Alors que les structures d’offre de soins sont amenées à se développer à Mayotte, leur cohérence avec les standards nationaux de normes de qualité est posée. La plus grosse d’entre elles, le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) est bien sûr concernée, notamment les nouvelles filières de soins hospitaliers, mais aussi la future clinique privée, le secteur libéral et le secteur médico-social.
Le contexte invite en effet à la remise en question : 600 événements indésirables se produisent en moyenne par an, rapportait le directeur de l’hôpital Jean-Matthieu Defour qui soulignait leur importance variable, « cela peut aller du plateau de repas froid ou de la perte d’une paire de lunettes, à plus graves. Nous en avons 30 qualifiés de ‘critiques’, sur l’année. »
Pour améliorer la qualité des soins et réduire ces « évènements indésirables », l’ARS Mayotte travaille sur deux fronts : la mise en place d’une Mission régionale d’Inspection Contrôles Réclamations et Evaluation (MRICRE), et l’installation d’une Structure Régionale d’Appui (SRA) pour accompagner les structures mentionnées, et les professionnels de santé.
Acronyme qui demande une certaine endurance verbale, la MRICRE n’existait pas à Mayotte avant l’arrivée d’Olivier Brahic. Comme le rappelait le DGS de l’ARS Mayotte, l’agence s’est récemment émancipée de sa régionalisation, avec comme seconde préfiguratrice, puis directrice, Dominique Voynet, sur laquelle était tombée l’épidémie de Covid. Créée en juillet 2022, c’est Anchya Bamana, cadre à l’ARS, qui a la charge de cette mission de contrôle, elle est même seule à y œuvrer, un autre agent devrait la rejoindre. Un programme annuel de visite des structures de soins est en cours d’élaboration, « mais nous intervenons directement en cas de signalement de cas graves », souligne Olivier Brahic.
Le CHM avait perdu de vue l’ORISON
Deuxième axe d’accompagnement des structures et des professionnels, la mise en place d’une Structure générale d’appui, ORISON. Elle interviendra sur ces incidents, appelés « évènements indésirables associés à des soins », comme l’explique le docteur Marie-France Angelini-Tibert, directeur opérationnel de ORISON : « Ces faits existent, cela ne sert à rien de le cacher au sein d’un hôpital ou d’une clinique ou autre. Nous allons donc aider les structures de soins à avoir une politique de gestion des risques ».
Les professionnels médicaux ont obligation de déclarer ces évènements, soulignait Jean-Matthieu Defour. Cela peut être une erreur dans l’administration d’un médicament à un patient, la délivrance d’un plateau repas alors qu’il aurait dû rester à jeun, etc.
Si le CHM a fait partie des membres fondateurs de ORISON en 2016 sous la direction d’Alain Daniel, il a pu perdre de vue les exigences de qualité par la suite. D’où la signature de la convention ce mercredi qui engage les parties. Car, le cadre légal se rappelle aux acteurs : « Nous devons répondre à la certification de la Haute Autorité de Santé, ou de la COFRAC pour le laboratoire, etc. » Un des exemples actuels était le dysfonctionnement au service des urgences, nécessitant un audit de la Société Française de Médecine d’Urgence, qui a permis une réorganisation des postes de travail. « Nous allons également avoir un audit au bloc opératoire qui va permettre d’améliorer les conditions de travail, nous avons également prévu d’implanter des nouveaux services en cardio interventionnelle et en neurologie, notamment, pour limiter au maximum les prises en charge par EVASAN ». Et ORISON est déjà sollicité pour accompagner le CHM lors de la visite de la Haute Autorité de Santé en décembre.
Si les professionnels de santé déclarent d’eux-mêmes les dysfonctionnements, les usagers ont bien sûr aussi leur mot à dire, notamment par l’association qui les représente, mais aussi sur un portail national de signalements créé par le gouvernement à la suite du scandale du Médiator.
Lever le nez du guidon
Evidemment, les deux professionnels d’ORISON vont vite être submergés par les infos, avec une graduation nécessaire dans la prise en charge : « Nous prenons en priorité les plus urgents, notamment ceux qui ont été signalés par un professionnel de santé, pour les autres, nous hiérarchisons. L’objectif n’est pas de faire faire à ces professionnels de l’analyse de leurs actes à tout-va, sinon ils n’auront plus le temps de soigner. » Comme le soulignait le directeur du CHM, aucun incident n’est bénin, « la délivrance d’un plateau repas peut paraître anodin, mais lorsque son bénéficiaire devait rester à jeun ou doit suivre un régime particulier, cela peut avoir des effets indésirables graves sur sa santé ». Olivier Brahic mettait l’accent sur le côté répétitif de petits signalements, « si nous notons des réclamations récurrentes sur la même structure, nous y regarderons de plus prés. Et là, je peux déclencher une mission d’inspection et de contrôle ».
Mais sur un territoire où les services de soins sont engorgés et les professionnels sous pression, le diagnostic d’un cumul d’incidents n’est-il pas déjà là docteur ? « C’est certain que le contexte pèse, mais il n’est pas suffisant comme explication, analyse Marie-France Angelini-Tibert, il faut justement aider les professionnels à lever le nez du guidon. Sur une erreur de délivrance de médicaments, nous allons par exemple remonter le fil pour savoir où il y a eu défaillance. Quand nous identifions un risque, il faut aider ces personnels à le maitriser et faire en sorte qu’il ne se reproduise plus, ou avec aucune gravité. Nous travaillons dans la bienveillance avant tout. » Pour y arriver, certains devront remettre en question leur pratique, et seront accompagnés pour cela.
Bien que sous compétence du conseil départemental, les PMI (Protection Maternelle Infantile) peuvent aussi être contrôlées, « trois autorités ont compétence pour déclencher une mission, le directeur de l’ARS bien sûr, mais aussi le préfet et le président du conseil départemental. » Ce dernier peut aussi demander à ORISON d’intervenir pour diagnostiquer les « événement indésirables » au sein des PMI et les accompagner.
En fonction des besoins, la SAR ORISON pourra être étoffée précise Olivier Brahic qui finance en lieu et place des structures le temps que le dispositif se lance.
Alors que régulièrement des incidents plus ou moins graves de prise en charge sanitaire sont rapportés hors les murs du CHM, désormais c’est la transparence qui est annoncée, « il n’y a pas d’omerta sur le territoire, lançait Olivier Brahic, nous évoluons vers cette écoute des usagers que demande la démocratie sanitaire. »
Anne Perzo-Lafond