrer notamment nos entreprises françaises et les inciter à venir investir. Bref nous avons beaucoup à faire avec le continent africain pour nouer des relations de confiance mutuellement bénéfiques.
Une délégation du ministère des Affaires étrangères aux Comores
La France est présente à la COI à travers La Réunion. Voyez-vous un moyen pour qu’elle le soit à travers Mayotte également ?
C’est un sujet sur lequel je suis particulièrement investi. La meilleure intégration de Mayotte, en tant que département français, dans son environnement régional est particulièrement importante et nous continuons de la porter avec force, dans un dialogue exigeant avec nos partenaires de la région.
Nous sommes pleinement engagés pour obtenir des avancées concrètes sur la question de l’intégration de Mayotte à la COI. Une délégation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères s’est d’ailleurs rendue à Mayotte et aux Comores depuis ma prise de fonction pour avancer en ce sens.
Pouvez-vous agir pour la protection de l’enseignement du Shimaoré ?
L’intégration des deux langues mahoraises à la circulaire Langues et cultures régionales a été rendue possible en 2021 par la fameuse loi Molac. Sur l’impulsion du Président de la République, nous menons une politique au service du plurilinguisme. Nous voulons mieux valoriser ces langues régionales, et faciliter l’insertion de ceux qui la font vivre dans le système scolaire.
C’est le sens des efforts que je porte depuis le Sommet de la francophonie : la défense de la diversité des langues !
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond